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samedi 23 juillet 2022

Pour le droit d’accompagner son enfant dans son identité de genre

publié le 21 juillet 2022par Maryse Rizza, présidente de l'association Grandir Trans, maîtresse de conférences à l’université de Tours et Paul B. Preciado, philosophe

Les enfants transgenres et leur parents subissent toujours une stigmatisation importante due en partie à l’absence de politiques publiques, entraînant le maintien de difficultés inacceptables, du harcèlement scolaire à la pathologisation de la transidentité. Un appel signé entre autres par Paul B. Preciado, Adèle Haenel et Virginie Despentes.

C’est en tant que présidente de l’association Grandir Trans et en tant que mère de deux enfants, dont un garçon trans, que j’écris aujourd’hui, accompagnée de personnes militantes concernées, intellectuel·les, chercheur·e·s, enseignant·e·s, sociologues, psychologues et psychiatres, qui nous soutiennent en tant que parents, et en l’absence de politiques publiques, pour accompagner nos enfants dans la bienveillance de leur ressenti de genre et dans le respect de leur identité.

Mon enfant ne s’est jamais vécu fille, il se vit garçon, mais il ne se sent pas toujours bien dans son corps et souffre de n’être pas reconnu ainsi par la société. J’ai donc décidé de respecter son identité de genre et de l’accompagner avec bienveillance dans son autodétermination. C’est le prédicat de toutes les familles que représente l’association Grandir Trans.

J’écris au nom des parents avec lesquels j’échange, que je lis et auxquels je réponds depuis cinq ans maintenant. Ils représentent 1 300 familles aujourd’hui, ayant pour priorité, le bonheur et l’épanouissement de leur enfant ; ce qui passe par l’accompagnement et la défense de leurs droits, de leur identité de genre.

Harcèlement scolaire et violences administratives

Nous écrivons aujourd’hui également pour répondre à un harcèlement institutionnel qu’on voit apparaître (et qui s’ajoute à tous les harcèlements vécus par nos enfants) qui tend à nous disqualifier, nous pathologiser, nous enlever le droit d’élever et d’éduquer nos enfants comme tous les enfants. Il s’exprime via le discours et les pratiques de certain·es médecins, psychanalystes, psychiatres et intellectuel·les, parfois représenté·e·s par des associations qui sont proches des mouvements identitaires d’extrême droite et qui s’expriment par voie médiatique et appel fondateur. La question du mariage homosexuel étant close, les mêmes associations réactionnaires qui ont organisé la Manif pour tous se tournent maintenant vers un nouveau combat, contre les enfants trans et leur famille.

Il faut se rendre compte de ce que traversent nos enfants : psychiatrisation et pathologisation précoce ; harcèlement scolaire ; rejet et exclusion des voyages de classe ; moqueries, déni d’existence parfois dans la parole même des professeurs qui, en ne respectant pas les programmes, abordent la transidentité sous une définition pathologisante («trouble de l’identité») ; réflexions transphobes humiliantes («Non, je souhaite que ce soit une vraie fille qui conduise ta camarade de classe à l’infirmerie») ; nouvelles discriminations dans la répartition entre filles et garçons (mon fils devait s’habiller dans les toilettes au sport). L’exclusion et la stigmatisation sont incessantes.

Au harcèlement scolaire, il faut ajouter, la violence des administrations publiques à l’égard des enfants trans et de leur famille. On l’appellera toujours madame avec son prénom masculin, jusqu’à sa majorité. Il devra ensuite défendre son existence et prouver qu’il est bien un garçon, et ce devant un tribunal judiciaire pour avoir ses papiers d’identité.

Le droit d’explorer son genre

Dans ce parcours, nos enfants entreprennent une exploration de leur genre pendant l’enfance. S’ils ont la chance de grandir dans une famille aimante et qui accepte leur processus d’autodétermination du genre, les enfants pourront parler ouvertement de leurs sentiments et chercher avec leurs parents des solutions à la souffrance psychologique et sociale d’être un enfant différent dans une société binaire et normative.

Pour certains enfants, le traitement par des bloqueurs de puberté inhibant la production d’hormones peut constituer une aide psychologique et physique importante pendant l’adolescence, lorsque les enfants connaissent l’apparition des règles ou des changements corporels vécus avec anxiété. Tant critiqués et montrés du doigt par les personnalités conservatrices, les inhibiteurs hormonaux ne causent aucun dommage irréversible à la santé des enfants. Dans les faits, ils ne sont pas seulement utilisés pour les enfants trans : lorsqu’une petite fille cisgenre (en accord avec son genre assigné à la naissance) débute sa puberté de manière précoce, les bloqueurs peuvent lui être proposés sans examen psychiatrique. Dans un pays où la pilule contraceptive et les bloqueurs sont prescrits aux jeunes filles pubères précoces ou présentant des difficultés de cycles sans discussion, nous dénonçons la discrimination et la psychiatrisation subies par nos enfants trans lorsqu’ils ont besoin des bloqueurs.

Depuis que je suis présidente de l’association Grandir Trans, je fais face au désarroi des parents que nous sommes. Force est de constater que nous sommes malheureusement tous confrontés aux mêmes problématiques dont je me fais le relais aujourd’hui :

– Un manque réel d’accompagnement et d’aide lors du coming out de l’enfant, un désarroi indéniable face à l’orientation du chemin à prendre.

– Un accès difficile et long aux dispositifs spécialisés pour les mineurs trans avec des délais d’attente qui dépassent parfois dix-huit mois. Ce qui est insupportable (voire criminel), vu la détresse psychique de nos enfants à vivre leur genre assigné.

– Des propositions de thérapies de conversion par des psychanalystes nous invitant à considérer nos enfants comme malades ou présentant des troubles du comportement. Je rappelle que la transidentité n’est pas une maladie. Elle n’est plus considérée comme telle en France depuis 2010, et l’Organisation mondiale de la santé l’a enlevée des maladies psychiatriques en 2019. Je rappelle également que les thérapies de conversion sont interdites et condamnées. Probablement, ces évolutions expliquent aussi les changements sociaux permettant à de jeunes mineur·e·s trans de s’exprimer. De fait, il serait plus sain, pour la santé mentale de nos enfants, d’arrêter de les stigmatiser en utilisant un vocabulaire pathologisant, comme certains personnels de santé (endocrinologues, psychiatres, médecins) invitent à le faire, contrevenant ainsi à la loi.

– Une disparité de territoires en France pour les délais ou le droit au changement de prénoms pour nos enfants.

– Des demandes d’information des établissements scolaires par manque de formation des personnels de l’Education nationale.

– Certains enfants sont déscolarisés par trop grande souffrance et incapacité des établissements à aborder les questions d’identité de genre.

Garantir un accompagnement de qualité

Nous sommes beaucoup de parents au sein de l’association à être stigmatisés, psychiatrisés, comme les membres de la famille de la petite Lilie qui, faute d’avoir voulu médiatiser le refus du changement de prénom pour aider leur fille, doivent subir, sous la décision d’un juge des affaires familiales, une expertise psychiatrique. Leur seul tort est de vouloir accompagner leur enfant dans son ressenti de genre.

Je pose aujourd’hui la question au nom de tous les parents que je représente : au nom de quoi la libre expression de genre de l’enfant peut-elle être réprimée ? Quel nom donner à l’ordre moral ainsi bousculé ?

Nous sommes comme tous les parents aimants et bienveillants, nous voulons et espérons le bonheur et l’épanouissement de nos enfants dans une société de devoirs certes, mais également de droits. L’humanité est faite de diversité, dans cette diversité, il y a des enfants en accord avec leur genre assigné à la naissance, d’autres en questionnement de genre, voire trans ou non-binaires, et d’autres enfants intersexes (qui ne peuvent être assignés à aucun des deux genres et qui sont souvent objet de violences et mutilations médicales). La famille est le lieu de la sécurité affective qui doit permettre aux enfants de trouver leur chemin et les appuis pour évoluer dans notre société. Ils ont autant le droit d’être que n’importe quel enfant, le droit de vivre une scolarité en sécurité, le droit de s’exprimer et d’exister sans être accusés d’être le résultat d’une «épidémie transgenre».

Nous demandons donc aujourd’hui le droit en tant que parent d’accompagner nos enfants dans leur identité de genre dans de bonnes conditions : avec des professionnels de santé formés, des espaces de parole pour nos enfants et d’existence en toute sécurité.

Nous refusons les discours qui, par la peur de voir notre ordre binaire basculer et sous l’excuse d’une «approche éthique», nourrissent la transphobie et empêchent l’épanouissement d’enfants qui évoluent malgré eux. Nous avons le devoir (et la légitimité) de protéger nos enfants, de les accompagner et de représenter leurs droits devant la désinformation et la violence médiatique, médicale et réactionnaire qui remettent en cause leur existence même.

Nous appelons à la formation d’une très large alliance des psychologues, psychiatres, médecins, enseignants… ainsi que des associations et personnes transféministes, intersectionnelles, gays, lesbiennes, transgenres, queers, intersexes, en situation de handicap… pour défendre les droits des enfants, de tous les enfants, cisgenres, transgenres, et intersexes, à leur libre expression de genre, et le droit de leurs familles à les soutenir, les aimer et les accompagner.

Parmi les signataires :

Karine Espineira sociologue, université Paris-VIII ; Claire Vandendriessche cosecrétaire générale du Réseau Santé Trans ; Agnès Condat pédopsychiatre, coordinatrice de la plateforme Trajectoires trans : enfants, adolescent·e·s et jeunes adultes, université Sorbonne, GH Pitié-Salpêtrière ; Anaïs pour l’association OUTrans ; Act-up Paris le Réseau santé trans (ReST) Yann pour Fransgenre ; Béatrice Denaes coprésidente de Trans Santé France, journaliste, enseignante à Sciences Po-Paris ; Chrystelle Vincent mère de Lilie ; Virginie Despentes écrivaine ; Nelly et Serge Agresti parents de Lexie, autrice d’Une histoire de genres ; Maud-Yeuse Thomas chercheure indépendante ; Raphaël Magnan coprésident du Réseau Santé Trans, cofondateur de Ouest Trans ; Sébastien Lifshitz réalisateur ; Robin Campilloréalisateur ; Benoit Tuleu, conservateur général des bibliothèques ; Adèle Haenel comédienne ; Elisabeth Bligny, journaliste et autrice, mère d’un jeune homme transgenre ; Jean Chambrypédopsychiatre, chef de pôle, responsable du Ciapa GHU psychiatrie et neurosciences ; Nicolas Mendes docteur en psychologie, psychologue clinicien, AP-HP Pitié-Salpêtrière et Jean-Verdier ; Silvia Lippi psychanalyste, université Paris-VIII ; Christine Marcandier cofondatrice de Diacritik et professeure de littérature française, université d’Aix-Marseille, mère d’un enfant trans ; Fabrice Bourlez psychanalyste ; Lionel Le Correpsychanalyste ; Arnaud Alessandrin sociologue ; Jean-Max Colard centre Pompidou, service de la parole.

Liste complète des signataires à retrouver ici.


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