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samedi 23 juillet 2022

Revirement La déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés votée à l’Assemblée

par Elsa Maudet  publié le 19 juillet 2022 (mis à jour le 21 juillet 2022)

Les députés ont voté, dans la nuit de mercredi à jeudi, un amendement mettant fin à la prise en compte des revenus du conjoint dans l’attribution de cette aide, qui sera effectif en octobre 2023. La majorité a fini par se ranger à l’élan commun, après s’y être opposée pendant des années.

Des années de combat sur le point d’aboutir. Les députés ont adopté, à la quasi-unanimité – 428 pour et 1 contre – dans la nuit de mercredi à jeudi, l’amendement au projet de loi sur le pouvoir d’achat prévoyant la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Autrement dit, la fin de la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de cette aide. Une demande récurrente des militants handicapés depuis au moins une décennie, qui a pris de l’ampleur à l’hiver 2020 et fait depuis l’objet d’une bataille assez inédite dans ce milieu habituellement discret.

L’AAH est versée aux personnes dont le handicap rend difficile l’accès au marché du travail. D’un montant de 919,86 euros par mois à taux plein, elle décroît en fonction des revenus du conjoint, jusqu’à atteindre 0 si celui-ci gagne plus de 2 270 euros mensuels. Une règle qui crée des situations de dépendance économique et accroît le risque de violences conjugales, dénoncent les associations depuis des années.

Plus de 1,2 million de citoyens bénéficient aujourd’hui de l’AAH, dont 270 000 en couple. La réforme devrait bénéficier à 160 000 personnes en couple, qui verraient leur AAH augmenter de 300 euros en moyenne, selon les évaluations de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees).

Que prévoit le texte ?

Chaque formation politique y était initialement allée de son amendement en faveur de la déconjugalisation. Mais la semaine dernière, en commission des Affaires sociales, les députés ont décidé de tous retirer leur texte pour aboutir à une version commune à présenter cette semaine en séance publique. A l’heure actuelle, le code de la sécurité sociale prévoit notamment que le montant de l’AAH peut se cumuler «avec les ressources personnelles de l’intéressé et, s’il y a lieu, de son conjoint, concubin ou partenaire d’un pacte civil de solidarité dans la limite d’un plafond fixé par décret». Les références au conjoint seront tout bonnement supprimées.

Un des arguments de l’ancienne secrétaire d’Etat aux Personnes handicapées, Sophie Cluzel, pour s’opposer à la déconjugalisation de l’AAH consistait à dire qu’une telle réforme ferait trop de perdants. Les allocataires ayant un emploi à temps partiel et un conjoint sans revenus ainsi que ceux, en couple, travaillant en Esat (établissement et service d’aide par le travail) verraient en effet leur allocation baisser. Leur nombre est estimé à 45 000 – même si aucune étude d’impact n’a été menée. Afin d’éviter que la déconjugalisation lèse ces quelques dizaines de milliers de personnes, l’amendement prévoit de permettre à chaque allocataire de continuer à bénéficier de l’ancien régime, «jusqu’à expiration de ses droits à l’allocation».

La rapporteuse du projet de loi sur le pouvoir d’achat, la députée Renaissance Charlotte Parmentier-Lecocq, proposait dans la première version de son texte une entrée en vigueur de cette réforme au 1er janvier 2024. Finalement, le texte commun propose un démarrage au 1er octobre 2023.

Le projet répond-il aux attentes ?

«Au vu des débats d’il y a quelques mois, c’est presque inespéré, se félicite Arnaud de Broca, président du Collectif Handicaps, qui fédère 52 associations du secteur. Après, on attend de voir ce qui va être voté et surtout ce que sera la date d’application, qui est un sujet majeur. Le 1er octobre 2023, c’est trop tard. Le sujet a été suffisamment travaillé, ces derniers mois, pour aboutir à une rédaction qui convienne à tout le monde, on n’a pas besoin d’un an pour le faire.» Comme d’autres, il souhaite voir la déconjugalisation effective au 1er janvier prochain. «Pourquoi attendre, si ce n’est pour faire des économies ?» soupire-t-il.

L’allocation coûte 11 milliards d’euros par an aux finances publiques, auxquels s’ajouteront entre 560 et 730 millions d’euros – selon les estimations – pour la déconjugalisation. Or, «les députés doivent coller à une logique de responsabilité budgétaire», note Lili, en charge de la commission antivalidiste chez Act Up-Paris. Dès lors, elle redoute un effet de bord à cette réforme : «L’AAH risque d’être beaucoup plus difficile à obtenir.» Une crainte alimentée par le rapport de la Cour des comptes sorti en 2019 qui «avait appelé à réduire les dépenses liées à l’AAH», rappelle-t-elle.

«Il faut aussi replacer ça dans le discours de politique générale d’Elisabeth Borne, qui appelle au plein-emploi, au travail, poursuit Lili. Même sa déclaration sur France Bleu, ce n’est pas anodin.»Interpellée par une auditrice handicapée ne pouvant toucher l’AAH à cause des revenus de son conjoint, la Première ministre lui avait suggéré de trouver un emploi, déclenchant les pleurs de cette femme.

Pourquoi la majorité a-t-elle changé d’avis ?

«J’avoue que je suis très étonné de ce changement de situation parce que le gouvernement avait été très ferme», concède le sénateur (LR) Philippe Mouiller, rapporteur de la proposition de loi adoptée en première lecture par la chambre haute au printemps 2021. Durant des mois, l’ancienne secrétaire d’Etat aux Personnes handicapées, Sophie Cluzel, n’a en effet eu de cesse de dire son opposition à la déconjugalisation, usant de divers arguments, souvent peu convaincants. Jusqu’à recourir au vote bloqué, en juin 2021, afin d’empêcher les députés de voter contre la volonté du gouvernement.

Les discours ont commencé à changer durant la campagne présidentielle. Mi-avril, Emmanuel Macron, interrogé sur France Info par la styliste Lucie Carrasco, qui prévoit de se marier mais ne souhaite pas perdre son AAH, avait rétorqué : «On doit bouger sur ce point.» Rebelote lors de son débat face à Marine Le Pen, lors de l’entre-deux-tours. Début juillet, Elisabeth Borne annonçait une réforme de l’allocation, puis les députés de la majorité ont rédigé un texte actant clairement le principe de la fin de la prise en compte des revenus du conjoint.

«Ils ont vu que ça plombait pas mal l’image de la majorité», estime Kévin Polisano, cocréateur du collectif le Prix de l’amour, qui milite pour la déconjugalisation de l’AAH. Lili abonde : «Le gouvernement n’adhère à ce consensus que parce qu’il a été acculé par la mobilisation qui s’est tenue depuis deux ans. S’il n’était pas isolé sur ses positions, on serait repartis sur un blocage. Et étant donné qu’il n’y a pas de majorité absolue à l’Assemblée, Elisabeth Borne a entrevu qu’ils pouvaient être en difficulté sur cette mesure.»

Mieux valait, dès lors, se saisir du sujet plutôt que d’apparaître comme la seule force politique opposée à cette mesure de justice sociale. «Mine de rien, mener des combats depuis des mois, des années sert toujours à un moment donné», sourit le sénateur Philippe Mouiller.

Mise à jour à 8h40 avec le vote de l’amendement dans la nuit de mercredi à jeudi.


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