par Benjamin Delille publié le 21 juillet 2022
C’est un village tranquille, au pied du mont Luisandre, l’un des premiers contreforts du Jura. Un village sans histoire à une cinquantaine de kilomètres de Lyon, aux jolies maisons de pierres recouvertes de vigne vierge pour les plus anciennes. Pourtant mardi soir, Douvres, havre de paix d’un millier d’âmes, a connu l’horreur : un jeune homme de 22 ans, Matthieu D., a tué son père, sa belle-mère et leurs trois enfants avec un katana, une épée japonaise. Le meurtrier présumé a lui-même averti les forces de l’ordre, avant de se retrancher dans une maison située à l’entrée du bourg. Une centaine de gendarmes, dont certains du GIGN, ont encerclé la maison pendant une interminable nuit. Armé d’un fusil en plus de son sabre, Matthieu D. a ignoré les sommations. Un peu avant midi mercredi, les militaires ont tiré quatre fois, abattant le jeune forcené.
«Je suis encore trop brassée», s’excuse ce jeudi matin auprès de Libération Jacqueline, la voisine. Cette sexagénaire au carré châtain garde un sourire poli en dépit du traumatisme. Elle a entendu toute l’intervention, calfeutrée dans son domicile de l’autre côté de la petite route d’Ambérieu, porte d’entrée du village. Trois voitures des forces de l’ordre bloquent encore la voie. L’une des fenêtres de la maison est recouverte de papier kraft, scellée de rubans de la gendarmerie. Les habitants qui baladent leurs chiens préfèrent éviter la rue, se contentant d’un regard triste, démunis par l’incompréhension.
«Toujours un mot gentil»
Personne ne semblait vraiment connaître cette famille. Elle est arrivée «il y a un ou deux ans», se remémore un riverain, des gens«classes et discrets». Jocelyne, qui vit à Douvres depuis trois décennies, passait souvent devant la maison lors de ses longues marches quotidiennes. «Le monsieur était régulièrement là, à bricoler. Il avait toujours un mot gentil», selon la sexagénaire aux lunettes rectangulaires noires. Elle se souvient surtout de son fils de 5 ans, dont elle parle avec un trémolo dans la voix. «Il m’avait presque adopté. A chaque fois que je passais, il me faisait une fête.» Lorsque le gendarme est venu lui demander de rester chez elle la veille, il a refusé de lui dire si le petit faisait partie des cinq victimes, comme elle l’avait vu sur BFM TV. «Je l’ai lu sur son visage et les larmes sont venues tout de suite.»
C’est par le maire, Christian Limousin, et surtout grâce au communiqué du parquet de Bourg-en-Bresse, qu’on en saura plus. Il s’agissait d’une famille recomposée. Lilian D., le père du meurtrier présumé et d’une fille de 17 ans, aurait rencontré sa compagne, Nathalie J., en Gironde avant de venir s’installer à Douvres avec la fille de celle-ci, âgée de 15 ans. Ensemble ils ont eu ce petit garçon qui venait de fêter ses 5 ans, scolarisé dans la maternelle du village.
Monique découvre ces détails dans le quotidien local, le Progrès.Elle a enfilé ses tongs et un bermuda pour s’empresser de l’acheter au petit matin et d’en savoir plus sur l’affaire. Le journal en a fait sa une. «Mon fils m’a appelé [mercredi] matin pour me dire de ne pas sortir, relate cette septuagénaire native du village. Ils ont tout bouclé et on n’avait pas trop d’informations sur le fou qui a fait ça.» Car Matthieu D. ne vivait visiblement pas là. Employé dans un fast-food d’Ambérieu, la ville la plus proche, à 5 kilomètres, il «aurait souffert de troubles psychiatriques», selon le procureur de Bourg-en-Bresse.
«Ça va laisser des traces»
Derrière le zinc de la Babillière, le bar-tabac au centre du village, Tania récolte depuis vingt-quatre heures les témoignages et écoute les discussions. La trentenaire en débardeur noir est visiblement éprouvée. Pensant d’abord qu’il s’agissait d’une opération de police contre un trafiquant, elle ne s’attendait pas à un tel drame. Ni à recevoir un appel de la mère de Nathalie J., qui n’arrivait pas à joindre sa fille. «A ce moment-là, je ne savais pas ce qu’il se passait, je lui ai juste dit qu’il se passait quelque chose et qu’elle ferait mieux d’appeler les gendarmes.»
Dans ce village dynamique et résidentiel, où l’on travaille beaucoup à Lyon ou Ambérieu, on répète à l’unisson qu’il fait «bon vivre». Alors difficile de verbaliser ce genre de drame. Un client fugace se contente d’évoquer «une drôle de journée». «Quelqu’un qui pète les plombes, ça arrive. Certes généralement ce n’est pas chez nous, c’est à la télé, mais ça arrive, s’étend la tenancière. Mais en arriver à tuer sa famille, surtout un gamin de 5 ans, ça n’a aucun sens, aucune logique.»
Elle évoque une mère de famille, venue pleurer dans ses bras la veille, ne sachant comment annoncer à son enfant que son camarade de classe est mort. «Ça va laisser des traces, conclut Tania, elle-même maman de deux enfants en bas âge. Vous imaginez les gamins, les mères, la maîtresse ?» Sur l’enquête, qui commence à peine, la jeune femme se demande à quoi ça pourra bien servir. «Ce qui s’est passé va rester entre eux malheureusement. On sait qui a tué, on ne saura jamais pourquoi.»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire