16 août 2021
Alexandre Klein
Philosophe et historien des sciences, Université d’Ottawa
QUEBEC
Le 15 août 1961, il y a 60 ans pratiquement jour pour jour, paraissait le livre de Jean-Charles Pagé Les fous crient au secours ! Sur plus de 130 pages, cet ancien malade alcoolique racontait son internement entre les murs de l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu (aujourd’hui l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal) et les traitements indignes que lui et ses camarades d’infortune avaient dû y subir. Violence psychologique, manque d’hygiène criant, absence de traitements efficients, stigmatisation, le portrait était sombre et sans appel. L’éditeur Jacques Hébert, comme le psychiatre Camille Laurin, qui avait accepté de rédiger la postface du livre, ne s’y était pas trompé : l’ouvrage était une bombe à retardement, prête à exploser dans l’opinion publique.
Dès le lendemain, le livre faisait d’ailleurs la une des grands quotidiens montréalais. Grâce au travail de publiciste mené en sous-main par Hébert et Laurin, les principaux acteurs syndicaux et ecclésiastiques se mobilisèrent à leur tour, dans les jours qui suivirent, pour demander au gouvernement Lesage des comptes et surtout des actions. Une réforme de la politique de santé mentale québécoise s’imposait. Sous la pression, le ministre de la Santé, Alphonse Couturier, annonça finalement le 8 septembre la création d’une commission d’enquête sur la situation des institutions psychiatriques de la province dont la direction fut confiée au Dr Dominique Bédard. Aidé des psychiatres Charles A. Robert et Denis Lazure, il parcourut les hôpitaux et centres psychiatriques du Québec afin de dresser un état des lieux et de proposer des recommandations.
Le résultat, qui parvint six mois plus tard sur la table du ministre de la Santé, était un rapport de 157 pages fustigeant la gestion des communautés religieuses alors en charge de la majorité des institutions et suggérant, dans la continuité de la postface de Laurin, un certain nombre de transformations, incluant notamment une augmentation du nombre de psychiatres, une amélioration de leur formation, un financement plus conséquent de la prise en charge psychiatrique et surtout l’établissement d’une politique dite de désinstitutionnalisation favorisant la prise en charge « hors les murs » des personnes atteintes de troubles de santé mentale, que ce soit dans les hôpitaux généraux ou dans des cliniques de jour rattachées aux grands hôpitaux psychiatriques.
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