Jacqueline Sauvage chez sa fille, à Chuelles, en 2017.
Photo Vincent Capman. Riva Presse
Condamnée à dix ans de prison pour avoir tué son mari violent, elle avait finalement été graciée par François Hollande, au terme de longs mois de combat qui avaient mis en lumière le calvaire des femmes victimes de violences.
«Elle est partie sans bruit, ce qui peut sembler paradoxal au vu du chaos retentissant suscité par cette affaire», souffle Me Nathalie Tomasini, qui fut son avocate, jointe par Libération. Comme l’a confirmé son entourage ce mercredi, Jacqueline Sauvage est morte le 23 juillet, à l’âge de 72 ans, à son domicile de la Selle-sur-le-Bied, dans le Loiret. Là, elle menait depuis sa sortie de prison, il y a plus de trois ans, une «vie simple», entourée de ses filles, de ses petits enfants, et du chien qu’elle adorait. Revenue dans le pavillon familial où sa vie a basculé un jour de septembre 2012, quand elle a abattu ce mari violent et père tyrannique, geste pour lequel elle écopera de dix ans de prison avant d’être finalement graciée par le Président de la République François Hollande en 2016, au terme de longs mois de mobilisation et d’âpres débats autour de la question de la légitime défense, centrale à son procès. «Elle a fait avancer les pions, cristallisé toute la volonté des femmes victimes de violences conjugales qui n’osent pas parler. Elle est devenue un symbole, à qui les autres pouvaient se raccrocher dans leur combat dans le huis clos familial, dans l’omerta de la société», analyse Me Tomasini. «Elle a été le symbole de l’injustice et de la violence. Mais à quel prix pour elle et pour sa famille ? Qu’est-ce que ça a changé pour la société ? Rien», s’est quant à elle insurgée l’actrice Eva Darlan, présidente de son comité de soutien, auprès de l’AFP.
Née en 1947 à Melun dans une fratrie de huit enfants, Jacqueline Sauvage rencontre Norbert Marot à l’âge de 16 ans, tombe rapidement enceinte de cet homme qu’elle décrit comme «attirant et séduisant», qu’elle finit par épouser en 1965, avant la naissance de leur premier enfant, une fille. Celle-ci est encore un bébé quand débutent les brimades. Puis ce sera une vie d’emprise, de honte et de coups, devenue une «habitude», ainsi que Jacqueline Sauvage le décrira dans son récit autobiographique paru en 2017 (1). Après une formation dans la couture, elle travaille comme ouvrière, avant de monter, au début des années 80, une entreprise de transports avec son mari, à laquelle se joindront les trois filles et le fils du couple au fil du temps. Elle gère l’administratif, lui conduit des poids lourds. Le matin du 10 septembre 2012, une dispute éclate entre Norbert et Jacqueline. Selon son récit, il la frappe une énième fois, la menace. Elle monte faire une sieste. Et revient, quelques heures plus tard. Lui est assis en terrasse. Elle arme son fusil (le couple était féru de chasse) et le tue de trois coups dans le dos. «Un acte de survie, pas de vengeance», expliquera-t-elle plus tard. Dans son livre, elle écrit : «Ce jour-là, il m’avait frappée. Un poing dans la lèvre. Ce jour-là, il m’avait coursée comme un animal apeuré dans la maison. Ce n’était pourtant pas la première fois, ni la centième. Une scène si routinière, une violence si fréquente. La peur. La douleur. La honte. Encore et toujours. Une fois, dix fois, cent fois. Ce fut sans doute la fois de trop. […] Ce jour-là, ce fut différent. Une lueur encore inconnue dans ses yeux, une intonation particulière dans sa voix, dans ses cris. J’ai vu mes enfants morts.»
«Quarante-sept ans d’union la lame contre la gorge»
Elle alerte la police, se dénonce. En garde à vue, on lui apprend le suicide de son fils, Pascal, survenu peu avant le crime, mais dont elle n’avait pas connaissance. Au cours de son premier procès, devant la cour d’assises d’Orléans à l’automne 2014, elle décrit l’emprise d’un mari tyrannique et violent, dit avoir été emmurée dans le silence par la honte et la peur : «J’attendais que ça passe et je me reprenais.» Ses filles évoquent un homme brusque, et aussi incestueux. Jacqueline Sauvage écope de dix ans de prison, mais fait appel et se fait désormais accompagner par deux avocates spécialisées dans les violences faites aux femmes. «Quand on l’a rencontrée au départ, elle était taiseuse, semblable à un animal apeuré, qui se terrait, n’avait plus confiance en personne», se souvient Me Tomasini. Avec son associée de l’époque, Me Janine Bonaggiunta, elle plaide l’acquittement en appelant les jurés à considérer que leur cliente a agi en état de légitime défense. «Fracassée pendant quarante-sept ans, psychologiquement et physiquement, elle savait mieux que quiconque qu’il pouvait, ce soir-là, mettre à exécution les menaces de mort qu’il avait proférées toute sa vie», diront-elles. En vain : en décembre 2015, la cour d’appel de Blois confirme la condamnation de Jacqueline Sauvage.
En prison, elle reprend son nom de jeune fille, pour «mettre de la distance avec son calvaire», «après quarante-sept ans d’union en dents de scie, la lame contre la gorge». Dehors, ses filles déposent un recours en grâce auprès du président de la République, François Hollande à l’époque, à la fin de l’année 2015. S’ensuivent des pétitions en ligne, qui recueillent plusieurs centaines de milliers de signatures, et alertent opinion publique, associations féministes et personnalités, qui se regroupent en un comité de soutien et organisent des manifestations. L’affaire ouvre aussi la voie à un débat sur une modification de la loi en matière de légitime défense. «Permis de tuer», s’insurgent les uns. «Nécessité de prendre en compte la notion de mise en danger permanent», rétorquent les partisans d’une mesure qui ne verra finalement pas le jour.
«Osez parler»
Fin janvier 2016, après avoir reçu sa famille à l’Elysée, Hollande lui accorde une grâce partielle, destinée à permettre le dépôt d’une demande de libération conditionnelle avant le délai légal. Mais en août, cette demande est refusée par le tribunal d’application des peines de Melun, décision confirmée ensuite par la cour d’appel de Paris. Face à l’ampleur de la mobilisation, Hollande finit par lui accorder la grâce présidentielle totale fin décembre 2016, décision qu’il n’avait alors appliquée qu’une seule fois en 2014, dans le cas du plus ancien détenu de France. Jacqueline Sauvage sera finalement libérée au lendemain de son anniversaire, le 28 décembre 2016.
Interrogée sur son histoire par Paris Match en mars 2017, elle avait ressenti le besoin de s’adresser aux autres victimes, au nombre d’environ 220 000 chaque année en France. Elle leur avait lancé : «Réagissez dès la première gifle. Osez parler. N’attendez pas d’arriver aux mêmes extrêmes que moi.» Evoquant sa vie depuis sa sortie de prison, elle avait dit son goût pour des plaisirs aussi simples que nouveaux, comme ces sorties aux cirques en famille, et formulé ce rêve : «J’aimerais prendre ma voiture et aller me ressourcer au bord de la mer. J’aimerais respirer.»
(1) Je voulais juste que ça s’arrête (Fayard).
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