Contrôler 12 facteurs de risque permettrait de prévenir ou retarder cette maladie neurodégénérative. Parmi les mesures les plus importantes : élever le niveau d’éducation et corriger une perte d’audition.
Prévenir la maladie d’Alzheimer ? Ce défi est devenu une perspective mesurable. L’enjeu est énorme. Dans le monde, quelque 50 millions de personnes souffrent aujourd’hui de cette démence liée à l’âge ; si rien n’est fait, elles devraient être 152 millions en 2050. Le coût global actuel lié à cette affection est estimé à mille milliards de dollars par an (850 milliards d’euros).
« La maladie d’Alzheimer n’est pas une fatalité. Certes, on ne peut en empêcher la survenue. Mais on peut repousser de plusieurs années l’apparition de ses symptômes. Au final, les gens mourront d’une autre affection – cancer, maladie cardio-vasculaire… – avant que ne se manifestent les troubles cognitifs et comportementaux liés à cette démence », explique Philippe Amouyel, professeur de santé publique et directeur général de la Fondation Alzheimer. Ces troubles ne surviennent que vingt à trente ans après le début du processus de dégénérescence du cerveau. On peut donc en freiner le développement en contrôlant les facteurs qui l’accélèrent.
Douze de ces facteurs de risque ont été passés au crible d’une étude publiée le 30 juillet dans la revue The Lancet. Verdict : en contrôlant chacun d’eux, on pourrait prévenir ou retarder jusqu’à 40 % des cas d’Alzheimer – et plus encore dans les pays à faible et moyen revenus, où vivent les deux tiers des personnes touchées.
Ce travail, en réalité, prolonge une étude publiée en 2017 dans la même revue, qui chiffrait l’impact de 9 facteurs de risque. Ici, les auteurs en ajoutent 3 autres : les traumatismes crâniens, la pollution de l’air et l’abus d’alcool.
Pression artérielle, alcool, tabac…
Résumons. Chez l’enfant et le jeune adulte, on préviendrait ou retarderait 7,1 % des cas d’Alzheimer en élevant le niveau d’éducation. Plus tard, entre 45 et 65 ans, on préviendrait ou retarderait 8,2 % des cas d’Alzheimer en corrigeant les pertes auditives ; 3,4 % en évitant les traumatismes crâniens même légers ; 1,9 % en maintenant une pression artérielle systolique égale à 130 mmHg au plus ; 0,8 % en limitant sa consommation d’alcool à 3 verres par jour ; 0,7 % en luttant contre l’obésité. Même à plus de 65 ans, on peut agir : en arrêtant le tabac, on préviendrait ou retarderait 5,2 % des cas ; en traitant la dépression, 3,9 % ; en luttant contre l’isolement social, 3,4 % ; en maintenant une activité physique, 1,6 % ; en traitant le diabète, 1,1 % ; en limitant l’exposition à la pollution de l’air, 2,3 %.
Comment ont procédé les auteurs, 28 experts essentiellement anglo-saxons ? Il y a quelques années, The Lancet a créé une commission sur la prévention de cette démence. « Après un énorme travail d’analyse des études sur le sujet, cette commission a extrait les données épidémiologiques pertinentes pour chaque facteur de risque. Puis elle a calculé un risque relatif de déclarer une maladie d’Alzheimer pour chacun d’eux. Ensuite a eu lieu le travail de simulation. Que se passerait-il si tout le monde avait, par exemple, un niveau élevé d’éducation ? », explique Philippe Amouyel. Il a aussi fallu rendre ces facteurs indépendants les uns des autres. Pour cela, les auteurs ont analysé un échantillon de 10 000 Britanniques (données issues des bases du National Health Service, le service de santé du Royaume-Uni). Sur cette population, les auteurs ont évalué les chevauchements des différents facteurs de risque, puis mesuré l’impact propre de chacun.
Des politiques ciblées
« Les décideurs politiques, de par leurs décisions, et les individus sont en mesure de prévenir et de retarder une proportion importante des démences. Et ce, à chaque période de la vie, relève le professeur Gill Livingston, du Collège universitaire de Londres, premier auteur. Ces interventions auront probablement un plus fort impact sur les populations les plus affectées, comme les pays à faible et moyen revenus et les minorités ethniques. »
« Les politiques nationales de santé qui ciblent les facteurs de risque de démence, comme la promotion de l’éducation primaire et secondaire pour tous ou les programmes anti-tabac, devraient être priorisées », estime le professeur Adesola Ogunniyi, de l’université d’Ibadan (Nigeria), coauteur. Ce travail n’a toutefois pas pris en compte d’autres facteurs de risque comme l’alimentation. « Le régime méditerranéen est le seul à avoir fait ses preuves », souligne Philippe Amouyel.
Finalement, « toutes ces mesures de prévention pourraient résoudre la question du coût économique de la prise en charge de la dépendance », estime Philippe Amouyel, auteur du livre Le Guide anti-Alzheimer. Les secrets d’un cerveau en pleine forme (Le Cherche Midi, 2018). Encore faut-il les appliquer. On sait que, dans les pays les plus riches, la proportion de nouveaux sujets âgés souffrant d’Alzheimer a déjà chuté au fil des dernières décennies, grâce à des niveaux d’éducation plus élevés, à une meilleure prise en charge des pathologies cardio-vasculaires, une meilleure alimentation…
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