Chez les dauphins, quand il y a de la bagarre non pas dans l’air mais dans l’eau, les groupes qui synchronisent leurs attaques l’emportent. Chez les chimpanzés, on se met à brailler en chœur pour manifester la cohésion de la troupe. Et chez une autre espèce de primates, les meilleurs combattants se recrutent parmi les individus qui marchent au pas cadencé. Un, deux, un, deux, section… halte !
Plusieurs travaux ont montré que la synchronisation des comportements renforçait le lien et la coopération dans le groupe. A l’occasion d’une étude publiée le 27 août par Biology Letters, un duo d’anthropologues américains (parfaitement coordonnés) s’est quant à lui demandé si la synchronisation chez Homo sapiensn’avait pas des effets cachés dans la perception des autres, notamment en cas de conflit. Le raisonnement de Daniel Fessler et Colin Holbrook, de l’université de Californie à Los Angeles (UCLA), est le suivant : si on se sent plus fort en agissant à l’unisson, ne va-t-on pas percevoir l’adversaire comme moins dangereux et moins baraqué qu’il n’est ?
« INTUITION VISUELLE »
Les zones de guerre ne manquent pas de par le monde mais, n’étant pas sûrs de pouvoir contrôler en même temps les conditions expérimentales et l’étanchéité de leur épiderme, MM. Fessler et Holbrook ont préféré mener leur test sur le campus de l’UCLA. Une centaine d’étudiants ont été enrôlés pour une étude qui taisait son but véritable et se présentait comme une évaluation du lien entre exercice physique et, je cite, « intuition visuelle ». Seuls des cobayes mâles ont été choisis car ceux-ci, dit l’article, s’avèrent « particulièrement sensibles à la possibilité d’une action violente de groupe ». Pour le dire autrement, les garçons sont experts ès baston.
Deux par deux, 96 hommes ont parcouru un petit quart de kilomètre. Dans une moitié de la cohorte – le groupe témoin –, les sujets marchaient librement, tandis que, dans l’autre moitié, ils devaient synchroniser leurs pas. Dans la foulée, si l’on peut dire, tous les « cobayes » remplissaient le questionnaire sur l’intuition visuelle.
PALETTE DE SIX SILHOUETTES
Parmi les tests futiles semés ici et là pour brouiller les pistes (combien y a-t-il de couleurs différentes dans cette boîte de bonbons photographiée en noir et blanc ? quel est l’âge maximum que vous donneriez à cette femme ? – oui, pour égarer un mâle, on lui parle de filles et de friandises), il y avait plusieurs questions reliées au portrait d’un supposé criminel, un homme dont seul le visage détouré était visible. L’individu patibulaire fixait l’objectif, sourcils froncés et lèvres pincées, avec l’air de se demander s’il allait vous découper à la scie sauteuse ou à la tronçonneuse.
Les participants devaient évaluer, je cite encore, les « attributs corporels » de ce bougre, c’est-à-dire estimer, sur une palette de six silhouettes, sa taille (de nabot à double mètre) et sa musculature (de gringalet à Rambo). Les hommes qui s’étaient déplacés au pas cadencé ont rapetissé le pseudo-méchant par rapport aux résultats du groupe témoin. Comme si avoir fait corps avec un autre homme (en tout bien tout honneur, voyons…) rendait tout à coup l’ennemi moins menaçant, moins impressionnant, plus « prenable ».
En conclusion, les auteurs en viennent même à se demander si la synchronisation des comportements, en diminuant la perception du risque qu’il y aurait à se battre, ne provoquerait pas une augmentation des attitudes belliqueuses, y compris dans les stades. De la ola au hooligan, n’y aurait-il qu’un pas, celui de l’oie ?
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