Le conflit s'envenime à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine). Les quatre parents reclus dans la chapelle de l'hôpital ont été délogés par les forces de l'ordre dans la matinée du 6 juillet. Ils s'étaient mis en grève de la faim dix jours auparavant pour militer contre la fermeture du service d'oncologie pédiatrique de l'hôpital, dirigé par le docteur Nicole Delépine. Le dossier, hautement sensible, suscite une large émotion et embarrasse l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) comme les autorités de santé.
La disparition programmée du service est liée au départ à la retraite de la chef de service et cancérologue Nicole Delépine, dont les méthodes de traitement du cancer divisent la profession. Une pétition de soutien demandant le maintien du service a déjà recueilli 61 000 signatures.
L'AP-HP avait annoncé en avril le transfert de ce service à l'hôpital Ambroise-Paré dans la ville voisine de Boulogne-Billancourt, provoquant la colère des familles de malades. Celles-ci réclament au contraire la pérennisation du service, dont les méthodes de traitement du cancer représentent pour elles une alternative unique en France.
DES MÉTHODES EN QUESTION
Depuis deux jours, les grévistes refusaient de se faire examiner par un médecin et s'étaient enfermés à double tour dans la chapelle. Estimant que leur vie était mise en danger, l'AP-HP a ordonné leur évacuation.
Les familles, elles, maintiennent leurs revendications. Le docteur Delépine fait débat depuis les années 1990 en mettant en œuvre des méthodes individualisées de traitement des cancers par chimiothérapie. Sa méthode ? Modifier les doses administrées aux patients en fonction de ce qu'ils arrivent à supporter.
« Nicole Delépine utilise des doses deux à trois fois supérieures à ce qui est prescrit dans les protocoles entérinés par les autorités médicales compétentes », explique le professeur Bertrand Chevallier, chef du pôle pédiatrie du groupe hospitalier Paris Ile-de-France- Ouest, dont dépendent les hôpitaux Raymond-Poincaré et Ambroise-Paré.
UNE CINQUANTAINE DE PATIENTS PAR AN
Le docteur Delépine ne s'en défend pas, au contraire. Elle lutte depuis trente ans pour que ces protocoles soient plus flexibles. « Chaque patient réagit différemment au traitement. Il faut savoir l'adapter. Des recherches menées dans les années 1980 et que je pratique ont prouvé qu'on pouvait le faire », affirme-t-elle.
Le docteur Delépine s'oppose aussi à la pratique d'essais thérapeutiques sur les patients pour améliorer la recherche. Elle affirme, comme plusieurs familles rencontrées par Le Monde,que les enfants seraient intégrés dans ces essais sans que leurs parents en soient correctement informés – des accusations fermement démenties par l'AP-HP. C'est pour éviter ce risque que des familles choisissent de solliciter le service du docteur Delépine, qui accueille une cinquantaine de patients par an sur les quelque 2 000 cancers pédiatriques recensés en France chaque année.
Si le professeur Chevallier reconnaît que « Nicole Delépine maîtrise très bien cette technique médicale », il déplore en revanche qu'elle n'offre pas un accès transparent à ses résultats. « Quand on prodigue un nouveau traitement, il faut en demander l'accord à un comité éthique », observe-t-il.
CONTRÔLER LES RÉSULTATS
Spécialiste des cancers osseux, le docteur Delépine revendique des taux de rémission à cinq ans entre 80 % et 90 %. Ailleurs, en moyenne, « le taux de survie à cinq ans pour les tumeurs osseuses était de 65 % », selon l'observatoire régional de santé Ile-de-France, en 2007. Les chiffres avancés par Nicole Delépine font débat : ils ne sont pas vérifiables, pas plus que ceux des autres établissements. Le docteur Delépine se dit favorable à un contrôle de ses résultats, à condition que des services similaires fassent de même et qu'une vraie comparaison soit possible.
L'AP-HP s'est engagée par écrit auprès des parents à poursuivre les méthodes du docteur Delépine même si le service de pédiatrie est transféré à Ambroise-Paré. Les familles, reçues dimanche 6 juillet pendant plus de deux heures, s'inquiètent pour le long terme. « Et si nos enfants font une rechute au bout de dix ans, quelle méthode appliquerez-vous ? », demande l'un. « Qu'en sera-t-il pour les nouvelles familles qui veulent bénéficier de ce traitement ? », questionne une autre.
Le professeur Chevallier assure au Monde que « si les techniques du docteur Delépine s'avèrent efficaces, n'hésitera pas à les faire approuver et à les appliquer à de nouveaux patients dans le futur ».
En attendant, les familles ont été accueillies dans l'école primaire privée Sainte-Geneviève dans la commune du Port-Marly (Yvelines). « Je considère qu'on ne les a pas traitées humainement. Ils continuent leur grève de la faim chez moi et ils se battront jusqu'au bout », conclut le Père De Blignières.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire