Ce matin-là d'avril, dans le dispensaire de Médecins du monde (MDM) de Pérama, une banlieue populaire d'Athènes, c'est jour de vaccination. Des dizaines d'enfants s'agitent et jouent dans les couloirs ou patientent dans les bras de leurs parents. La file d'attente court jusque dans la rue. « Ce sont à 85 % des familles grecques alors qu'il y a encore quatre ans, avant la crise, nous soignions principalement des immigrés », explique Anna Maïli, pédiatre et présidente de MDM Grèce, qui assure l'accueil ce jour-là.
Théano, 4 ans, entre dans la salle de soins. Pas très rassurée, elle tend consciencieusement son carnet de vaccination alors que sa grand-mère explique que son fils et sa belle-fille étant au chômage, c'est elle qui prend désormais soin de la petite. « Il manque au moins quatre rappels de vaccins sur ce carnet, évalue rapidement la pédiatre, dont un contre le pneumocoque qu'il est urgent de faire. »
Quelques minutes, un peu de larmes et trois bonbons plus tard, Théano repart. La famille suivante est un couple gréco-hollandais, au chômage depuis un an et, qui n'a plus les moyens de payer les 80 euros que leur coûterait le vaccin contre l'hépatite A dont leur petit garçon de 3 ans a besoin.
3 MILLIONS DE PERSONNES EXCLUES DU SYSTÈME DE SANTÉ
En Grèce, devenir chômeur, c'est perdre dans l'année qui suit sa couverture médicale. Avec un taux de chômage à 27 % de la population active, ce sont aujourd'hui, selon MDM, 3 millions de personnes qui se retrouveraient totalement exclues du système de santé public. « Nous voyons passer de nombreux anciens petits entrepreneurs qui, il y a peu encore, étaient en mesure de payer les cotisations sociales leur permettant de s'assurer », raconte Anna Maïli.
Selon les chiffres de la Confédération nationale du commerce grec, près de 250 000 sociétés ont ainsi mis la clé sous la porte depuis 2010 et, au delà du propriétaire lui-même, ce sont souvent tous ses ayants droit, femme et enfants, qui cessent d'être couverts par la sécurité sociale.
Mélina est une jeune femme de 29 ans. Licenciée il y a deux ans de son poste d'assistante juridique, elle n'a pas retrouvé d'emploi. Son mari, architecte, a lui aussi perdu son travail il y a treize mois. Depuis, ils vivent sur leurs économies. « Lorsque je suis tombée enceinte, il y a quatre mois, j'ai eu peur au lieu de me réjouir, avoue cette jolie brune. N'ayant pas d'assurance, je dois payer pour tous les examens prénataux et je sais qu'en accouchant dans le public, je devrai débourser entre 600 et 1 200 euros. En tout, cette grossesse va nous coûter environ 2 500 euros – que je n'ai pas – et cela m'angoisse énormément. »
Des patients atteints de maladies graves sont même tentés de renoncer à se soigner. Aghios Savas est le premier hôpital oncologique du pays. Ici, comme dans l'ensemble du secteur de la santé, les coupes budgétaires à répétition imposées depuis 2010 dans le cadre de l'effort général de réduction des dépenses de l'Etat, ont entraîné de lourds dysfonctionnements, selon le docteur Yiannis Scarlatos, chef du service de radiothérapie.
HÔPITAUX TRANSFORMÉS EN SIMPLES CENTRES DE SOINS
« Les départs à la retraite ne sont pas remplacés et cycliquement, nous avons des ruptures en matériel ou médicaments. Mais notre plus gros souci, c'est la prise en charge des patients non assurés. »
Ce médecin expérimenté s'appuie sur les réseaux de dispensaires sociaux qui se multiplient dans le pays pour trouver, si nécessaire, les médicaments – pouvant parfois atteindre 4 000 euros par mois – pour les patients qui peuvent se soigner à domicile. « Le problème, c'est lorsqu'ils doivent être hospitalisés. Nous, les médecins, mettons tout en œuvre pour qu'ils soient acceptés, mais certains résistent car ils savent qu'à la sortie, ils ne pourront pas payer la facture. Le service comptable de l'hôpital transférera alors cette facture au service des impôts, qui pourra aller jusqu'à saisir les biens du patient pour qu'il paie ce qu'il doit », se désole M. Scarlatos.
Une étude de la très sérieuse revue scientifique britannique The Lancet, publiée le 21 février, a établi un lien direct entre crise économique et dégradation de la santé des Grecs. La part du budget affectée à la santé est passée de 10,03 % du PIB en 2009 à 9,16 % en 2012, selon l'autorité statistique hellénique. Pour le gouvernement, cette baisse traduit un effort de rationnalisation et de lutte contre le gaspillage et les abus observés notamment dans les dépenses pharmaceutiques. Des sommes qui s'élevaient en 2009 à 5,6 milliards, et ramenées en 2013 à 2,37 milliards.
Mais avec 10 000 lits supprimés, neuf hôpitaux transformés en simples centres de soins ou encore avec le système de santé primaire en pleine réforme, c'est toute l'offre de santé publique qui se rétrécit depuis quatre ans, y compris pour les patients bénéficiant de la sécurité sociale. Seule solution, pour les Grecs pouvant se le permettre : souscrire une assurance privée, passeport pour l'excellent réseau de cliniques privées du pays. On peut parler en Grèce d'un système de santé à deux vitesses.
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