30/04/2014
« Nos capacités de traitement des infections bactériennes sont en train de diminuer. C’est un phénomène global qui fait que chacun d’entre nous peut être concerné. » Le ton du Dr Johanna Strume, du département « Pandémie et maladies épidémiques » de l’Organisation mondiale de la santé se veut alarmiste à l’occasion de cette conférence de presse organisée pour la remise dupremier rapport mondial sur la résistance aux antibiotiques. L’OMS a estimé que la menace que représentent les souches de bactéries multirestantes n’est plus une prévision, mais bien une réalité dans chaque région du monde, et que tout un chacun, quel que soit et son pays, peut être touché.
Selon le Dr Keiji Fukuda, sous-directeur général de l’OMS pour la sécurité sanitaire, « À moins que les nombreux acteurs concernés agissent d’urgence, de manière coordonnée, le monde s’achemine vers une ère postantibiotique ».
Peu de pays répondeurs
Le rapport dresse une photographie de l’état des résistances de sept bactéries ou familles de bactéries : le mycobacterium de la tuberculose, les Klebsiella pneumoniae, le Staphylocoque doré, le Streptococcus pneumoniae, les Salmonella non typhiques, le gonocoque ainsi que plusieurs espèces de Shigella. Pour chacune d’entre elles, l’OMS s’est interrogée sur la présence dans chaque pays de résistance à des antibiotiques comme les céphalosporines de 3e génération, les fluoroquinolones ou les carbapénèmes. En tout, ce sont neuf combinaisons antibiotiques-bactéries qui ont été considérées.
Sur les 194 pays sollicités par l’OMS pour la constitution de son rapport, 114 étaient en mesure de fournir des données sur l’existence de résistances pour au moins une de ces combinaisons, et seulement 22 pays ont pu renseigner l’OMS sur toutes les combinaisons demandées. En outre beaucoup de pays basaient leurs informations sur un petit nombre de bactéries isolées et testées, ajoutant encore de l’incertitude aux conclusions de l’OMS qui regrette l’absence de consensus international sur la méthodologie et la collecte de données sur les résistances bactériennes.
Dans la plupart des pays, cette surveillance s’appuie seulement sur des prélèvements réalisés sur des patients souffrant d’infections sévères, la plupart du temps nosocomiales, et chez qui un traitement de première ligne a échoué. Selon l’OMS ces lacunes dans la surveillance provoquent une sous représentation des infections communautaires, et ont gêné la réalisation de ce rapport. Le manque de donnée « ne nous permet pas de fournir la prévalence des infections par des souches multirésistantes », a expliqué Carmem Pessoa, responsable de l’équipe dédiée à l’étude des résistances microbiennes au sein de l’OMS, « il va falloir plus d’enquêtes, et surtout une meilleure surveillance. De plus, il faudrait que plus de pays exercent une surveillance vétérinaire des résistances bactériennes. »
Plus de morts attendus dans les années à venir
Bien qu’incomplètes, les données de l’OMS sont particulièrement inquiétantes. « Nous devons nous attendre à voir de plus en plus de morts par infections dans les années à venir, a constaté Johan Strume,surtout parmi les patients les plus vulnérables : les bébés prématurés, les patients immunodéprimés, séropositifs ou qui viennent de subir un acte chirurgical lourd. »
On retrouve des Escherichia coli résistantes aux céphalosporines de troisième génération dans 86 pays répartis et résistantes aux fluoroquinolones dans 92 pays. De même, des souches de staphylocoques dorés multirésistantes étaient signalées dans 85 pays.
En ce qui concerne les Streptococcus pneumoniae, seulement 67 pays étaient en mesure de fournir des informations sur les éventuelles résistances de cette bactérie dont les infections sont principalement communautaires. L’OMS note cependant que des souches résistantes à la pénicilline étaient repérées dans tous les continents.
Des solutions globales à un problème global
« C’est le bon moment pour publier ce rapport, a estimé Keiji Fukuda,nous sentons qu’une transition s’opère lors de nos discussions que les décideurs politiques commencent à prendre conscience que l’on ne réglera pas le problème en s’y attaquant pays par pays et bactérie par bactérie. Il faut une réponse globale et coordonnées. » Les responsables de l’OMS ont rappelé l’importance de l’éducation de la population et de l’utilisation raisonnée des antibiotiques. Ils ont également estimé qu’il fallait développer une réflexion autour de du passage des antibiotiques de l’état de « biens commerciaux » à celui de « biens publics » dont les risques et les coûts liés au développement seraient assumés conjointement par les pouvoirs publics et les compagnies pharmaceutiques.
Damien Coulomb
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