A Paris, des médecins du monde
entier ont confronté leur pratique face à des cas limites au congrès d’éthique
clinique.
Cinq cents participants, venus de
plus de 30 pays : l’éthique clinique sort peu à peu de sa tanière et commence à
s’afficher. La semaine dernière s’est tenue, pour la première fois à Paris, la
Conférence internationale d’éthique clinique (ICCEC). L’éthique clinique ?
C’est un drôle de mot, ou plutôt une nouvelle pratique.
Conflit.
«Il s’agit moins de réfléchir au plan des principes,explique le Dr
Véronique Fournier qui a présidé la rencontre de l’ICCEC, que
de se confronter à la réalité des enjeux éthiques que posent la médecine en
général et ses avancées technologiques en particulier.» Médecin, elle dirige le centre
d’éthique clinique de l’hôpital Cochin, à Paris. Et précise : «Il
ne s’agit pas de savoir, par exemple, si on est pour ou contre l’aide active à
mourir, mais d’accompagner les différents protagonistes quand ils sont
confrontés à une situation de ce genre avec une idée : comment prendre la moins
mauvaise décision ? Comment faire en sorte que chacun soit entendu ?»
Plusieurs dizaines
d’hôpitaux dans le monde ont ainsi créé des structures d’éthique clinique,
certaines se centrant sur l’aide à la décision pour les médecins, d’autres
cherchant, à partir de cas, à édicter des règles plus générales. En France, on
en compte deux, l’une à Cochin donc, et l’autre au CHU de Nantes. Toutes les
deux sont issues plus ou moins directement de la loi sur les droits des malades
de 2002, et peuvent être saisies par un patient, un proche ou un soignant face
à une décision conflictuelle. Puis le centre, après une enquête, rend un avis
qui n’est pas contraignant mais peut permettre de dénouer le conflit.
Voix. Cette année, le thème du congrès tombait à pic : la voix
du patient. «Tout
doit se faire pour que l’on entende les sans-voix», a insisté Jean-Claude Ameisen,
président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). «Certes, lui a répondu Christian Saout, longtemps
président du Collectif des usagers de la santé, mais pourquoi se fait-il qu’en
France, il n’y ait aucune voix de patient au CCNE ?» Daniel Defert, fondateur d’Aides,
s’interrogeant : «Prenons garde à ce que l’éthique ne serve pas à
éviter un questionnement politique, une histoire individuelle s’inscrit aussi
dans un contexte, politique, social, culturel.» Au-delà de ces interrogations,
l’éthique clinique, ce sont des situations précises, des visages, des demandes
parfois limites. Et des choix imparfaits.
28 AVRIL 2014
Laisser
un dément s’envoyer en l’air
C’est une
situation de plus en plus fréquente qui laisse les équipes dans le désarroi,
celles-ci réclamant de plus en plus «des guides de bonne pratique».
Elizabeth
Victor est professeure de philosophie à l’université de Grand Valley State, aux
Etats-Unis. Lors d’un atelier au congrès, elle a raconté ce cas : l’histoire de
Jack et Jannie, un vieux couple de 75 ans. Jannie est atteinte de démence.
Catholique pratiquante, elle a toujours vécu dans la foi et la monogamie. Son
mari, ne pouvant plus s’occuper d’elle, il la fait entrer dans une maison de
retraite. Là, Jannie perd de plus en plus la tête. Elle ne reconnaît plus Jack,
mais elle n’est pas malheureuse. Elle ne veut plus que son mari la touche, elle
refuse tout geste de tendresse. Récemment, elle a eu une relation sexuelle avec
un autre résident, lui aussi atteint de forts troubles cognitifs. Ce dernier
est veuf mais il est persuadé que Jannie est son ancienne femme. L’équipe de la
maison de retraite est perdue. D’autant que les deux nouveaux amoureux semblent«plutôt
heureux». Faut-il se taire, prévenir Jack, le mari ?«Laisser faire,
n’est-ce pas trahir la personne qu’a été Jannie», se demande la
philosophe. «En même temps, la priver de toute activité sexuelle,
n’est-ce pas la mutiler» ?
Autre
histoire, celle de Earl, 82 ans. Il présente des signes de déclin de ses
capacités, et on évoque un début d’Alzheimer. Son fils décide alors de le
mettre dans un lieu spécialisé, mais ne peut lui rendre souvent visite, en
raison de son travail. Earl s’est marié jeune, et sa femme est morte depuis
dix ans. Selon son fils, il est resté depuis célibataire. Sauf que
les soignants de l’institution ont découvert qu’Earl avait des relations
homosexuelles avec différents patients, et ils en ont été d’autant plus
désarçonnés que le veuf présentait une «apparente désinhibition». Récemment,
quand le fils est venu rendre visite à son père, il l’a vu main dans la main
avec un autre homme. Le fils était furieux, très en colère contre les
soignants. «Que faire ?» s’est juste demandé Elizabeth Victor. «Laisser faire.»
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