«L’atmosphère est tout de suite plus studieuse»
REPORTAGE L’école des Platanes
d’Abbeville applique le «Plus de maîtres que de classes», dispositif phare de
la refondation contre l’échec scolaire.
«Tu as écrit "chevale". As-tu vraiment
besoin de faire chanter le "l" avec un "e" ?» Courbé
derrière l’élève, Christophe Tixier désigne du doigt le mot mal orthographié.
Pierre efface vite la lettre incongrue. Le professeur tourne autour de la table
installée au fond de la classe, où cinq élèves de CP planchent sur des
exercices de français. «Tu es sûr que le "r" monte jusqu’au deuxième
interligne ?» demande-t-il à Enzo du même ton patient. «Là, tu vois une niche :
comment vas-tu écrire le son "ch" ?» enchaîne-t-il à l’adresse de
Mathieu, perplexe devant sa feuille, crayon dans la bouche.
Pendant que Christophe Tixier s’occupe de ses
élèves, l’enseignante de la classe de CP, Caroline Paroïelle, 30 ans, continue
son cours comme si de rien n’était : «Nous allons faire une dictée, mais
attention, il y a des pièges et, cette fois, je ne vous les dirai pas.»
Plusieurs poussent de gros soupirs. La prof commence lentement à dicter : «Le
peintre a mis de la peinture…»Elle poursuit très distinctement en passant entre
les bureaux : «…de la peinture blanche et jaune.»
«Encodage». Chaque matin, deux enseignants cohabitent ainsi
dans la classe de CP de la petite école des Platanes d’Abbeville, dans la
Somme. Dans le cadre du dispositif baptisé «Plus de maîtres que de classes», à
côté de l’enseignante attitrée, Christophe Tixier, qui n’a pas de classe à
charge, prend en soutien les élèves les plus en difficulté pour une séance de
trois quarts d’heure. Il intervient deux fois par jour en CP. «Le matin, je
fais travailler "l’encodage", c’est-à-dire la capacité à déchiffrer
et à former des mots, explique-t-il. L’après-midi, je passe à la lecture. Comme
il faut parler, nous allons en bibliothèque pour ne pas déranger la classe.»
Dans le cadre de la refondation de l’école, François Hollande a donné la
priorité au primaire, notamment avec ce dispositif phare, le Plus de maîtres
que de classes, lancé à la rentrée.
L’idée est que l’échec scolaire se joue très tôt,
dès l’élémentaire, et il touche davantage les enfants de milieux défavorisés.
Pour lutter contre l’échec et les inégalités, un maître surnuméraire va être
nommé dans les écoles en difficulté, généralement situées en zone d’éducation
prioritaire (ZEP). Il devra se concentrer sur les élèves fragiles, renforcer
leurs bases en français et en calcul, leur redonner confiance… L’objectif est
aussi de faire évoluer la pédagogie, d’encourager l’innovation et le travail
d’équipe.
Stratagèmes. Pour sa première année, le dispositif a été mis
en place dans 1 400 écoles - 20 dans la Somme. Au terme du quinquennat,
l’ex-ministre de l’Education Vincent Peillon avait envisagé d’y allouer 700
postes. Mais devant la poussée démographique plus forte que prévue en primaire,
les syndicats enseignants s’inquiètent, voire doutent. «Il faudra d’abord créer
des postes pour faire face au nombre d’enfants supplémentaires», estiment-ils.
Dans la Somme, sont prévus à la rentrée prochaine quatre postes de plus pour
l’opération Plus de maîtres que de classes. L’école des Platanes, un bâtiment
crème entouré de pelouse, est située en zone urbaine sensible (ZUS), au milieu
d’un petit quartier HLM dont les immeubles de trois étages ont été récemment
repeints. Mais elle n’est pas classée ZEP. «Nous répondons pourtant aux
critères», estime le directeur, Nicolas Trohel, 38 ans, par ailleurs
instituteur en CM1-CM2. La plupart des familles ont des revenus modestes et le chômage
est important. Les enfants sont souvent plusieurs dans une chambre, d’autres
s’endorment devant la télé… Ils sortent peu du quartier, même pour le festival
annuel de l’Oiseau qui se déroule ces jours-ci dans la ville.
Les résultats scolaires de l’école des Platanes
sont inférieurs à la moyenne nationale. Du coup, les familles qui le peuvent
évitent d’y mettre leurs enfants, usant de stratagèmes pour les inscrire dans
un établissement plus réputé ou se repliant sur le privé. En quelques années,
l’école, qui comptait six classes, en a perdu deux et n’accueille plus que 87
élèves - en CP, CE1, CE2-CM1 et CM1-CM2. Les salles du rez-de-chaussée restent
donc fermées la journée, volets clos. Elles ne sont plus utilisées que pour les
activités de fin d’après-midi - les écoles d’Abbeville sont passées aux quatre
jours et demi en septembre - et pour le centre aéré du mercredi.
L’équipe n’a dès lors pas hésité lorsqu’elle s’est
vu proposer ce nouveau dispositif. Et Christophe Tixier a été accueilli à bras
ouverts. Volontaire pour le poste, cet enseignant expérimenté de 40 ans avait
envie de s’investir. «J’ai fait beaucoup de CP et de Clis [classes pour
l’inclusion scolaire, destinées aux enfants handicapés, ndlr], explique-t-il.
Je me sentais assez bien armé.»
Ce vendredi, il a commencé sa matinée avec quatre
CM1 faibles en français, dans la bibliothèque du premier étage. Il les prend
deux fois par semaine pour leur faire travailler les textes narratifs. Théo et
Laurine ont lu une histoire tandis que leurs deux camarades, Adrien et Flavie,
en lisaient une autre. Ils doivent maintenant la raconter le plus clairement
possible et dans les détails…
«C’est un monsieur, Paul Aldron, qui est chauffeur
de camions et qui est amateur de billard, commence Laurine. - Il a dit qu’il
était malade à son patron pour assister à son sport favori, pour les
championnats de billard à la télévision, complète Théo, et le lendemain, il a
récupéré son travail. - Pourquoi il avait perdu son travail ? interrompt le
professeur. Soyez précis. - Il est retourné à son travail», corrige Laurine.
La suite est un peu confuse. On comprend que Paul
Aldron a été licencié. Mais pourquoi ? «Il a été mis à la porte parce qu’il
jouait au billard», tente Flavie d’une voix hésitante. «Dix millions de personnes
regardent les championnats à la télé, peut-être que son patron l’a reconnu et
qu’il a été invité à la télé», intervient Théo.
«Palette». Pendant près d’une heure, Christophe Tixier
encourage les élèves à s’exprimer et à échanger. Il reprend des tournures,
corrige la syntaxe, leur apprend des mots… «Le principal problème est le manque
de vocabulaire, explique-t-il. Ils possèdent un lexique de base, mais ils n’ont
pas toute la palette lexicale. Il leur manque parfois des mots pour exprimer
des émotions.»
«Ardoises».
En fin de matinée, il enchaîne en
maths avec des CE1. Cette fois, il fait de la «co-intervention» avec
l’enseignante. Au programme, du calcul raisonné. «Quel est le double de 12 ?»
commence l’institutrice Elise Bourdon, 24 ans. Pendant que les élèves
travaillent, Christophe Tixier circule entre les bureaux, en aide certains avec
un œil sur les élèves qu’il a déjà repérés comme en difficulté. «Ne levez pas
vos ardoises tout de suite, lance l’institutrice, il faut laisser la chance aux
autres de trouver, tout le monde ne va pas à la même allure.» Une évaluation
sera faite à la fin de l’année. Puis un bilan plus approfondi sera tiré au bout
de trois ans. A l’école des Platanes, l’équipe se dit déjà satisfaite.
«L’intérêt d’être à deux en classe est que les élèves sont plus sollicités.
L’atmosphère est tout de suite plus studieuse», explique Elise Bourdon. «Cela
permet de consacrer plus de temps aux élèves moyens, souligne Caroline
Paroïelle, car on les oublie un peu quand on s’occupe des plus faibles.»
«Pour que ça marche, estime Christophe Tixier, il
est indispensable que l’équipe s’entende bien.» Il est interrompu par une
collègue qui a apporté des gâteaux et propose de les goûter pendant la récré.
Personne ne refuse.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire