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mardi 20 août 2013

Un site d’aide aux justiciables aux abords de la chasse gardée des avocats

Demanderjustice.com permet aux internautes de monter eux-mêmes leurs dossiers dans leurs procédures judiciaires. Le barreau de Paris s’alarme.

Sur le site internet, les garagistes ont droit à un onglet particulier. Il y a aussi une case «voisinage», une autre consacrée aux «opérateurs télécom» ou à l’«immobilier-habitation». Le siteDemanderjustice.com veut «accompagner» les internautes dans leurs procédures judiciaires. Quelques clics (et 29,90 euros) plus tard, voilà une demande de règlement à l’amiable envoyée à votre proprio. Il ne répond pas ? Quelques clics encore (+69,90 euros), et c’est un dossier complet qui atterrit sur le bureau d’un juge d’instance. Selon ses deux jeunes dirigeants, 40 000 dossiers ont été montés via le site depuis sa création il y a à peine un an. Depuis, ils ont lancé un site, Saisirprudhommes.com, et comptent s’ouvrir aux actions collectives (que la loi est en train d’instaurer en France) et aux loyers impayés.

L’affaire met en émoi une partie des avocats. Le barreau de Paris a fait un signalement au parquet. «Dans le cadre de notre lutte contre les "pirates du droit", nous nous demandons si Demanderjustice.com ne contrevient pas aux dispositions de la loi, prévient Myriam Lasry, présidente de la commission de réglementation de l’exercice du droit du barreau de Paris. Dans l’attente des résultats de l’enquête du parquet, nous mettons en garde les justiciables.»
Le conseil juridique est en effet très réglementé : la loi de 1971 réserve à l’avocat le pouvoir de donner des consultations juridiques, de rédiger les actes, d’assister et de représenter les justiciables.
«algorithme». Le triomphalisme teinté d’une fraîche condescendance de Jérémy Oinino et Léonard Sellem, ex-HEC et ingénieur, les fondateurs de Demanderjustice.com, ne calmeront pas les esprits : «La réaction des avocats est naturelle face à quelque chose de nouveau. Fin 2013, nous représenterons entre 10 et 20% de l’ensemble des saisines du juge de proximité.» Chiffre impossible à vérifier.
Beau cas d’école : en évitant de passer par un avocat, le site représente-t-il un danger pour des justiciables qui seraient alors moins protégés ? Ou permet-il au contraire, comme l’assurent ses deux créateurs, de rapprocher la justice du citoyen, en facilitant les démarches ? Selon eux, Demanderjustice.com ne fait pas de conseil juridique : il ne tombe donc pas sous le coup de la loi de 1971.
Leur défense est rodée : «Jamais nous ne rentrons dans les dossiers individuels. C’est le justiciable, qui, à l’aide de modèles, coche des cases, complète les informations et scanne les pièces nécessaires à la constitution du dossier.»Leur argumentaire martelé : «Tout est traité de manière industrielle, normée : il n’y a pas d’intervention humaine. Nous ne sommes pas des conseils, nous sommes des inventeurs de logiciel. C’est le logiciel qui cherche le tribunal compétent pour votre litige en se basant sur un algorithme, c’est lui qui trouve le Kbis [extrait du registre du commerce et des sociétés, ndlr] de l’entreprise que vous voulez attaquer grâce aux bases de données existantes. Il génère un dossier complet, avec timbre fiscal dématérialisé et signature électronique, qui est envoyé à votre adversaire en lettre recommandée par un centre de tri automatique.
Selon eux, la moitié des conflits sont résolus après l’envoi d’une procédure à l’amiable. «Un dossier complet, ça inquiète davantage votre adversaire qu’une demande sur une feuille de papier libre.»Un tiers finit au tribunal, le reste est abandonné. «La loi offre la possibilité au justiciable de saisir la justice par lui-même, nous, on lui simplifie la tâche, sinon personne ne le fera, plaident Jérémy Oinino et Léonard Sellem. Les personnes qui nous appellent n’ont jamais saisi les tribunaux ni vu d’avocat de leur vie. Il faut démystifier la justice, expliquer les étapes.» A les écouter, les avocats auraient tort de se plaindre : «Ceux qui se tournent vers nous pour de si petits litiges (800 à 1 200 euros en moyenne) n’auraient jamais été en justice s’il avait fallu payer un avocat. On augmente le nombre d’affaires devant les tribunaux, et nos adversaires, eux, saisissent toujours leurs conseils…»
Free a lui aussi contesté en justice les procédures passées par le site.«L’acte ne comporte pas de signature manuscrite et il a été fait par un tiers, non habilité à représenter le plaignant», explique Laurent Douchain, l’avocat de l’opérateur télécom. En avril, le tribunal d’instance du IIe arrondissement de Paris a donné raison à l’opérateur. Un mois plus tôt, celui d’Antibes se rangeait du côté de Demanderjustice.com.
Chancellerie. Pendant ce temps, les deux chefs d’entreprise ont entrepris «un travail de pédagogie» auprès des tribunaux. Rencontres avec les dirigeants de l’école des greffes, l’Association nationale des juges de proximité, le ministère de la Justice… Malins, ils se sont attaché les services d’un conseil, Guillaume Didier, magistrat de formation et ancien porte-parole de la chancellerie sous Rachida Dati et Michèle Alliot-Marie.
Ce dernier a déjà plaidé la cause de Demanderjustice.com auprès de l’actuelle chancellerie, qui planche sur le dossier. Car celui-ci pose une dernière question : celle du rôle de l’Etat et des missions qu’il laisse, de fait, au privé. Avec l’informatisation des tribunaux, le service public de la justice n’aurait-il pas dû faciliter lui-même l’accès au juge, complexe et intimidant ? «Les avocats auraient hurlé. Jamais l’Etat n’y serait parvenu», analyse une bonne connaisseuse du système.

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