«Mère porteuse, je le referai seulement si j’ai vraiment besoin d’argent»
23 juin 2013
A Bangalore, un centre recrute des femmes et les accompagne durant leur grossesse rémunérée.
Une odeur de peinture fraîche émane des locaux du Base Fertility Center, clinique spécialisée dans la gestation pour autrui (GPA) installée au troisième étage d’un building commercial, au-dessus d’un magasin de tissu. Dans la salle d’attente une trentaine, de couples patientent devant un clip de Bollywood. Le manager de la clinique, sourire affable, reçoit dans son bureau. «Après Ahmedabad et Bombay, notre ville devient un centre majeur de GPA en Inde»,se réjouit K. R. Chandrakanth.
Cette pratique est légale dans le pays depuis 2002, et théoriquement encadrée par un code de bonne conduite. «Adopter en Inde prend au minimum quatre ans, et les procédures sont très complexes, poursuit le responsable. Les couples préfèrent recourir à une mère porteuse.»Une activité que Base développe depuis 2007 avec 110 naissances à son actif. «La plupart des parents sont de la région, mais nous avons aussi beaucoup d’Indiens de l’étranger et quelques Européens», se félicite-t-il. Le forfait coûte 17 000 euros, quatre fois moins cher qu’aux Etats-Unis… La mère porteuse, elle, touchera 3 000 euros si la grossesse arrive à terme et seulement une partie de la somme si elle fait une fausse couche ou doit avorter à cause d’un fœtus mal formé.
Annonces télévisées. «Nous choisissons nos candidates avec soin,insiste le manager, il faut qu’elles soient en bonne condition physique et psychologique.» Le recrutement se fait par le bouche à oreille ou via des annonces télévisées. Autre critère essentiel, ces femmes doivent déjà être mères, ayant ainsi prouvé leur capacité à porter un enfant. Durant toute leur grossesse, elles resteront sous observation médicale, cloîtrées dans un bâtiment et séparées de leur famille qui ne pourra leur rendre visite que le week-end. «Impossible de prendre le moindre risque ! C’est notre responsabilité, déclare Chandrakanth.Que dirions-nous au couple qui a dépensé des milliers d’euros ?»
Le commerce des utérus reste controversé à Bangalore. Il y a deux ans, l’adjoint au maire a accusé le patron de Base d’exploiter des femmes innocentes et de piétiner les valeurs morales indiennes. Dans une ruelle paisible d’un quartier sud de la ville, un immeuble banal, à la façade de verre, est gardé par un homme armé. C’est l’une des Surrogate House de Base, où sont hébergées une quarantaine de mères. Padma, jeune femme souriante, supervise le lieu. Elle aussi a été mère porteuse. «J’ai eu des jumelles, elles sont parties en Australie», explique-t-elle. Dans un dortoir d’une dizaine de lits, des femmes au ventre rond sont assoupies, tandis que d’autres entament un plat de riz et de légumes devant une série télévisée. Toutes sont dans leurs derniers mois de grossesse et attendent patiemment leur délivrance. «Elles ont des séances de soutien psychologique pour ne pas s’attacher au bébé», précise Padma. Le jour de l’accouchement, les parents biologiques décideront si la mère porteuse a le droit ou non de voir le nouveau-né.
Village. Jeune veuve et couverte de dettes, Priya, 27 ans, ne s’en sortait pas avec un maigre salaire de réceptionniste. «Des amies m’ont parlé de cette clinique, elles-mêmes avaient vendu leurs ovules ici», raconte-t-elle. Son fils de 10 ans est gardé par sa grand-mère depuis sept mois. «Etre mère porteuse, je le referai seulement si j’ai vraiment besoin d’argent. C’est dur et puis il y a l’angoisse de ne pas arriver à terme»,ajoute-t-elle, affirmant qu’elle aimerait bien connaître les parents du bébé qui habitent à l’étranger : «Je penserai à lui après sa naissance, j’espère qu’il aura une belle vie.» Assise à ses côtés, Prabha, 29 ans, est convaincue de faire «quelque chose de noble. […] Je vais rendre des gens heureux, ils auront cet enfant pour la vie !» Couturière sans le sou, et mère de deux enfants, elle a dû vaincre les réticences de son mari. Elle n’a rien raconté au village non plus. «Ce serait mal vu et là-bas, ils croient que je travaille en ville», soupire la jeune femme. Ses enfants, qui viennent parfois lui rendre visite, ne savent pas non plus qu’elle attend un bébé. Suma, 24 ans, gagnait 80 euros par mois dans une usine de confection. Pas de quoi payer les soins de son époux malade. Elle a alors posé sa candidature chez Base. Les parents du bébé qu’elle porte vivent à Bangalore, ils lui rendent visite et lui apportent des fruits frais. «Je fais quelque chose de bien, affirme Suma, Nous ne sommes pas exploitées, personne ne nous force. Je suis mère, je sais ce que c’est d’avoir un enfant.»
Le matin, les femmes ont une session de chant et de méditation, puis des ateliers d’esthétique et de couture. Elles sont aussi dispensées de toutes corvées ménagères. «Ce n’est pas comme à la maison, sourit Priya. Ici, on se repose, on regarde la télé, on mange de la bonne nourriture.»
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