Suicides à la Poste : la direction refuse de se sentir visée
7 mars 2013
Que se passe-t-il à la Poste ? Une série de suicides endeuille l’institution. Ils surviennent un an après deux décès violents, en Bretagne, qui avaient débouché sur un «grand dialogue» et la remise du rapport Kaspar, du nom de l’ex-secrétaire général de la CFDT. Un accord-cadre sur la qualité de la vie au travail avait été signé en janvier par les organisations syndicales (à l’exception de SUD et de la CGT), promesse que la transformation à marche forcée de la Poste, soumise à la concurrence, allait se faire dans un climat apaisé. Mais les drames de ces derniers jours ravivent les plaies.
Le 15 février, une factrice de 21 ans en CDD à Monistrol-sur-Loire (Haute-Loire) est retrouvée pendue à son domicile. Dix jours plus tard, Nicolas C., 51 ans, cadre en charge de la communication interne au siège, à Paris, met fin à ses jours. Et lundi, dans la cour de la poste centrale de Bayonne, un facteur a tenté de se pendre. Des gestes liés pour partie à l’activité, soutiennent des représentants du personnel.
«Déni». Le 28 février, Jean-Paul Bailly, le président de la Poste, est intervenu en conseil d’administration, réfutant leur rapport avec le travail : «Il n’y a pas d’éléments permettant d’établir la responsabilité de l’entreprise. Ce sont des drames personnels et familiaux, où la dimension du travail est inexistante ou marginale»,aurait-il déclaré. Ces phrases, notées par Bernard Dupin, administrateur CGT, sont confirmées par Régis Blanchot, administrateur SUD qui assistait aussi au CA. Puis, devant la surprise de ceux-ci, Bailly a modulé, disent-ils, son propos, rajoutant l’adverbe «souvent». La direction contestait hier ce récit.
Ces affaires mettent l’entreprise sous tension : «Pourquoi ce mutisme ? Pourquoi ce déni de la direction ?» accuse Bernard Dupin. Pour preuve, ce courrier du frère de la victime adressé à Jean-Paul Bailly, très sévère pour le patron du groupe : «Comment osez-vous évoquer des drames personnels et familiaux ? […] Mon frère était parfaitement heureux avec son épouse et sa fille. […] Je suppose que c’est aussi votre travail qui vous a empêché de prendre votre téléphone pour essayer de réconforter sa femme.» De fait, Nicolas C. était en arrêt maladie depuis trois semaines, pour un burn-out.«C’était un type charmant, très apprécié dans son job», témoigne un cadre, ami du couple, qui confirme qu’au siège parisien l’abattement est total. «Peut-être que c’est en lien avec le changement d’équipe, quand il s’est trouvé à assumer pas mal de choses. A-t-il subi trop de pression ?» Et d’ajouter : «Peut-être était-il fragile et qu’ils n’ont pas su le voir ?»
A Bayonne, les membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), toutes étiquettes confondues, accusent la surcharge de travail, le management agressif et les pressions d’être à l’origine du geste du facteur. Celui-ci avait écrit une lettre titrée «LA POSTE M’A TUÉ». Il y évoque «une épouvantable politique managériale» dans un établissement «où l’intérêt général et le respect humain ont cédé la place au carriérisme malsain et au mépris systématique», en citant des noms de responsables. Il termine : «Je me rends compte que je suis trop épuisé pour y croire et que je n’ai plus la force de continuer.» Un an après la commission dite «du grand dialogue», «rien n’a changé», estime Antton Lamothe, délégué CGT : «On est reparti dans le même trip, avec des restructurations et des suppressions de postes…»
Réuni dès lundi à Bayonne, le CHSCT a demandé l’ouverture d’une enquête et une expertise des risques sociaux. «Mais la Poste a émis des réserves», s’indignait hier Antton Lamothe. A Menistrol-sur-Loire, même conviction que le travail a pu jouer un rôle, et même chape de plomb, selon deux syndicalistes CGT qui ont essayé de reconstituer les derniers jours de travail de Pauline, la jeune factrice. La veille de sa mort, la Poste venait de lui signer un nouveau CDD. Sa première journée avait été difficile. Le matin du drame, elle prend son poste à 6 h 30. Un cadre, voyant son état de fatigue, la renvoie chez elle. A 8 h 30, ses parents la découvrent à son domicile, pendue. Un récit confirmé par la direction. Hier, la Poste insistait qu’un CHSCT s’était saisi du cas et jugeait prématuré toute conclusion. C’est ce temps long de l’analyse et des procédures que critiquent les syndicalistes.
Harcèlement. Une marche blanche va se tenir dimanche à Tregunc (Finistère). Il y a un an, Bruno Peuziat, 42 ans, cadre à la Poste, s’était pendu à la fenêtre du centre courrier, laissant un mail :«Si vous pouviez essayer de faire que "tout ça" débouche sur quelque chose de constructif…» Mais les investigations s’enlisent et son décès n’a pas été classé en accident de service, à cause du refus de l’entreprise. Tandis que la plainte au pénal pour harcèlement moral, déposée il y a un an par SUD et la CFE-CGC, est encore à l’instruction.
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