D'où ça sort ? La mode "décente"
M le magazine du Monde | Par Louise Couvelaire
Le mannequin ressemble à tous ces autres qui prêtent leur visage à une marque de cosmétiques et s'affichent sur les panneaux publicitaires : une jolie brune aux lèvres soulignées de rouge, la bouche légèrement entrouverte et les yeux surfardés. Sauf que son épaule est couverte d'un chemisier écarlate bordé de dentelle noire. Ce détail – insignifiant – fait pourtant toute la différence. Le message ? On peut avoir du style sans en montrer trop. Cette affiche fait la réclame de la première Fashion Week chrétienne, qui s'est déroulée les 8 et 9 février, à Tampa, en Floride.
Un show au cours duquel neuf designers ont présenté leurs collections – dont un défilé de maillots de bain auquel seules les femmes étaient autorisées à assister – devant un parterre de 300 personnes. "Un immense succès", se félicitent sur leur site les deux organisatrices, Mayra Gomez et Tamy Lugo. "On se serait cru à New York !",poursuivent-elles, comparant l'événement à la "vraie" Semaine de la mode qui se tenait au même moment dans la Grosse Pomme. Les deux jeunes femmes voient grand. Car, outre-Atlantique, le mouvement appelé "modest clothing" ne cesse de faire des adeptes.
L'histoire démarre en 2004, lorsqu'une jeune fille de 11 ans, Ella Gunderson, écrit une lettre aux magasins Nordstrom : "J'ai voulu acheter des habits chez vous (surtout un jean) mais je n'ai trouvé que des modèles taille basse qui m'arrivent bien en dessous des hanches..." L'histoire fait le tour du pays, de plus en plus de voix s'élèvent contre les "vêtements toujours plus provocants". Certaines communautés religieuses – juives et chrétiennes surtout – s'emparent du phénomène en prêchant pour une mode dite "morale".
"CÉLÉBRATION DU STYLE ET DE LA VERTU"
Rester décente sans être ringarde, proscrire les décolletés pigeonnants et les minijupes tout en suivant la tendance... Au fil des ans, le concept se développe et s'exporte, en Amérique du Sud ou en Europe, principalement au Royaume-Uni. Blogs, sites Internet, tableaux Pinterest, livres et marques spécialisées fleurissent. Créé en 2007 par un ancien mannequin de l'agence Ford, le magazine Elizasélectionne ainsi les tenues et les créateurs dignes d'être portés, et les stars qui méritent le respect pour leur sens du "style modeste", telle l'actrice Emma Stone et ses "silhouettes classiques". Sur son blog, la fondatrice Summer Bellessa, considérée comme l'une des leaders du"mouvement pour la décence", fustige autant les excentricités des starlettes sur les tapis rouges qu'elle vante les lignes épurées et délicates des créations de la styliste suédoise Ida Sjöstedt.
Des grands magasins, tel Macy's, proposent désormais des espaces réservés à la "mode décente". Et des personnalités se sont lancées dans le business du coaching vestimentaire, à l'instar de Pure Fashion ("une célébration du style et de la vertu", dit le slogan).
Fondée en 2005 par une actrice ex-mannequin, cette agence propose aux adolescentes âgées de 14 à 18 ans une "formation" étalée sur sept mois. Au programme : conseils mode, virée dans les centres commerciaux, apprentissage des bonnes manières, séances de groupe et organisation de défilés. Pure Fashion est désormais présente dans une vingtaine de villes américaines et une dizaine de pays, dont l'Allemagne, l'Espagne, l'Australie ou encore l'Argentine. La France ne s'est pas encore convertie.
Louise Couvelaire
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