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mardi 11 décembre 2012

La tentation des diagnostics précoces

Publié le 07/12/2012
Avec le phénomène de « disease mongering »[1], on a reproché notamment à certains psychiatres de « se faire de nouveaux clients » en prêtant au DSM une quasi-infaillibilité, malgré les incertitudes sur sa validité scientifique, pour construire de façon fallacieuse des affections arbitraires : attention deficit hyperactivity disorder (trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité : TDAH), oppositional defiant disorder (trouble oppositionnel avec provocation : TOP)[2], etc.
Cette démarche suscite un débat où les politiciens ont parfois la tentation de se reposer sur les psychiatres pour « étouffer la délinquance ou la marginalité dans l’œuf », c’est-à-dire dépister le plus tôt possible (dès la maternelle ou avant) les futurs « déviants » à « rééduquer », dans une perspective digne de Minority Report[3], le célèbre film de science-fiction de Steven Spielberg (d’après la nouvelle éponyme de Philip K. Dick). Orthophonistes et psychothérapeutes risquent alors, bien malgré eux, d’être convoqués au service d’une société dont ils devraient servilement promouvoir les valeurs, pour assurer son immuabilité, sous l’empire incontesté d’une « norme », en affublant les « asociaux » d’étiquettes nosographiques…

Ce problème est d’autant plus délicat qu’il faut bien doser ses propos et ses actes. En effet, à trop diagnostiquer des bambins, on tombe dans le travers de la stigmatisation et de la collusion politique avec une « pensée unique » décidant du « bien » et dénonçant le « mal », jusque dans les pages du DSM ! Mais en refusant de se prêter à toute démarche diagnostique sur le jeune enfant, sous prétexte que certaines affections seraient «formatées » pour complaire à des tiers subjectifs (politiciens, enseignants, pharmaciens, éditeurs du DSM…), on risque à l’inverse de méconnaître des pathologies réelles, annonciatrices de difficultés plus graves en l’absence d’intervention précoce.
Sur ce thème, une étude réalisée aux États-Unis (sur 462 enfants) s’intéresse à la question d’une « continuité des troubles psychiatriques » entre l’âge de 3 ans et de 6 ans. On observe que l’évaluation des enfants d’âge préscolaire selon les critères diagnostiques du DSM-IV se révèle « assez stable » et que les jeunes ayant reçu dès 3 ans un diagnostique psychiatrique (quelconque) ont un risque de relever encore à 6 ans d’un diagnostique psychiatrique (quel qu’il soit) « environ 5 fois plus élevé » (odds ratio= 4,74 ; intervalle de confiance à 95% : [3,04–7,43] ; p<0 font="font">
Les auteurs distinguent continuité « homotypique » (où le trouble demeure inchangé entre l’évaluation à 3 ans et celle à 6 ans) et continuité « hétérotypique » (où le sujet relève toujours d’un diagnostic du DSM-IV, mais différent d’une évaluation à l’autre). Une « continuité homotypique significative » est observée ainsi « pour l’anxiété, le TDAH et le TOP » et une continuité hétérotypique concerne respectivement trois couples de diagnostics : « dépression et anxiété », « anxiété et TOP » et « TDAH et TOP. » Pour les auteurs, ces constats plaident pour « la validité des diagnostics psychiatriques » dès l’âge préscolaire et soulignent « l’importance d’un repérage précoce » des difficultés et d’interventions à visée thérapeutique également précoces pour « prévenir une récurrence ou une chronicité des troubles. » Le débat reste ouvert…

Dr Alain Cohen

Bufferd SJ et coll. : Psychiatric disorders in preschoolers: continuity from ages 3 to 6. Am J Psychiatry 2012; 169-11: 1157–1164.

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