Artaud, dernier cri
Après neuf ans d'enfermement psychiatrique à Rodez, en 1946, voilà qu'Antonin Artaud est enfin libre, installé désormais dans une maison de santé à Ivry d'où il peut entrer et sortir à sa guise. Poète ? Acteur ? Psychotique ? Dramaturge ? Sous la « coupole de son cerveau », comme l'écrivait Baudelaire, les voix d'Artaud sont multiples, discordantes. Puissance déroutante d'un être aux innombrables facettes. Mais dès le début de son aventure périlleuse avec l'écriture, Artaud ne se sent pas toujours la force de rassembler cette pensée qui s'émiette et délire au sens étymologique du mot - c'est-à-dire qu'elle sort du sillon.
Cette question essentielle qui traverse toute son oeuvre, il l'avait déjà posée en 1923, dans une lettre à Jacques Rivière, directeur de La Nouvelle Revue française,chez Gallimard, alors qu'il cherchait à faire publier ses poèmes : « Pourquoi mettre sur le plan littéraire ce qui est le cri même de la vie ? » Plus de vingt ans plus tard, dans cette chambre d'Ivry où, selon Artaud, Gérard de Nerval aurait séjourné, son refus de la préciosité littéraire (qu'il appelle le « côté Vermeer de Delft de la poésie ») est toujours aussi fort, d'une incroyable violence : Artaud écrit pour retrouver l'ardeur qui s'est retirée de son être ; Artaud gribouille et dessine pour incarner son corps et chasser les innombrables démons, « ces hordes de parasites, d'ignobles intrus » qui l'ont détraqué en voulant le guérir de son mal. Le traumatisme des électrochocs à Rodez n'est pas étranger à la colère innommable qui électrise la moindre phrase qu'il écrit à Ivry.
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