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mercredi 12 décembre 2012

Des chaînes de solidarité pour sortir de l’isolement


Autour de la souffrance des soignants, la solidarité entre pairs s’organise. Ces dernières années des réseaux d’écoute téléphonique et de traitement se sont mis en place ici et là, souvent à partir d’initiatives ordinales et syndicales. Dans ce contexte, Pasteur Mutualité lance ce mois-ci une « consultation prévention » dispensée par des confrères généralistes et psychiatres spécialement formés.

À force d’en parler, la question du burn out n’est plus aussi taboue qu’il y a quelques années. Pourtant, beaucoup de médecins hésitent encore, pour de multiples raisons, avant d’aller consulter. Pour les aider à sortir de l’isolement, des chaînes de solidarité ont vu le jour, ces derniers mois. Dernière en date, l’initiative du Groupe Pasteur Mutualité qui lance ce mois-ci une « consultation de prévention » pour les médecins surmenés. Une ligne dédiée (mais aussi une adresse mail) fait le lien entre des consultants dédiés et leurs confrères en détresse.

En tout, une quarantaine de médecins – en majorité des généralistes mais aussi des psychiatres – ont été recrutés par Pasteur Mutualité. Ces praticiens motivés et réactifs ont reçu une formation spécifique dispensée par des experts du burn out au cours de deux sessions, en mai et en septembre. Le but ? Savoir écouter et orienter leurs confrères au cours d’un entretien qui restera confidentiel. Le Dr Éric Galam, généraliste parisien, et le Pr Jean-Louis Terra, professeur de psychiatrie à Lyon, faisaient partie de l’équipe de formateurs. Pour le Dr Galam, cette consultation de prévention constitue un embryon d’un futur réseau soignant-soignant : « Ces médecins consultants vont acquérir une expertise spécifique qu’ils pourront transmettre ensuite à d’autres. On pourrait même imaginer une future formation universitaire sur la bonne façon de prendre en charge un confrère », dit-il, enthousiaste. Pour l’heure, pour les consultants du réseau

Pasteur, ce sera une première. Ils seront rémunérés 3C pour cette consultation longue qui sera totalement gratuite pour le praticien soigné et réservée, dans un premier temps, aux adhérents du Groupe Pasteur Mutualité.

Dans les réseaux, l’anonymat est de règle

Ces initiatives, loin d’être isolées, viennent en complément de plusieurs autres qui ont vu le jour, ces dernières années, à l’échelon départemental et régional, mais pas seulement. L’association MOTS (Médecin Organisation Travail Santé) a été initiée par le CDOM de Haute-Garonne voilà deux ans. Depuis, elle couvre toute la région Midi-Pyrénées et s’est même étendue au Languedoc-Roussillon. Sur les 108 appels reçus par l’association depuis sa création, la moitié concerne des situations d’épuisement professionnel, des troubles psychiatriques ou des conduites addictives. Six médecins ont fait l’objet d’hospitalisations. Comme pour la « consultation de prévention » de Pasteur Mutualité, l’anonymat est garanti. « Un contrat de confidentialité est envoyé au médecin qui a fait appel à l’association. Ensuite, son dossier est traité et un rendez-vous est pris avec un de nos deux médecins », explique le Dr Philippe About, président de l’association.

En Rhône-Alpes, le réseau ASRA (Aide aux Soignants de Rhône-Alpes) a, quant à lui, vu le jour au printemps. Sur les 107 demandes reçues à ce jour par le réseau, plus de 30 % étaient dues au burn out, 10 % à d’autres pathologies psychiatriques et près de 7 % à des problèmes d’addiction. En tout, 37 « confrères de soutien » assurent la permanence téléphonique 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. En appui, 48 « personnes ressource » – psychiatres, addictologues mais aussi avocats et conseillers juridiques – maillent le territoire. Particularité de ce réseau : les appels ne sont pas triés, comme le précise le Dr Georges Granet, son secrétaire général. Ainsi, le médecin qui appelle rentre en contact direct avec un confrère. « Un entretien téléphonique est parfois suffisant quand il s’agit de répondre à un simple besoin d’écoute », explique le Dr Granet qui est également président du CROM et donc confronté aux sanctions disciplinaires qu’encourent parfois ces médecins en souffrance.

D’autres associations d’aide aux confrères en difficulté existent aussi en Poitou-Charentes et dans le Vaucluse où une étude de 2003 réalisée par le Dr Yves Léopold sur 22 décès de médecins en activité avait conclu à un taux incroyablement élevé (50 %) de suicides. Plus généralement, la même étude, qui portait sur 44 000 médecins, montrait également qu’en France, l’incidence du suicide dans la population médicale est supérieure (14 %) à la population générale d’âge comparable (un peu moins de 6 %).

Des lits dédiés pour les cas les plus graves

Au-delà des chaînes de solidarité départementales et régionales, au niveau national, l’APPML (Association d’aide professionnelle aux médecins libéraux), propose depuis plus de six ans, aux médecins libéraux victimes d’épuisement professionnel, un dispositif d’urgence d’écoute téléphonique permanente qui reçoit, en moyenne, 200 appels par an. Au bout du fil, des psychologues cliniciens habitués à l’écoute et experts du risque psychologique. Parfois, en effet, ce sont des médecins suicidaires qui appellent mais ce peut être aussi leurs proches. « Ils doivent être joignables à tout moment. Dans certains cas, ça ne tient à rien. Les médecins appellent souvent sur un coup de tête », souligne le Dr Galam, président de l’association.

Mais si ce réseau est une bonne façon de rentrer dans le système de soins et de sortir de l’isolement, il ne suffit pas à régler tous les problèmes. Au bout de la chaîne d’entraide confraternelle et pour les cas les plus graves, une autre association se charge des hospitalisations des médecins malades. Il s’agit de l’APSS (Association pour la Promotion des Soins aux Soignants), créée il y a trois ans par l’Ordre et la CARMF. Tous les syndicats ainsi que l’Assurance Maladie et le Groupe Pasteur Mutualité en font partie. Quatre structures d’accueil sont présentes sur le territoire. Elles se trouvent dans le Sud-Ouest, en Poitou-Charentes, en Ile-de-France et dans le Sud-Est, leurs localisations restant confidentielles. Chacune des structures met à disposition une dizaine de lits pour les médecins malades qui demandent souvent d’être délocalisés. Ils craignent, en effet, de se retrouver face à face avec leurs correspondants, leurs patients, leurs amis. « Pour l’instant ça va, mais à terme on va manquer de place… Il y a de plus en plus de demandes ! », s’inquiète le Dr Yves Léopold, trésorier de l’APSS et vice-président de la CARMF.

L’Ordre propose un nouvel « engagement thérapeutique »

En amont, le CNOM et la CARMF ont, par ailleurs, completé, la semaine dernière, le dispositif de l’APSS par une nouvelle mesure destinée à inciter les confrères en souffrance à s’arrêter avant qu’il ne soit trop tard. Baptisé « engagement thérapeutique », ce protocole vise à « combiner prise en charge du médecin malade et préservation de la qualité de l’exercice médical ». Établi entre le médecin et son CDOM d’appartenance, il stipule que le professionnel de santé « reconnaît que son état de santé nécessite des soins spécialisés », mais surtout qu’il « s’engage à (...) interrompre son activité professionnelle ». Le dispositif vise les cas graves de médecins malades et potentiellement dangereux pour lesquels un conseil départemental s’apprête à mettre en place les dispositions de l’article R4124-3 du Code de la santé publique qui concerne la suspension temporaire du droit d’exercer. Dans cette situation, en contrepartie de l’arrêt volontaire d’activité du médecin avant que la décision de l’Ordre n’intervienne, la CARMF fera sauter le délai de carence de 90 jours en anticipant le versement des indemnités journalières dès le premier jour d’arrêt.

« Jusque-là, au cours d’une procédure longue à mettre en ?uvre et pénible pour le médecin, celui-ci n’était pas obligé d’interrompre son activité. Ce qui donnait lieu à une période d’insécurité pour les patients et de danger pour le médecin lui-même », affirme le Dr André Deseur, président de la section exercice professionnel au CNOM. Suite à ce nouveau processus, le médecin devrait moins hésiter avant de se mettre en arrêt. « Et les patients seront en sécurité ! » se réjouit le Dr Deseur. De son côté, la CARMF y trouve aussi son compte. « Quand on sait que la première cause d’invalidité chez les médecins (42 %) est représentée par l’addiction à l’alcool et les problèmes psychiatriques, l’aide donnée par la Caisse de retraite est loin d’être désintéressée… », avoue le Dr Léopold. Le vice-président de la CARMF espère que, grâce à ce nouveau « contrat d’engagement thérapeutique », les médecins pourront plus facilement se faire soigner et… se remettre au boulot !
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Giulia Gandolfi, giulia.gandolfi@gpsante.fr

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