Harcèlement : la rue ne doit plus être un espace où les hommes font leur loi
LE MONDE |
En Belgique, la vidéo de Sofie Peeters, mettant en évidence la réalité du harcèlement de rue à Bruxelles, a fait l'effet d'une bombe dans le débat public et suscité de nombreux témoignages sur la Toile. Le plus surprenant pour nous est l'étonnement que génère encore un tel constat.
Oui, la rue est un lieu où les femmes sont exposées au sexisme et aux violences de certains hommes. La plupart des femmes, si ce n'est toutes, ont connu dans leur vie, de manière plus ou moins fréquente, le harcèlement de rue. Celui-ci peut prendre différentes formes, allant des remarques sur le physique ou la tenue aux insultes machistes, en passant par les sifflets et les invitations insistantes. Il s'accompagne parfois d'agressions physiques (bousculade, main aux fesses, etc.).
Ne laissons pas croire qu'il s'agirait d'éradiquer la drague dans les lieux publics. Il est aisé de faire la différence entre la séduction et le harcèlement de rue. La première appelle la réciprocité et n'est pas insistante en cas de fin de non-recevoir ; le deuxième crée une situation intimidante, hostile ou offensante. Par ailleurs, le caractère répétitif de ces comportements crée une situation de tension permanente pour les femmes qui les subissent.
Ces situations de sexisme ordinaire et de harcèlement de rue et leur tolérance sont graves. Sans surprise, elles font écho à toutes les autres formes de violences faites aux femmes. Les mêmes phénomènes d'intériorisation touchent les femmes victimes des autres violences sexistes : la culpabilisation, la honte et la peur. Que les violences soient verbales ou physiques, la parole des femmes est encore trop systématiquement décrédibilisée, minorée et finalement réduite au silence. C'est le cas pour les femmes victimes de viol, dont seulement 10 % portent plainte, mais aussi pour celles qui subissent des agressions physiques et/ou sexuelles, du harcèlement sexuel, du harcèlement moral.
Le phénomène de harcèlement, qui s'inscrit dans un continuum des violences machistes, entretient le sentiment que la rue est un espace masculin dans lequel les femmes ne peuvent circuler de manière pleinement libre et sûre, à toute heure du jour et de la nuit. La rue serait le domaine réservé des hommes, et ils y imposeraient leurs conditions, leurs règles, leur contrôle. Attention à celle qui les transgresserait ! Si les femmes sortent, elles doivent donc se plier aux règles édictées par les hommes : être toujours disposées à recevoir "compliments", insultes ou invectives... en résumé, être disponibles.
Le harcèlement de rue, comme tous les autres types de violences faites aux femmes, découle d'une idée encore sous-jacente dans notre société patriarcale : les corps des femmes sont à la disposition des hommes et soumis à leurs désirs. Or, les femmes doivent pouvoir évoluer librement dans l'espace public sans crainte et sans être sans cesse rappelées à leur sexe ou à leur orientation sexuelle, sans être cantonnées à un rôle de séduction vis-à-vis des hommes, sans avoir à justifier de leur disponibilité ou non.
Ne tentons pas trop vite d'évacuer la polémique en déclarant que le machisme n'existe que dans la rue et dans certaines catégories sociales ou dans certaines cultures. Ne tombons pas dans le piège d'une opposition entre lutte antisexiste et lutte antiraciste. Ces deux luttes sont intrinsèquement liées et dénoncent les mêmes mécanismes de discrimination et de domination. Le sexisme n'est pas un phénomène culturel ou générationnel, il est universel, en ce qu'il est transversal à toutes les cultures et à toutes les classes sociales.
La présence des femmes dans l'espace public en général continue de déranger. L'exemple des députés sifflant Cécile Dufflot à l'Assemblée nationale parce qu'elle portait une robe est là pour nous rappeler qu'il n'y a ni cartographie ni sociographie de la misogynie. Réflexe archaïque qui cantonnait autrefois les femmes au foyer et à la sphère privée, les remarques sexistes quotidiennes, dans la rue, au travail ou à l'Assemblée nationale, par leur nature et leur nombre, loin d'être des blagues "potaches" sans conséquences, contribuent à maintenir et à légitimer l'exclusion des femmes de l'espace public.
Les nombreux témoignages postés sur la Toile depuis la diffusion du film de Sofie Peeters permettent de répéter à l'envi qu'il y a, derrière tous ces exemples individuels, un fait de société. Un fait de société qui appelle des réponses politiques.
La sanction par la loi est-elle une bonne réponse politique ? La loi a, par définition, un caractère normatif important. Une loi sur l'ensemble des violences faites aux femmes permettrait de démontrer la volonté du gouvernement de lutter contre ces violences spécifiques. Mais il serait illusoire de croire que la loi suffit en soi. Le système judiciaire a encore d'énormes progrès à faire dans le traitement des violences faites aux femmes ; progrès qui ne pourront être réalisés que si un plan de formation des personnels de police et de justice est mis en place.
Pour s'attaquer à la racine des violences et du harcèlement de rue, ce sont surtout les stéréotypes qui doivent être combattus, par l'éducation à l'égalité et à la liberté dès le plus jeune âge. La prise de conscience et l'indignation qui émergent aujourd'hui sont des premiers pas pour que chacune et chacun réalise que ces comportements sont inacceptables et doivent cesser. Passons rapidement de l'étonnement à l'action !
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