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vendredi 22 juin 2012

Pour les daltoniens, la mer n'est pas bleue, elle est belle

Le Monde.fr | 




Les troubles de la vision des couleurs affectent, dans les pays industrialisés, environ 8 % des hommes et 0,4 % des femmes, soit deux millions de personnes en France.
Les troubles de la vision des couleurs affectent, dans les pays industrialisés, environ 8 % des hommes et 0,4 % des femmes, soit deux millions de personnes en France. | AFP/MOHD RASFAN

Les anecdotes se ressemblent souvent : le sentiment d'incompréhension quand, à l'école, l'instituteur rend, l'air dépité, un dessin d'arbre dont les feuilles ont été coloriées en rouge ; le regard amusé d'un vendeur lorsque, dans un magasin, on essaie une chemise verte avec une cravate violette ; ou alors ces questions si agaçantes ("Mais alors, ces fleurs, tu les vois de quelle couleur ?""Et mon pantalon ?""Et pour regarder un tableau, tu fais comment ?"), qui donnent parfois le sentiment d'être un rat de laboratoire. "Mes parents m'ont apporté une réponse toute simple à ces questions incessantes, raconte Pierre Bouvier-Muller. Je réponds : 'Je le vois bleu avec des petits cœurs jaunes !' On ne m'embête plus avec ça."
Le daltonisme est un trouble de la vision des couleurs, une dyschromatopsie d'origine génétique, qui touche essentiellement les hommes (entre 8 et 10 % des hommes sont atteints dans les pays occidentaux). Les cas chez les femmes sont très rares, seules 0,4 % sont concernées. On réduit souvent le daltonisme à une confusion entre les couleurs rouges et vertes, mais il existe autant de types de daltonismes que de daltoniens, à des degrés très divers. Répondant à un appel à témoignages lancé sur Le Monde.fr, de nombreux internautes ont rendu compte de la diversité des daltonismes.
SE TOURNER EN DÉRISION
Pas vraiment un handicap, le daltonisme est néanmoins une singularité qui peut avoir une incidence sur la vie quotidienne et professionnelle."Cette vision altérée joue des tours, plus qu'elle ne handicape", explique un daltonien. Laurent Foucher, informaticien parisien de 42 ans, explique ainsi s'être fait sermonner par un médecin pour avoir consulté trop tardivement après deux hématomes qu'il n'avait pas vus sur sa jambe après une chute. "Récemment, en pleine préparation du dîner, j'ai cru que l'on cuisinait une mousse au chocolat alors qu'il s'agissait d'épinards", explique Samuel Raveneau, animateur socio-culturel à Lyon. "Etre daltonien me permet avant tout de me tourner en dérision", souligne-t-il.
D'autres ont renoncé à s'habiller seuls, n'investissent que dans des vêtements de couleur sombre, et s'en réfèrent entièrement à leur conjoint pour l'aménagement de leur domicile. De nombreux daltoniens font cependant carrière dans des professions qui utilisent les couleurs, dans l'électronique, le graphisme, la photographie, ou la peinture en bâtiment. Christophe Charlet, enseignant en topographie, dit avoir"appris les couleurs des signes conventionnels des piquets de topographie". "J'aborde les couleurs avec les élèves de telle façon qu'ils soient les premiers à dire la couleur. Quand je me trompe, j'arrive à noyer le poisson en souriant." 
Dans l'électronique, les daltoniens font appel à leur bon sens et à l'aide d'un collègue. Un système d'étiquetage permet souvent d'éviter de nombreuses confusions. L'informatique facilite également la vie des daltoniens : "Avec l'aide de la palette de couleurs de Photoshop, j'ai appris quelles plages de couleurs j'étais incapable de discerner",explique Louis Kovalevsky. Mais les programmes informatiques et sites Internet ne sont pas tous conçus pour répondre aux spécificités des daltoniens. Carl Dupont, Parisien de 45 ans, regrette "l'absence de prise en compte de ce problème sur le Net, notamment pour signaler des liens hypertexte".
UNE OUVERTURE
Parce qu'il touche à notre perception du monde extérieur, le daltonisme intrigue. Que voit-on avec des yeux extérieurs ? Peut-on croire ce que nous offre notre vision ? Jean-Pierre Debraine, 58 ans, dont la vision se rapproche du noir et blanc, explique avoir vu récemment le film The Artist, de Michel Hazanavicius et ne pas s'être rendu compte que le film était en noir et blanc, lui qui est habitué à distinguer les nuances de gris et a reconnu toutes les "couleurs" des costumes portés par les acteurs ! Beaucoup de daltoniens sont fiers de leur singularité, qui renforce leur perception sensorielle et inspire leur imagination. "Le daltonisme, ce n'est pas que la confusion des couleurs. C'est aussi une sensibilité à ce que des yeux normaux ne voient pas toujours", vante Stéphane S.
Eric Gonzalez, commerçant orléanais de 53 ans, explique : "Quand un œil sans altération voit une peinture, il ne se pose aucune question. Le daltonien, lui, est obligé d'analyser les volumes, les profondeurs, les tonalités de couleurs, c'est-à-dire les ombres et les lumières, les champs et les contre-champs. Nous, on ne se laisse pas avoir par toute la symbolique des couleurs : bleu comme la mer, jaune comme le soleil, vert comme l'herbe ! Pour nous, c'est beau comme la mer, chaud comme le soleil, doux comme l'herbe !" Mikael Albert, Nantais de 30 ans, renchérit : "J'aime être daltonien, cela me différencie sans être trop handicapant." Pour Sébastien El Beze, conseiller principal d'éducation à Paris, ce "mini-handicap est une ouverture, une aide philosophique qui permet de réfléchir au lien entre perception et réalité. Je ne souhaiterais pas qu'on m'ôte cette particularité qui me rappelle au quotidien mon lien à la nature."

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