Le divorce facilité pour les couples binationaux
LE MONDE | 21.06.2012
Jean (le prénom a été modifié), marié en 1998 avec une Suissesse, a fait l'amère expérience des frontières parfois dressées sur le chemin sentimental. Séparé en 2003, le Français a été pris de court par la célérité de son épouse à saisir un tribunal zurichois. "Parce qu'elle avait initié une procédure de séparation en 2005 sur le territoire suisse, je n'ai pu déposer ma demande de divorce en France et ai dû faire toutes les démarches à Genève. Le divorce a été prononcé en mai 2010. J'ai été condamné à payer une importante pension alimentaire alors que je suis sans emploi depuis quatre ans." Comme cela arrive parfois dans les séparations de couples internationaux, Jean a fait les frais d'une course au tribunal : son épouse s'est hâtée d'engager une procédure dans le pays dont la loi lui était le plus favorable.
Chaque année, environ 350 000 mariages de couples binationaux sont célébrés dans l'Union européenne (UE), et entre 100 000 et 150 000 divorces sont prononcés (10 % des divorces dans l'UE). "Le conjoint qui peut payer des frais de déplacement et des frais de justice peut se ruer vers un tribunal dans un autre pays, de sorte que l'affaire soit soumise à une loi qui protège ses intérêts", avait constaté, en mars 2010, la Commission européenne.
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Pour lutter contre ce "shopping judiciaire", quatorze pays européens ont décidé d'appliquer des règles communes, qui entrent en vigueur jeudi 21 juin, pour déterminer selon quel droit sera prononcé un divorce. Le règlement dit "Rome III" permet aux mariés de choisir en amont, et avant qu'un conflit surgisse, quel droit national s'appliquera en cas de séparation.
Un couple franco-allemand installé depuis quinze ans en Italie pourra par exemple choisir de divorcer selon le droit français, allemand ou italien. S'il choisit la loi allemande, un tribunal italien appliquera alors les règles du droit allemand. En cas de désaccord, Rome III donne une méthodologie pour déterminer la loi applicable, souvent celle du pays de résidence habituelle du couple. Le règlement facilite également l'application, au sein de l'UE, du droit d'un pays non communautaire, si l'un des époux a un lien avec ce pays.
COOPÉRATION RENFORCÉE
Ce dispositif est le résultat d'une coopération renforcée, un mécanisme prévu par le traité d'Amsterdam (1997) et amendé dans les traités de Nice (2001) et de Lisbonne (2007), qui permet à un minimum de neuf pays de renforcer leur coopération dans un domaine, en laissant la possibilité aux autres Etats de les rejoindre ultérieurement. Le mécanisme n'avait jamais été appliqué; le règlement sur les divorces transnationaux est donc une première. La France, l'Italie, l'Allemagne et l'Espagne l'ont adopté. Malte, où le divorce n'est légal que depuis 2011, s'est associé au dispositif. La Suède, en revanche, a préféré rester en dehors, estimant avoir la législation la plus libérale en matière de divorce.
Vidéo explicative du Parlement européen sur la coopération renforcée :
"L'objectif de ce règlement est d'apporter une sécurité juridique aux époux", explique Hugues Letellier, avocat spécialisé dans le droit civil international. Il existe de grandes disparités entre les législations des pays européens, reflets des différences culturelles. En Allemagne, par exemple, "le droit a tendance à avantager les mères au foyer, explique Me Jean-Patrick Revel, avocat à Berlin spécialisé dans le droit familial.Lors d'un divorce, les droits à la retraite acquis pendant la durée du mariage sont divisés en deux parts égales. Une femme qui n'aura pas travaillé recevra 50 % des droits acquis par son mari." L'Angleterre ou le Pays de Galles ne reconnaissent pas, eux, les contrats de séparation de biens signés à l'étranger. "Un couple français qui divorce à Londres sera automatiquement considéré comme marié sous un régime de communauté universelle", prévient Hugues Letellier.
DIFFICULTÉS À S'INFORMER
Le député européen Philippe Boulland (PPE) met toutefois en garde contre les écueils de Rome III : "Il faut faire un gros travail d'information auprès des époux qui se marient à partir du 21juin, car ce règlement ne concerne pas que les couples binationaux, mais également ceux qui, un jour, s'installeront à l'étranger." "Pour choisir la loi applicable, il faut connaître les lois des différents pays, renchérit Marie Galimard-Geiss, Française divorcée d'un Allemand avec lequel elle est en conflit pour obtenir un droit de visite de ses enfants. Or, quand on est amoureux, on est prêt à accepter n'importe quoi. Mon ex-mari m'avait fait signer un contrat de séparation de biens alors que j'étais au foyer."
Lire les témoignages de parents étrangers se battant pour faire valoir leurs droits de garde et de visite.
Dans le cas d'une signature de contrat de mariage, avocats et notaires gagent cependant que la présence d'un homme de loi facilitera un choix serein des époux. Pour les tribunaux, la tâche se complique car ils devront s'informer sur des législations étrangères. Mais les magistrats sont déjà habitués à se prononcer sur des éléments de droit étrangers."C'est le rôle des parties et des avocats de leur apporter les informations nécessaires", explique Me Letellier. Les juges peuvent aussi recourir au Réseau judiciaire européen, qui dispose de contacts spécialisés pour chaque Etat membre de l'UE.
Pour Me Revel, Rome III ne va pas révolutionner les divorces internationaux, mais en simplifiera les démarches. "Avant, on empruntait des chemins de traverse pour choisir un droit applicable, on inventait des domiciles à l'étranger, par exemple. Ce règlement permettra des procédures plus sereines."
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