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samedi 21 avril 2012


Faut-il brûler la psychanalyse ?

Créé le 18-04-2012 
Autisme, dépression, troubles bipolaires... les réponses de la psychanalyse sont remises en cause. Elisabeth Roudinesco et Alain Badiou lancent un cri d'alarme.
Feu sur la psychanalyse (Illustration de Serge Bloch pour "le Nouvel Observateur")










Feu sur la psychanalyse (Illustration de Serge Bloch pour "le Nouvel Observateur")
Après les premières charges des intellectuels, avec le "Livre noir sur la Psychanalyse" et le brulot anti-Freud de Michel Onfray, les usagers, parents d'autistes en tête montent au créneau. Le 8 mars, sous leur pression, la Haute Autorité de Santé (HAS) a désavoué les approches psychanalytiques de l'autisme. En cause : des pratiques figées dans leur dogmatisme. 

Faut-il brûler la psychanalyse ?

Jacqueline de Linares, journaliste et coauteur avec Eric Aeschimann du dossier que publie le "Nouvel Obs" ce jeudi 19 avril, explique, dans la vidéo ci-dessous, pourquoi ce nouveau feu sur la psychanalyse.

Faut-il brûler la psychanalyse ?

Jacqueline de Linares, journaliste et coauteur avec Eric Aeschimann du dossier que publie le "Nouvel Obs" ce jeudi 19 avril, explique, dans la vidéo ci-dessous, pourquoi ce nouveau feu sur la psychanalyse.

Appel aux psychanalystes d'Elisabeth Roudinesco et Alain Badiou

La psychanalyste et le philosophe, coauteurs de "Jacques Lacan, passé présent" (Seuil), sonnent l’alarme : la psychanalyse s’est coupée de la société. Mais, plus que jamais, il faut défendre sa dimension libératrice.
A la fin de l'un ouvrage que vous avez écrit ensemble, vous lancez un appel pour sauver la psychanalyse. Que se passe-t-il de si grave ?
Alain Badiou. La psychanalyse est, avec le darwinisme et le marxisme, l’une des révolutions majeures de notre temps. Dans les trois cas, il ne s’agit ni de sciences exactes, ni de croyances philosophiques ou religieuses, mais de "pensées" : matérialistes, liées à des pratiques, elles ont changé notre vision du monde et subissent le même type de critiques. Les attaques contre la psychanalyse doivent être donc comprises dans le cadre d’une crise globale de l’intellectualité. Une crise qui, si l’on veut la résumer, se caractérise par la tentative de remplacer le "sujet" par l’individu. Qu’est-ce que le "sujet" ? C’est l’être humain compris comme un réseau de capacités qui lui permettent de penser, créer, partager, agir collectivement, aller au-delà de ses singularités, ce qui est la condition de la liberté. Bien sûr, le sujet est porté par l’individu et ses singularités – un corps, une identité, une position sociale, des pulsions – mais ne s’y réduit pas. Etre sujet, c’est circuler entre la singularité et l’universalité, et c’est sur cet écart que la psychanalyse fonde son action : elle aide l’individu à devenir pleinement un sujet. En cela, c’est une discipline émancipatrice avant d’être thérapeutique.

Cette dimension est-elle vraiment menacée ?
A. Badiou. Aujourd’hui, on nous dit qu’être un individu suffit largement. C’est le discours du libéralisme soi-disant démocratique et libéral, mais qui produit des individus malléables, soumis, enfermés, incapables d’actions communes : des individus privés de la capacité d’être sujet. Car le capitalisme n’a que faire des sujets : seul l’intéresse l’appétit animal des individus. Mais c’est aussi le discours de la neurologie, qui veut réduire l’individu à sa dimension neuronale. Se moquant des savants qui, au XIXe siècle, croyaient pouvoir déduire les caractères d’un individu de la forme du crâne, Hegel disait que, pour eux, "l’esprit est un os". Aujourd’hui, la neurologie dit : "L’homme est un gros sac de neurones." Ce n’est pas mieux ! Nous avons affaire à un nouveau scientisme, asservi cette fois au déploiement du capital. Dans le champ du psychisme, seule la psychanalyse, je crois, est en mesure de nous en préserver. Mais – c’est là le deuxième volet de notre appel – je n’ai pas le sentiment que les psychanalystes, pris dans leurs querelles intestines, fassent ce qu’il faut pour se défendre. Ils doivent trouver le moyen de satisfaire la nouvelle demande qui leur est adressée sans céder à ce néo-positivisme. Ils sont immobiles, à eux de faire un pas en avant.
Elisabeth Roudinesco, vous qui défendez la psychanalyse depuis longtemps, comment en est-on arrivé là ?
Elisabeth Roudinesco. D’abord, la psychanalyse, comme formation de psychopathologie, est enseignée dans les départements de psychologie, laquelle n’est pas prête à prendre en charge l’inconscient et n’a pas la culture liée à sa compréhension. Dominée par les sciences médicales, la psychologie obéit à des évaluations qui n’ont rien à voir avec les sciences humaines. Autrefois, pour devenir psychanalyste, il fallait une formation clinique et une solide culture philosophique, historique et littéraire. En inscrivant la psychanalyse dans une logique de professionnalisation, on a détruit sa transmission comme pensée. Par ailleurs, il y a trente ans, l’essentiel des psychanalystes étaient psychiatres, et donc cliniciens de l’âme ; aujourd’hui, ils sont psychologues. La psychiatrie s’est ralliée aux thérapies cognitivistes et comportementalistes (TCC) qui renvoient à une conception de l’homme réduit à ses neurones. Bien sûr, les pathologies peuvent avoir une dimension organique. Mais, même là, le médicament ne suffit pas : il faut aussi prendre en compte la part subjective du patient.

Quelle est la part de responsabilité des psychanalystes eux-mêmes ?
E. Roudinesco. Ils ne produisent plus d’œuvre théorique. Leurs sociétés fonctionnent comme des corporations professionnelles. Condamner l’homoparentalité, la procréation assistée ou la toute-puissance des mères contre la fonction paternelle, c’est grave : les psychanalystes n’ont pas à s’instaurer en gendarmes de la bonne conduite au nom du complexe d’Œdipe. Ils font des diagnostics en direct dans les médias et ont abandonné la question politique : majoritairement, ils sont des esthètes sceptiques désengagés de la société. Surtout, ils prétendent soigner les souffrances sur un modèle ancien. Or, les pathologies ont changé. La psychanalyse est née de la névrose et de l’hystérie, deux symptômes propres aux sociétés marquées par la frustration sexuelle. Aujourd’hui, ce qui fait souffrir, c’est la relation à soi : on le voit avec l’importance accordée au narcissisme et aux perversions. Au temps de Freud, les patients étaient de grands bourgeois, qui avaient le temps et l’argent, ce que n’a pas le nouveau public, moins élitiste.
Comment s’adapter, alors ?
E. Roudinesco. Le "pas en avant" dont parle Alain Badiou serait de se mettre à l’écoute de cette nouvelle demande. Je crois possible, dans le cadre de la psychanalyse, de mener des thérapies courtes avec des séances longues, comme le faisait Freud, et où l’on parle aux gens avec empathie. L’analyse classique serait réservée à ceux qui le veulent. Tout le monde n’a pas envie d’explorer le tréfonds de son inconscient. Nous ne sommes plus en 1900, la psychanalyse est passée dans la culture et les gens savent qu’ils ont un inconscient. Leur demande n’est plus de le découvrir, mais souvent de résoudre une situation concrète. La nouvelle génération de praticiens devra le faire, faute de quoi elle n’aura plus de patients. C’est à elle que nous nous adressons. [...]
Propos recueillis par Eric Aeschimann



Retrouvez le dossier "Feu sur la psychanalyse" et l'intégralité de l'interview d'Alain Badiou et d'Elisabeth Roudinesco dans "le Nouvel Observateur", en kiosque le 19 avril. 
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