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samedi 14 janvier 2012


Repenser l'expertise psychiatrique

Point de vue | LEMONDE.FR | 11.01.12
par Jean-Pierre Olié et Henri Lôo, professeurs et membres de l'Académie nationale de médecine

Le rapport de la Cour des comptes paru en décembre 2011 est critique à l'égard du plan santé mentale lancé par le gouvernement en 2005. L'absence de structures alternatives à l'hospitalisation complète (lieux d'hébergement, structures d'accueil à caractère médicosocial) qui caractérise la situation française est préoccupante si l'on veut bien considérer que les situations à risque de dangerosité des patients psychotiques sont : la désocialisation, la consommation de toxiques licites (alcool) ou illicites, l'arrêt des thérapeutiques.

Le même rapport souligne la situation désastreuse de la population carcérale en matière de santé mentale : "Cette population est un concentré de difficultés rencontrées en psychiatrie." En effet 20 % de la population carcérale française souffre de troubles psychotiques en particulier schizophréniques versus 1 % en population générale. Cette sur-représentation de malades mentaux graves dans les prisons françaises devrait alerter l'autorité judiciaire : l'expertise psychiatrique ne remplit plus sa mission première d'orienter vers les structures sanitaires les personnes souffrant de troubles psychiatriques.
De tout temps dans l'histoire de l'humanité, les malades mentaux même criminels ont été tenus pour irresponsables de leurs actes : pour d'évidentes raisons humanistes et plus encore parce que la folie ne s'amende pas sous l'effet de la punition. C'est à partir du XVIIIe siècle que s'est développée une médecine capable de reconnaître parmi les délinquants et les marginaux ceux qui doiventêtre tenus pour malades. En France, Philippe Pinel fut un initiateur de la clinique psychiatrique : il libéra les malades de leurs chaînes tout en travaillant à l'élaboration de savoir-faire à visée thérapeutique.
Dès le début du XIXe siècle, Esquirol soulignait la nécessité d'organiser l'hôpital psychiatrique en sorte de lui conférer un caractère thérapeutique. C'est un peu plus tard au cours du XXe siècle que furent mises au point les premières modalités thérapeutiques efficaces, prémices des thérapeutiques actuelles : médicamenteuses et tout aussi essentielles, sociales et psychologiques. Ceci a permis qu'au cours des trente dernières années la moitié des lits d'hôpital psychiatrique soient fermés, les malades étant désormais en mesure deretourner vivre dans leur milieu naturel grâce aux soins dispensés, mais souvent avec un niveau de handicap imposant un accompagnement long et attentif.
La récente affaire Moitoiret jugée en décembre 2011 révèle un étrange sort réservé à un évident malade mental. En juillet 2008, Stéphane Moitoiret alors âgé de 29 ans a participé au crime horrible d'un jeune garçon de 11 ans en pleine rue dans un village de l'Ain. Deux rapports d'expertise psychiatrique l'ont considéré punissable (en concluant à une altération du discernement), deux l'ont considéré non punissable (en concluant à une abolition du discernement). Les jurés ont choisi la punition en condamnant Stéphane Moitoiret à 20 ans de prison pour le crime atroce dont il est accusé. On peut penser qu'ainsi les jurés ont voulu prévenir tout risque de nouvelle nuisance ou barbarie de la part de cet homme. Certes Stéphane Moitoiret va ainsi passer quelques années en prison.
On est cependant en droit de se poser quelques questions.
Pourquoi des avis aussi divergents entre experts psychiatres ? Comment est-ce possible ? La qualité des expertises a été inégale. La juge en charge du dossier avait confié la première mission d'expertise à un collège de trois psychiatres. Deux d'entre eux ont remis un rapport que le troisième a refusé de cosigner : ce rapport conclut à "un cas typique de folie à deux" (l'acte aurait été conjointement accompli par S. Moitoiret et sa compagne) tout en affirmant que Stéphane Moitoiret est un sujet "prépsychotique" adhérant à un "vaste et complexe délire mystique". Etonnant langage de la part de psychiatres : un délire évoluant durant plus de six mois (ce qui était ici le cas) est réputé être un signe cardinal de trouble psychotique et il ne saurait être assimilé à un état prépsychotique.
Etonnant de lire dans le même rapport que le sujet serait curable "sous l'effet de la thérapeutique" (dès l'incarcération il fut nécessaire d'administrer un traitement antipsychotique à Stéphane Moitoiret). Il est rassurant qu'un expert ait refusé designer un tel rapport et rédigé un rapport indépendant où il s'explique : il fautappeler schizophrénie ce qui est du domaine d'une pathologie mentale évidente, la schizophrénie. Un troisième collège d'experts a clairement décrit les signes cliniques fondant le diagnostic de schizophrénie et logiquement conclu à l'irresponsabilité.
Ceci étant cohérent avec les observations cliniques durant l'incarcération préalable au procès en Assises période durant laquelle dut être mis en place un traitement à base de médicaments antipsychotiques (Haldol puis Solian puis Zyprexa). La seule indication de tels traitements étant : troubles psychotiques, en particulier de type schizophrénique. Une quatrième expertise a rejoint les conclusions du premier collège expertal affirmant Stéphane Moitoiret accessible à une sanction pénale tout en retenant le diagnostic d'état délirant chronique ! Dans les mêmes conclusions ces experts ont écrit que bien que délirant chronique il ne relève pas d'une hospitalisation en milieu psychiatrique. Ils indiquent pourtant la nécessité d'"un traitement neuroleptique au long cours".
Les jurés ont mieux entendu les rapports au contenu approximatif et peut-être bâclés. Pour preuve le fait que deux rapports (le premier et le troisième…) affirment l'absence d'antécédent psychiatrique bien que Stéphane Moitoiret ait été hospitalisé au centre psychiatrique de Clermont d'Oise près de Paris en 1986 ! On doit observer qu'à l'exception du premier rapport la notion de maladie mentale grave est dument mentionnée. De même que la nécessité de thérapeutiques antipsychotiques…
Que conclure en réalité ? Nous devons nous interroger sur la mission première de l'expertise psychiatrique. Reste-t-elle de dire l'existence ou non d'une maladie psychiatrique en se référant à la classification actuelle des maladies mentales telle que l'Organisation mondiale de la santé l'a établie (et non plus en avançant un diagnostic tout personnel…) ? Ainsi les jurés pourraient être informés des données de la science en particulier sur le cours évolutif spontané ou sous traitement de la maladie énoncée. Et ils pourraient prendre leur décision informés de données médicales établies.
Le sort réservé aux malades mentaux ne peut être une simple privation de liberté ou quelque autre punition. Les thérapeutiques ayant fait la preuve de leur efficacité doivent être mises en œuvre dans un environnement adéquat pour la protection de la société et pour éradiquer la maladie. Plus on soigne tôt un malade plus on se donne de chances de l'améliorer sinon le guérir : que deviendra Stéphane Moitoiret après quelques années de prison ?

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