Soins sous contrainte: semaine décisive pour la psychiatrie
Sophie Dufau
08/05/2011
08/05/2011
L'idée d'être obligé de se soigner en dehors de l'hôpital a décidément de plus en plus de mal à passer. Elle commence même à faire quelques dégâts au Parlement... Alors que la loi réformant les soins sous contrainte sera examinée par les sénateurs mardi et mercredi prochains, la semaine qui vient de s'écouler a vu s'engager un véritable bras de fer au sein de la Haute assemblée. Mardi, le texte a été rejeté en commission après le vote de quelque 170 amendements. Et jeudi, la rapporteure du texte, la centriste Muguette Dini, a démissionné. Un pataquès inédit dans l'histoire du Sénat.
Que s'est-il passé en commission? Tout simplement, et contre l'avis du gouvernement, Muguette Dini, estimant que «les soins sans consentement sous une autre forme que l'hospitalisation n'ont pas fait l'objet d'une réflexion ni d'une concertation suffisamment approfondies et qu'ils sont trop novateurs pour être créés dans un texte qui doit entrer en vigueur dans trois mois», est parvenue avec les voix des sénateurs de gauche et de quelques UMP à supprimer l'une des mesures phare du texte, la possibilité de soins psychiatriques sans consentement en ambulatoire (c'est-à-dire hors de l'hôpital). Ce qui revient à totalement dénaturer un texte que Nicolas Sarkozy réclame depuis fin 2008.
Furax, une grande partie des sénateurs UMP ont alors exprimé leur colère en votant contre le texte présenté en commission, tandis qu'à gauche, le PS, après avoir voté les amendements, s'abstenait sur le texte final («nous réclamons avant toute chose une grande loi de santé publique», explique Jacky Le Menn) et le PC votait contre (faisant eux aussi d'une loi plus générale un préalable).
Et pour la première fois depuis la réforme constitutionnelle de juillet 2008 –qui précise que le texte discuté en séance est celui voté en commission –, un projet de loi a été rejeté en commission. Au final, jeudi, Muguette Dini, s'estimant désavouée par la commission, a démissionné de son poste de rapporteure du projet de loi.
Mardi 10 mai, ce sera donc le projet de loi tel que voté en première lecture le 22 mars à l'Assemblée nationale qui sera discuté en séance. Il devrait être présenté par Jean-Louis Lorrain (UMP, Haut-Rhin).
Même s'il ne faut pas surestimer la force de résistance des sénateurs (n'oublions pas qu'après avoir fait mine de s'opposer au gouvernement ils ont, le 13 avril dernier, durci le sort réservé aux étrangers gravement malades), force est de constater que l'acharnement déployé depuis deux ans et demi par une poignée de professionnels de la psychiatrie pour faire entendre un discours humaniste sur leur discipline commence à porter ses fruits.
Les inquiétudes de la sénatrice
Tout a commencé au lendemain de la visite de Nicolas Sarkozy à l'hôpital d'Antony, en décembre 2008, deux mois après le meurtre d'un étudiant par une personne sortie d'un établissement psychiatrique, à Grenoble. En réaction à un discours qui assimile la personne suivie en psychiatrie à un malade dangereux, un petit nombre de soignants (infirmiers, psychiatres, psychologues...) forment le Collectif des 39 et lancent une pétition dénonçant «La nuit sécuritaire» (elle a recueilli à ce jour plus de 33.000 signatures).
De meetings en appels et lettres ouvertes, de manifestations en festival (lire nos comptes-rendus ici, là ou encore ici ou là), ils parviennent à s'imposer comme force d'opposition aux projets du gouvernement et comme outil de réflexion sur la pratique psychiatrique (outre les multiples reportages tant dans la presse qu'à la télévision, rappelons simplement en février dernier une soirée spéciale avec Mediapart, et en mars sur France Inter, un «Téléphone sonne» et une émission 3D. Sans oublier, vendredi dernier, la chronique de François Morel sur France Inter à 8h55).
Le gouvernement n'en a cure et présente en mars dernier à l'Assemblée nationale un projet de loi «relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques, et aux modalités de leur prise en charge», texte qui vise à assouplir les conditions d'entrée dans le système de soins sous contrainte et à en durcir la sortie. Il n'y est question que d'enfermement, de surveillance, de renforcement du pouvoir du préfet. Et il introduit cette notion de soins sous contrainte ambulatoire qui signifie que les soins sans consentement ne relèveront plus désormais d'une pratique encadrée par l'hôpital mais que l'on pourra obliger une personne à se soigner à son domicile. En cas de manquement à cette obligation, le préfet doit être averti par l'hôpital et pourra alors ordonner la réhospitalisation du patient.
A la lecture de ce texte, le 8 avril dernier, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, instance chargée de conseiller le gouvernement, avouait «partager la crainte (que la loi) renforce au-delà de l'indispensable la contrainte pesant sur les malades» en durcissant le statut de ceux qui sont traités par la psychiatrie. Et tout en déplorant l'amalgame opéré entre maladie mentale et délinquance/dangerosité, elle ajoutait: «Il semble que la réflexion ne soit pas aboutie, tant sur la question du contrôle par l'autorité judiciaire de la mesure de contrainte que sur celle de la gestion de la contrainte à l'extérieur de l'hôpital psychiatrique.»
En d'autres termes, un texte bâclé.
Lors de l'examen du rapport au Sénat, le 3 mai dernier, le réquisitoire de la sénatrice Dini fut tout aussi sévère. «Le projet de loi reste très vague sur le contenu du protocole de soins et renvoie à un décret en Conseil d'Etat. Le malade sera-t-il partie prenante à ce protocole? Quelle fiabilité aura l'engagement de quelqu'un dont l'adhésion au protocole sera le meilleur moyen de sortir de l'hôpital? Que se passera-t-il après? Qui aura accès à ce protocole? Comment pourra-t-il évoluer? Que fera-t-on si la personne refuse d'ouvrir sa porte? Quels types de soins seront prodigués? Tous les médecins le disent, le consentement du malade est à rechercher en permanence car il est la condition essentielle d'une amélioration de son état. Les soins sans consentement en dehors de l'hôpital suscitent donc beaucoup d'inquiétudes.»
Manifestation en mars 2011© SD
Pour faire entendre à nouveau ces inquiétudes et parvenir à porter l'estocade au texte, le Collectif des 39 – rejoint par tous les syndicats de psychiatres et des syndicats de magistrats, appuyés par des associations de patients et de familles et soutenus par des organisations syndicales et politiques – appelle à manifester mardi 10 mai, de 16 à 19 heures, devant le Sénat. Pour exiger le retrait du texte et «tout simplement pour continuer d'oublier de nous taire».
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