Mères et aveugles
Elles ont désiré un bébé, elles l’élèvent au toucher, à l’écoute. A Paris, une structure, unique, les prépare et les aide à affronter le regard des autres. Et à surmonter leur handicap.
Progressivement, tout doucement, Anne s’était faite à l’idée qu’elle n’aurait pas d’enfants. Son compagnon précédent n’en voulait pas, la quarantaine approchait et puis, sourit-elle, il y a «le regard des autres, les appréhensions». Sur ses genoux, Till, «4 mois et 10 jours», se marre. Avec ses grands yeux bleus écarquillés, ses trois poils blonds sur le caillou, sa bouille parfaite de poupée Corolle, il pourrait poser dans les catalogues. Il tend les mains vers le visage de sa mère, lui pince les joues. Elle lui caresse le nez, la pointe du menton. L’autre jour, il faisait beau, ils sont sortis. Un passant a regardé
Anne, sa canne, la tête de Till dans le porte-bébé. «C’est pas dangereux, avec un enfant ?» Anne a répondu : «Pardon ?» de l’air «qui dit qu’il ne faut pas insister». Et s’il avait insisté ? «Je lui aurais dit que la vie est dangereuse.»
Anne est aveugle de naissance. Elle aimerait voir les sourires de Till mais, «au fond, ce n’est pas vraiment un manque, au sens d’une nostalgie de quelque chose qu’on connaît». Ce serait plutôt «pour vérifier que ça va». Dans les caresses et les comptines dont elle enveloppe Till, on ne sent pas cette angoisse. Mais les mères aveugles, sourit-elle, se sentent obligées de montrer qu’elles font tout «très bien». Voire «mieux». Le désir d’enfant, qu’on ne questionne chez nulle autre, elles doivent toujours le justifier.
Elle enchaîne, en cajolant et en riant, les «démonstrations» : jeux, promenade, bain… Elle a tout de suite dit oui pour recevoir des journalistes, «pour lever les a priori». «Au début, les pleurs pendant le change, ne pas savoir ce qu’il avait, ça me stressait. Ça m’a aidé de sentir que Stéphane avait confiance en moi.»
«La poussette plus la canne, c’est impossible»
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