Les malades mentaux ne sont peut-être pas plus nombreux en prison, mais ils y restent plus longtemps
14/05/2010
Évoquant l’incarcération de plus en plus fréquente et problématique de personnes souffrant de maladies mentales, le médecin chef du service médico-psychologique régional (SMPR) de la prison de Fresnes, Christiane de Beaurepaire n’avait pas hésité à déclarer en juillet 2006 : « La prison sert de cache misère. C’est bien l’asile du XIXe siècle où se mêlaient les fous, les criminels et les pauvres », décrivait-elle. Quatre ans plus tard, les sénateurs auteurs d’un rapport intitulé « Prison et troubles mentaux : comment remédier aux dérives du système français », rendu public cette semaine, dressent un bilan similaire : « Le constat est alarmant » ont-ils tonné.
8 % de schizophrènes en prison, contre 1 % dans la population générale
De fait, les chiffres rappelés par Jean-René Lecercf (UMP), Jean-Pierre Michel (PS), Christiane Demontès (PS) et Gilbert Barbier (divers gauche) révèlent la forte proportion de détenus atteints de troubles mentaux. Ainsi, 8 % des prisonniers souffriraient de schizophrénie, tandis que les sénateurs observent que « la proportion de personnes atteintes de troubles mentaux les plus graves (schizophrénie ou autres formes de psychoses) pour lesquelles la peine n’a guère de sens, représenterait 10 % de la population pénale ». Les sénateurs rapportent en outre que 39,2 % des détenus seraient atteints de dépression, notent que 31,2 % souffrent d’anxiété généralisée, alors que l’addiction aux substances illicites touche 38 % des personnes incarcérées et l’alcoolisme 30 %.
Envoie-t-on vraiment plus de malades mentaux en prison ?
Au-delà de ces statistiques, les sénateurs ont souhaité déterminer si la proportion de détenus atteints de troubles mentaux majeurs avait réellement progressé ces dernières années. En dépit de l’impression dominante exprimée par les experts, qui tendent à répondre par l’affirmative, « faute de statistiques, ce sentiment ne s’appuie sur aucune donnée objective » remarquent les sénateurs. Ces derniers mettent cependant en avant une série d’arguments qui confortent ce point de vue. Ils s’intéressent notamment aux conséquences de la réforme du principe de l’irresponsabilité pénale de 1993. Une distinction entre l’abolition du discernement qui aboutit à décréter le prévenu irresponsable et l’altération du discernement qui « n’exonère pas l’auteur des faits de sa responsabilité » avait été établie. En 2003, le même Sénat affirmait que cette refonte du code pénal avait entraîné une diminution très importante du nombre de cas d’irresponsabilité pénale. Le Palais du Luxembourg affirmait alors que si 17 % des prévenus étaient déclarés totalement irresponsables dans les années 80, ils n’étaient plus que 1 % en 1997. Le diagnostic diffère aujourd’hui. Il semble que si « le nombre de non-lieux a baissé en valeur absolue, la part de ceux motivés par l’article 122-1 (définissant la notion d’irresponsabilité pénale, ndrl) est restée stable (5 % du total) » écrivent les sénateurs de 2010.
Maladie mentale : une circonstance aggravante
La réforme n’a cependant pas été sans influence. En effet, dans l’esprit du législateur, si le principe « d’atténuation du discernement » ne devait pas permettre au suspect d’échapper à un procès, il devait coïncider avec un allégement ou tout du moins un aménagement de la peine. Or, c’est la situation inverse qui s’est imposée : « l’altération du discernement (…) a constitué en pratique (…) un facteur d’aggravation de la peine allongeant la durée d’emprisonnement de personnes atteintes de troubles mentaux ». De façon plus explicite, les sénateurs, lors de leur conférence de presse, ont remarqué que les jurys avaient tendance à considérer la prison comme « le lieu le plus sûr » pour protéger la société d’éventuels nouveaux passages à l’acte. Aussi, dans leurs recommandations, les sénateurs estiment que doit être « conservée la distinction entre abolition et altération du discernement » mais que doit être « prévue explicitement l’atténuation de la peine en cas d’altération ». En tout état de cause, les sénateurs sont loin de recommander une restriction de l’application du principe d’irresponsabilité pénale, alors qu’une telle tendance aurait pu séduire au plus haut sommet de l’Etat.
Chambres d’hospitalisation : une cellule comme une autre
Au-delà des effets de la réforme de la responsabilité pénale, les sénateurs évoquent les conséquences de « la réduction de l’offre de soins psychiatriques en hospitalisation complète ». Le nombre de lits est en effet passé entre 1985 et 2005 de 129 500 à 89 800 lits. Connaissant cette situation critique, les experts seraient tentés de « refuser l’irresponsabilité d’auteurs d’infractions afin d’éviter de mobiliser un lit d’hospitalisation ». Les sénateurs dénoncent enfin le fait que les expertises ne soient « quasiment jamais mises en œuvre dans le cadre des procédures rapides de jugement, notamment la comparution immédiate qui concerne un nombre croissant de délits (près de 11 % des jugements en 2006) ». Si cette situation doit être dénoncée, c’est, martèle le rapport que la prison n’est nullement le lieu adapté pour des patients atteints de maladie mentale. Ils observent par ailleurs que les solutions mises en place ne sont pas toujours optimales : ils soulignent notamment comment dans « une majorité de SMPR, les chambres d’hospitalisation ne se différencient pas réellement des cellules de détention ».
La prison doit devenir plus séduisante pour les soignants
Aussi ont-ils établi une série de proposition, dont certaines semblent déjà avoir été entendues par le ministre de la Santé. Ils appellent en effet à une réforme rapide de la loi de juin 1990 sur l’hospitalisation d’office, or on sait que celle-ci est déjà engagée. Par ailleurs, ils invitent à renforcer la formation et l’offre en psychiatrie. Déjà, le 19 avril dernier, au lendemain de la prise en otage par un détenu d’un médecin de la prison de la Santé pendant quelques heures, Roselyne Bachelot avait annoncé qu’un plan dédié à la santé en prison allait être adopté et qu’il aurait notamment pour vocation « d’améliorer l’attractivité des métiers de la santé en milieu pénitentiaire ». Le ministre avait dans cette même lignée affirmé que : « Des opérations d’information auprès des étudiants seront amenées à se multiplier pour changer l’image des métiers de santé en milieu carcéral ». De leur côté, les sénateurs appellent à la création d’un « diplôme d’études spécialisées complémentaire en psychiatrie médico-légale ». Ils savent cependant que c’est l’ensemble de l’offre en psychiatrie qui doit être augmentée. En effet, « depuis 1997, les effectifs médicaux et soignants n’ont progressé que de 21,45 % en psychiatrie contre 108,3 % pour les soins somatiques » remarquent-ils. Aussi suggèrent-ils de « créer une spécialisation de niveau master en psychiatrie pour les infirmiers ».
Aurélie Haroche
14/05/2010
Évoquant l’incarcération de plus en plus fréquente et problématique de personnes souffrant de maladies mentales, le médecin chef du service médico-psychologique régional (SMPR) de la prison de Fresnes, Christiane de Beaurepaire n’avait pas hésité à déclarer en juillet 2006 : « La prison sert de cache misère. C’est bien l’asile du XIXe siècle où se mêlaient les fous, les criminels et les pauvres », décrivait-elle. Quatre ans plus tard, les sénateurs auteurs d’un rapport intitulé « Prison et troubles mentaux : comment remédier aux dérives du système français », rendu public cette semaine, dressent un bilan similaire : « Le constat est alarmant » ont-ils tonné.
8 % de schizophrènes en prison, contre 1 % dans la population générale
De fait, les chiffres rappelés par Jean-René Lecercf (UMP), Jean-Pierre Michel (PS), Christiane Demontès (PS) et Gilbert Barbier (divers gauche) révèlent la forte proportion de détenus atteints de troubles mentaux. Ainsi, 8 % des prisonniers souffriraient de schizophrénie, tandis que les sénateurs observent que « la proportion de personnes atteintes de troubles mentaux les plus graves (schizophrénie ou autres formes de psychoses) pour lesquelles la peine n’a guère de sens, représenterait 10 % de la population pénale ». Les sénateurs rapportent en outre que 39,2 % des détenus seraient atteints de dépression, notent que 31,2 % souffrent d’anxiété généralisée, alors que l’addiction aux substances illicites touche 38 % des personnes incarcérées et l’alcoolisme 30 %.
Envoie-t-on vraiment plus de malades mentaux en prison ?
Au-delà de ces statistiques, les sénateurs ont souhaité déterminer si la proportion de détenus atteints de troubles mentaux majeurs avait réellement progressé ces dernières années. En dépit de l’impression dominante exprimée par les experts, qui tendent à répondre par l’affirmative, « faute de statistiques, ce sentiment ne s’appuie sur aucune donnée objective » remarquent les sénateurs. Ces derniers mettent cependant en avant une série d’arguments qui confortent ce point de vue. Ils s’intéressent notamment aux conséquences de la réforme du principe de l’irresponsabilité pénale de 1993. Une distinction entre l’abolition du discernement qui aboutit à décréter le prévenu irresponsable et l’altération du discernement qui « n’exonère pas l’auteur des faits de sa responsabilité » avait été établie. En 2003, le même Sénat affirmait que cette refonte du code pénal avait entraîné une diminution très importante du nombre de cas d’irresponsabilité pénale. Le Palais du Luxembourg affirmait alors que si 17 % des prévenus étaient déclarés totalement irresponsables dans les années 80, ils n’étaient plus que 1 % en 1997. Le diagnostic diffère aujourd’hui. Il semble que si « le nombre de non-lieux a baissé en valeur absolue, la part de ceux motivés par l’article 122-1 (définissant la notion d’irresponsabilité pénale, ndrl) est restée stable (5 % du total) » écrivent les sénateurs de 2010.
Maladie mentale : une circonstance aggravante
La réforme n’a cependant pas été sans influence. En effet, dans l’esprit du législateur, si le principe « d’atténuation du discernement » ne devait pas permettre au suspect d’échapper à un procès, il devait coïncider avec un allégement ou tout du moins un aménagement de la peine. Or, c’est la situation inverse qui s’est imposée : « l’altération du discernement (…) a constitué en pratique (…) un facteur d’aggravation de la peine allongeant la durée d’emprisonnement de personnes atteintes de troubles mentaux ». De façon plus explicite, les sénateurs, lors de leur conférence de presse, ont remarqué que les jurys avaient tendance à considérer la prison comme « le lieu le plus sûr » pour protéger la société d’éventuels nouveaux passages à l’acte. Aussi, dans leurs recommandations, les sénateurs estiment que doit être « conservée la distinction entre abolition et altération du discernement » mais que doit être « prévue explicitement l’atténuation de la peine en cas d’altération ». En tout état de cause, les sénateurs sont loin de recommander une restriction de l’application du principe d’irresponsabilité pénale, alors qu’une telle tendance aurait pu séduire au plus haut sommet de l’Etat.
Chambres d’hospitalisation : une cellule comme une autre
Au-delà des effets de la réforme de la responsabilité pénale, les sénateurs évoquent les conséquences de « la réduction de l’offre de soins psychiatriques en hospitalisation complète ». Le nombre de lits est en effet passé entre 1985 et 2005 de 129 500 à 89 800 lits. Connaissant cette situation critique, les experts seraient tentés de « refuser l’irresponsabilité d’auteurs d’infractions afin d’éviter de mobiliser un lit d’hospitalisation ». Les sénateurs dénoncent enfin le fait que les expertises ne soient « quasiment jamais mises en œuvre dans le cadre des procédures rapides de jugement, notamment la comparution immédiate qui concerne un nombre croissant de délits (près de 11 % des jugements en 2006) ». Si cette situation doit être dénoncée, c’est, martèle le rapport que la prison n’est nullement le lieu adapté pour des patients atteints de maladie mentale. Ils observent par ailleurs que les solutions mises en place ne sont pas toujours optimales : ils soulignent notamment comment dans « une majorité de SMPR, les chambres d’hospitalisation ne se différencient pas réellement des cellules de détention ».
La prison doit devenir plus séduisante pour les soignants
Aussi ont-ils établi une série de proposition, dont certaines semblent déjà avoir été entendues par le ministre de la Santé. Ils appellent en effet à une réforme rapide de la loi de juin 1990 sur l’hospitalisation d’office, or on sait que celle-ci est déjà engagée. Par ailleurs, ils invitent à renforcer la formation et l’offre en psychiatrie. Déjà, le 19 avril dernier, au lendemain de la prise en otage par un détenu d’un médecin de la prison de la Santé pendant quelques heures, Roselyne Bachelot avait annoncé qu’un plan dédié à la santé en prison allait être adopté et qu’il aurait notamment pour vocation « d’améliorer l’attractivité des métiers de la santé en milieu pénitentiaire ». Le ministre avait dans cette même lignée affirmé que : « Des opérations d’information auprès des étudiants seront amenées à se multiplier pour changer l’image des métiers de santé en milieu carcéral ». De leur côté, les sénateurs appellent à la création d’un « diplôme d’études spécialisées complémentaire en psychiatrie médico-légale ». Ils savent cependant que c’est l’ensemble de l’offre en psychiatrie qui doit être augmentée. En effet, « depuis 1997, les effectifs médicaux et soignants n’ont progressé que de 21,45 % en psychiatrie contre 108,3 % pour les soins somatiques » remarquent-ils. Aussi suggèrent-ils de « créer une spécialisation de niveau master en psychiatrie pour les infirmiers ».
Aurélie Haroche
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