LE MONDE DES LIVRES
Critique
"Le Revolver de Lacan",
de Jean-François Rouzières : un revolver sous le divan
27.01.11
Lorsqu'un psychanalyste publie son premier roman et l'intitule Le Revolver de Lacan, on s'attend, reconnaissons-le, à lire un texte un peu conceptuel, très référencé, truffé de jeux de mots pour initiés. Jean-François Rouzières nous offre au contraire une fiction portée par une écriture étonnamment limpide et précise. Si la psychanalyse travaille son texte, ce n'est pas d'abord comme théorie, mais comme moteur du récit, en tant qu'expérience émotive et vitale vécue par le héros, Gabriel.
Des trois carnets qui composent Le Revolver de Lacan - "Carnet du soldat", "Carnet du patient", "Carnet du chasseur" -, le premier est sans doute le plus tourmenté. Ayant abandonné ses études de médecine, Gabriel est parti s'engager en Afghanistan, dans une unité d'élite. C'est le moment du traumatisme, mais ce pourrait aussi bien être le carnet du symptôme puisque, comme il le dit lui-même : "Je ne trouvais pas idiote l'idée de mourir pour mon pays. (...) Je sais (...) que les raisons qui me poussent sur un champ de bataille sont peut-être plus obscures que cette conscience qui semble s'être trouvée. Je sais tout cela, il n'empêche : les démocraties occidentales sont bien contentes de trouver des cinglés comme nous."
Revenu en France après une opération héroïque et tragique, Gabriel se mure dans le silence, sa voix étant "restée sur les champs de bataille". Il vit comme s'il était redevenu "l'enfant qui s'était demandé si ça valait vraiment le coup de venir au langage". Ce ne sont a priori pas les conditions idéales pour entamer une cure par la parole... C'est pourtant ce que va accepter d'engager avec lui l'étrange Monte-Cristo, dont les méthodes seront aussi inventives que les réactions de son patient. Détenteur d'un Smith & Wesson .38 Chiefs Special censé avoir appartenu à Jacques Lacan, et qu'il a placé en évidence dans son cabinet, le psychanalyste attise évidemment la violence de son patient : "Pourquoi avait-il gardé cette arme ? Pourquoi la mettait-il sous mon nez ? Ne tenait-il pas à ce que je m'en serve, finalement ?" Il faudra toute la patience, la finesse et l'originalité de ce psychanalyste pour que Gabriel comprenne que la guerre "n'est pas que sur les champs de bataille" et qu'il est temps pour lui de cesser de se battre avec lui-même.
Aussi passionnant qu'un "récit de cas", le roman de Jean-François Rouzières désamorce pourtant les risques d'une écriture clinique, ne serait-ce que parce qu'il adopte le point de vue du patient, et épouse stylistiquement le rythme de ses errances, de sa violence et de sa souffrance. Malgré quelques passages dans lesquels la vulgate freudienne s'expose en des formulations un peu trop prévisibles, la réussite de Jean-François Rouzières tient à ce que sa fiction ne perd jamais de vue la singularité de l'expérience psychique de son héros.
Le troisième carnet paraît d'abord un peu moins nécessaire que les précédents. Le roman aurait pu, sans frustration pour le lecteur, s'achever avec la fin de la cure. Gabriel reprend ses études de médecine, devient psychiatre et, avec une rapidité surprenante, psychanalyste. Il rencontre un vieil homme, ancien combattant comme lui, et toujours en guerre sous des dehors joviaux. Hystérique, diagnostique-t-il. Pourtant, c'est cette rencontre qui lui permettra de mener à bien son cheminement, en vertu de l'idée selon laquelle l'analyse continue bien après la fin de la cure.
LE REVOLVER DE LACAN de Jean-François Rouzières. Seuil, 304 p.
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