Handicap et sexualité : «Que ceux qui en ont envie puissent en bénéficier»
TCHAT
Fondateur de la Coordination Handicap et autonomie, l'écrivain et consultant Marcel Nuss est atteint d'un lourd handicap. Il est co-auteur avec Pascal Dreyer de «Handicaps et sexualités, le Livre blanc» (Dunod). Il a répondu à vos questions.
Gabriel. Que pensez-vous de l'idée de mettre à disposition des handicapés des assistant(e)s de sexualité? cela vous choque-t-il ?
Marcel Nuss. Non, ça ne me choque pas, puisque je me bats pour qu'il y ait des assistants sexuels en France, je trouve cela essentiel, et vital.
Calicot. Qu'avez-vous pensé du documentaire «Sexe, amour et handicapé» du réalisateur Jean-Michel Carré, diffusé hier au soir sur France 2 ?
Je pense que c'est très bien, dans la mesure où il montre toute la profondeur et l'ampleur du problème des handicapés et le refus d'entendre cette souffrance.
ILWMPB. Le tabou est-il sociétal (je n'ai pas sentiment que ce soit le cas) ou circonscrit aux personnes handicapées et leur entourage ?
Pour moi, le tabou est d'abord d'ordre culturel, parce que dans les pays comme les Pays-Bas, le Danemark, l'Allemagne, la Suisse ou les Etats-Unis, l'accompagnement sexuel existe. Il est évident qu'en France il y a un certain tabou, qui a du mal à être entendu. Je compare les blocages actuels à ce qui s'est passé en 1975, au moment où a été voté la loi qui a légalisé l'avortement sous certaines conditions.
Fxr. Comment organiser ce type de «service» ?
Ce service doit nécessairement être encadré pour éviter toutes sortes de dérives. Pour qu'il soit encadré il faut mettre en place une formation en amont, comme c'est le cas en Suisse. Tout le monde ne peut pas être «assistant sexuel». Ça n'a rien à voir avec de la prostitution, dans la mesure où il faut connaître les types de handicaps que l'on va rencontrer, leur spécificité. Il ne s'agit pas de procurer l'orgasme.
Ça à rien à voir avec les passes que proposent les prostituées. Il s'agit de séance d'une heure et demi qui permettent aux personnes handicapées d'entrer en contact avec leur corps, et donc de l'incarner. Parce que le problème réside dans la désincarnation et dans la déstructuration de la majorité des personnes handicapées.
Aujourd'hui sont candidats à l'accompagnement sexuel, soit des personnes qui font des métiers dans le paramédical, en lien avec le corps, c'est-à-dire des ostéopathes, des psychologues, des kinés, des infirmières. Soit elles viennent du monde de la prostitution et demandent à être spécifiquement formées. Ces prostituées sont des prostituées libérales, elles dépendent pas d'un réseau. Elles sont complètement libres, et pratiquent la prostitutions par choix, ça n'a rien à voir avec ces femmes que l'on ramène, en autre, des pays de l'est.
Odile. La question est délicate et les moyens d'améliorer les conditions de vie sexuelle des handicapés l'est tout autant, ne faudrait-il pas en priorité les protéger contre les abus sexuels qu'ils subissent encore trop souvent ?
Je suis entièrement d'accord, mais l'un n'empêche pas l'autre. Peut-être que l'accompagnement sexuel pourra-t-il faire baisser nombre de abus sexuels. D'ailleurs, un des problèmes que l'on rencontre fréquemment, et dont les opposants ne parlent jamais, ce sont les abus sexuels subis par des femmes handicapées, il y en a tous les jours. Une des raisons pour lesquelles les femmes handicapées sont aujourd'hui minoritaires en matière de demande, c'est parce qu'elles sont très méfiantes, ce qui n'empêche pas qu'elle en on tout autant envie.
Julien. Vous qui êtes le porte-parole des personnes handicapées, que vous disent-elles, de quoi ont elles envie ?
Elles ont envie d'être entendu, respectée dans leur demande d'humanité. Chez les personnes que je rencontre, il y en a certaines qui ne veulent pas d'accompagnement, et c'est un choix. En ce sens, je me bats pour qu'on reconnaisse un choix. Aujourd'hui, dans le mesure où cet accompagnement sexuel est réprouvé par la loi, il n'y a pas de choix. Les personnes ne peuvent qu'être frustrées et subir.
Alors que si cet accompagnement sexuel était légalisé, il y aurait un réel choix, comme avec l'avortement. Personne n'est obligé d'avorter, personne n'est obligé de recourir à des assistants sexuels, mais il faut que ceux qui en ont envie, puisse en bénéficier.
Fxr. Avez-vous des interlocuteurs attentifs dans le gouvernement actuel ?
Dans le gouvernement, il semblerait que Marie-Anne Montchamp qui est secrétaire d'Etat aux solidarités et à la cohésion sociale soit sensible à ce problème. Madame Bachelot est contre, comme elle le dit à un «truc pareil». Au niveau parlementaire, Jean-François Chossy, député UMP de la 7e circonscription de la Loire, est en train de préparer un projet de loi. J'espère que ce projet de loi sera présenté d'ici juin, comme il l'a promis. Donc, j'espère que les pressions de madame Bachelot n'auront pas d'influences négatives sur ce projet en préparation.
Le projet consiste à demander ce qu'on appelle «une exception de la loi». Aujourd'hui, en France, le proxénétisme et le racolage sont interdits, alors que la prostitution est légale. Grâce à ce projet de loi - s'il est voté -, on ne touchera pas à la loi, mais on demandera qu'exceptionnellement, toutes les personnes qui sont dans le champ du handicap soient exclues de cette loi. Et qu'ainsi les personnes qui sont intermédiaires, entre une personne handicapée et un assistant sexuel ne puissent pas être poursuivies pour proxénétisme ou racolade.
Si ce projet était voté, on ne toucherait pas à la loi, mais on préserverait uniquement les personnes qui sont impliquées dans l'accompagnement des personnes handicapées. On ne se bat pas pour que la prostitution soient légalisées, on ne veut pas être la porte ouverte à la légalisation de la prostitution. On veut simplement protéger une personne qui s'engage pour des raison humanitaires. On est dans l'humanitaire, ce que l'on le voit très bien dans le documentaire.
Vforvendetta. Dans le documentaire, il y aussi de belles histoires de couples et de rencontre qui semblent tout à fait naturelles. N'est-ce pas une solution préférable ?
Évidemment que c'est préférable, mais, malheureusement, ce n'est pas aussi simple. En France, il y a actuellement 3 millions de personnes qui souffrent de misère affective et sexuelle. Les personnes qui ont un handicap, et qui ne peuvent même pas se toucher, se trouvent face à une montagne insurmontable, d'autant plus si elles vivent en institution. D'ailleurs l'accompagnement sexuel n'est pas «la» réponse, mais c'est «une» réponse. Une réponse, ça ne prétend pas être la panacée.
On répond à une demande croissante, parce que beaucoup de personnes handicapées n'ont pas la capacité de créer du lien, elles sont trop mal dans leur corps. L'accompagnement sexuel est une réponse pour leur permettre de se réincarner, de retrouver confiance en elle, de se valoriser, et donc d'être en capacité de recréer du lien.
Ephrem. Ne peut-on imaginer des pratiques psychosomatiques (sophrologie, yoga) qui excluent a priori la relation sexuelle, tout en améliorant la sentiment d'être incarné ?
Ça fait partie d'une réponse, mais le problème c'est que ça coûte très cher. Aujourd'hui, par exemple, une séance d'ostéopathie coûte dans les 60 euros. Quand vous disposez par mois d'environ 700 euros pour vivre, vous ne consacrez pas 60 euros à un soin. La sophrologie, l'ostéopahtie... apportent du bien être, mais ne touche pas la sensualité.
Or, avoir un handicap signifie être privé de sensualité, privé de vie corporelle, parce que le seul touché que connaisse la majorité des personnes handicapées est un touché mécanique, un touché de soin. Il n'y a pas de sensualité.
Vangelis. Et comment peut-on vous contacter ?
Vous pouvez me contacter sur mon blog, je répondrai à toutes vos questions. Il n'y a pas de questions taboues. Je reçois de plus en plus de questions, parce qu'actuellement il y a une prise de conscience. On est dans un virage culturel, et ce virage réveille un besoin d'humanisation croissante.
Marcel Nuss est l'auteur de :
«L'Identité de la personne "handicapée"», Marcel Nuss, Dunod, (2011)
«Corps accord sur l'écume», un recueil de poèmes (érotiques), Marcel Nuss, Éditions du troubadour, (2011).
25/02/2011
TCHAT
Fondateur de la Coordination Handicap et autonomie, l'écrivain et consultant Marcel Nuss est atteint d'un lourd handicap. Il est co-auteur avec Pascal Dreyer de «Handicaps et sexualités, le Livre blanc» (Dunod). Il a répondu à vos questions.
Gabriel. Que pensez-vous de l'idée de mettre à disposition des handicapés des assistant(e)s de sexualité? cela vous choque-t-il ?
Marcel Nuss. Non, ça ne me choque pas, puisque je me bats pour qu'il y ait des assistants sexuels en France, je trouve cela essentiel, et vital.
Calicot. Qu'avez-vous pensé du documentaire «Sexe, amour et handicapé» du réalisateur Jean-Michel Carré, diffusé hier au soir sur France 2 ?
Je pense que c'est très bien, dans la mesure où il montre toute la profondeur et l'ampleur du problème des handicapés et le refus d'entendre cette souffrance.
ILWMPB. Le tabou est-il sociétal (je n'ai pas sentiment que ce soit le cas) ou circonscrit aux personnes handicapées et leur entourage ?
Pour moi, le tabou est d'abord d'ordre culturel, parce que dans les pays comme les Pays-Bas, le Danemark, l'Allemagne, la Suisse ou les Etats-Unis, l'accompagnement sexuel existe. Il est évident qu'en France il y a un certain tabou, qui a du mal à être entendu. Je compare les blocages actuels à ce qui s'est passé en 1975, au moment où a été voté la loi qui a légalisé l'avortement sous certaines conditions.
Fxr. Comment organiser ce type de «service» ?
Ce service doit nécessairement être encadré pour éviter toutes sortes de dérives. Pour qu'il soit encadré il faut mettre en place une formation en amont, comme c'est le cas en Suisse. Tout le monde ne peut pas être «assistant sexuel». Ça n'a rien à voir avec de la prostitution, dans la mesure où il faut connaître les types de handicaps que l'on va rencontrer, leur spécificité. Il ne s'agit pas de procurer l'orgasme.
Ça à rien à voir avec les passes que proposent les prostituées. Il s'agit de séance d'une heure et demi qui permettent aux personnes handicapées d'entrer en contact avec leur corps, et donc de l'incarner. Parce que le problème réside dans la désincarnation et dans la déstructuration de la majorité des personnes handicapées.
Aujourd'hui sont candidats à l'accompagnement sexuel, soit des personnes qui font des métiers dans le paramédical, en lien avec le corps, c'est-à-dire des ostéopathes, des psychologues, des kinés, des infirmières. Soit elles viennent du monde de la prostitution et demandent à être spécifiquement formées. Ces prostituées sont des prostituées libérales, elles dépendent pas d'un réseau. Elles sont complètement libres, et pratiquent la prostitutions par choix, ça n'a rien à voir avec ces femmes que l'on ramène, en autre, des pays de l'est.
Odile. La question est délicate et les moyens d'améliorer les conditions de vie sexuelle des handicapés l'est tout autant, ne faudrait-il pas en priorité les protéger contre les abus sexuels qu'ils subissent encore trop souvent ?
Je suis entièrement d'accord, mais l'un n'empêche pas l'autre. Peut-être que l'accompagnement sexuel pourra-t-il faire baisser nombre de abus sexuels. D'ailleurs, un des problèmes que l'on rencontre fréquemment, et dont les opposants ne parlent jamais, ce sont les abus sexuels subis par des femmes handicapées, il y en a tous les jours. Une des raisons pour lesquelles les femmes handicapées sont aujourd'hui minoritaires en matière de demande, c'est parce qu'elles sont très méfiantes, ce qui n'empêche pas qu'elle en on tout autant envie.
Julien. Vous qui êtes le porte-parole des personnes handicapées, que vous disent-elles, de quoi ont elles envie ?
Elles ont envie d'être entendu, respectée dans leur demande d'humanité. Chez les personnes que je rencontre, il y en a certaines qui ne veulent pas d'accompagnement, et c'est un choix. En ce sens, je me bats pour qu'on reconnaisse un choix. Aujourd'hui, dans le mesure où cet accompagnement sexuel est réprouvé par la loi, il n'y a pas de choix. Les personnes ne peuvent qu'être frustrées et subir.
Alors que si cet accompagnement sexuel était légalisé, il y aurait un réel choix, comme avec l'avortement. Personne n'est obligé d'avorter, personne n'est obligé de recourir à des assistants sexuels, mais il faut que ceux qui en ont envie, puisse en bénéficier.
Fxr. Avez-vous des interlocuteurs attentifs dans le gouvernement actuel ?
Dans le gouvernement, il semblerait que Marie-Anne Montchamp qui est secrétaire d'Etat aux solidarités et à la cohésion sociale soit sensible à ce problème. Madame Bachelot est contre, comme elle le dit à un «truc pareil». Au niveau parlementaire, Jean-François Chossy, député UMP de la 7e circonscription de la Loire, est en train de préparer un projet de loi. J'espère que ce projet de loi sera présenté d'ici juin, comme il l'a promis. Donc, j'espère que les pressions de madame Bachelot n'auront pas d'influences négatives sur ce projet en préparation.
Le projet consiste à demander ce qu'on appelle «une exception de la loi». Aujourd'hui, en France, le proxénétisme et le racolage sont interdits, alors que la prostitution est légale. Grâce à ce projet de loi - s'il est voté -, on ne touchera pas à la loi, mais on demandera qu'exceptionnellement, toutes les personnes qui sont dans le champ du handicap soient exclues de cette loi. Et qu'ainsi les personnes qui sont intermédiaires, entre une personne handicapée et un assistant sexuel ne puissent pas être poursuivies pour proxénétisme ou racolade.
Si ce projet était voté, on ne toucherait pas à la loi, mais on préserverait uniquement les personnes qui sont impliquées dans l'accompagnement des personnes handicapées. On ne se bat pas pour que la prostitution soient légalisées, on ne veut pas être la porte ouverte à la légalisation de la prostitution. On veut simplement protéger une personne qui s'engage pour des raison humanitaires. On est dans l'humanitaire, ce que l'on le voit très bien dans le documentaire.
Vforvendetta. Dans le documentaire, il y aussi de belles histoires de couples et de rencontre qui semblent tout à fait naturelles. N'est-ce pas une solution préférable ?
Évidemment que c'est préférable, mais, malheureusement, ce n'est pas aussi simple. En France, il y a actuellement 3 millions de personnes qui souffrent de misère affective et sexuelle. Les personnes qui ont un handicap, et qui ne peuvent même pas se toucher, se trouvent face à une montagne insurmontable, d'autant plus si elles vivent en institution. D'ailleurs l'accompagnement sexuel n'est pas «la» réponse, mais c'est «une» réponse. Une réponse, ça ne prétend pas être la panacée.
On répond à une demande croissante, parce que beaucoup de personnes handicapées n'ont pas la capacité de créer du lien, elles sont trop mal dans leur corps. L'accompagnement sexuel est une réponse pour leur permettre de se réincarner, de retrouver confiance en elle, de se valoriser, et donc d'être en capacité de recréer du lien.
Ephrem. Ne peut-on imaginer des pratiques psychosomatiques (sophrologie, yoga) qui excluent a priori la relation sexuelle, tout en améliorant la sentiment d'être incarné ?
Ça fait partie d'une réponse, mais le problème c'est que ça coûte très cher. Aujourd'hui, par exemple, une séance d'ostéopathie coûte dans les 60 euros. Quand vous disposez par mois d'environ 700 euros pour vivre, vous ne consacrez pas 60 euros à un soin. La sophrologie, l'ostéopahtie... apportent du bien être, mais ne touche pas la sensualité.
Or, avoir un handicap signifie être privé de sensualité, privé de vie corporelle, parce que le seul touché que connaisse la majorité des personnes handicapées est un touché mécanique, un touché de soin. Il n'y a pas de sensualité.
Vangelis. Et comment peut-on vous contacter ?
Vous pouvez me contacter sur mon blog, je répondrai à toutes vos questions. Il n'y a pas de questions taboues. Je reçois de plus en plus de questions, parce qu'actuellement il y a une prise de conscience. On est dans un virage culturel, et ce virage réveille un besoin d'humanisation croissante.
Marcel Nuss est l'auteur de :
«L'Identité de la personne "handicapée"», Marcel Nuss, Dunod, (2011)
«Corps accord sur l'écume», un recueil de poèmes (érotiques), Marcel Nuss, Éditions du troubadour, (2011).
25/02/2011
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