La ministre de la Santé, Marisol Touraine, révèle les grands axes et les principales mesures de la nouvelle stratégie sanitaire nationale qu’elle présente ce matin.
Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, doit annoncer ce matin les grandes lignes de la nouvelle stratégie nationale de santé qui devrait façonner le paysage sanitaire français pour les dix années à venir, en le centrant sur le patient. Pour Libération,elle dévoile les premières mesures.
(Photo Jérôme Bonnet)
Vous présentez une nouvelle stratégie nationale de santé. Est-ce à dire qu’il n’y en avait pas auparavant ?
Dès ma prise de fonction, je me suis concentrée sur les sujets les plus urgents : engager la lutte contre les déserts médicaux, mettre fin aux dépassements d’honoraires abusifs, permettre aux femmes d’accéder gratuitement à l’IVG et aux jeunes à la contraception… Cela a jeté les bases de la stratégie nationale de santé. J’ai aujourd’hui la conviction qu’il faut refonder notre système de santé.
C’est-à-dire ?
Le Premier ministre a fixé un cap clair il y a quelques mois. Nous avons un excellent système de soins, mais il a vieilli. Il a été conçu après-guerre pour traiter des maladies aiguës. Les résultats sont là, mais de nouveaux défis apparaissent. Des maladies dont on mourait sont devenues chroniques. Je pense aux maladies cardiovasculaires, à certains cancers, ou encore au sida. De plus, l’allongement de l’espérance de vie nous oblige aujourd’hui à mieux prendre en compte le vieillissement de la population. Et, dans le même temps, notre système de santé s’accompagne de grandes inégalités. C’est le paradoxe français : on a l’espérance de vie la plus élevée des pays de l’Union européenne, mais la mortalité prématurée évitable, avant 65 ans, la plus élevée des pays de l’Europe occidentale. En somme, de très bons résultats d’ensemble s’accompagnent de grandes disparités. Rendez-vous compte : d’un bout à l’autre de la ligne 13 du métro parisien [de Châtillon-Montrouge, au sud de la capitale, à Asnières-Gennevilliers et Saint-Denis, au nord de Paris, ndlr], l’écart d’espérance de vie est de plus de deux ans ! Il est temps de dire que la réduction des inégalités de santé est un objectif à part entière de notre politique de santé.
Comment le traduire dans une nouvelle stratégie de santé ?
Nous nous sommes fixé trois objectifs. D’abord, reconnaître enfin la prévention : on en parle beaucoup, mais on en fait peu. Deuxième orientation : inventer une médecine de parcours. Enfin, développer les droits du patient. La prévention donc, cela veut dire ne plus se contenter d’empiler les plans les uns sur les autres : plan obésité, plan tabac, plan jeunes diabète, etc. Il faut se fixer des objectifs concrets et chiffrés en matière de santé publique. Inventer, ensuite, une médecine de parcours.
Des objectifs bien administratifs ?
Non, c’est concret. Aujourd’hui, le patient est ballotté. Il voit son médecin généraliste, puis l’hôpital, il passe de l’un à l’autre sans grande coordination. C’est souvent le parcours du combattant ! Le service public territorial de santé, c’est l’organisation, au niveau de chaque territoire, de la coopération entre les professionnels de santé.
Là encore, tout le monde est d’accord, mais comment faire bouger le «mammouth» de la santé ?
C’est une démarche ambitieuse, qui passe d’abord par la constitution d’équipes de professionnels de santé, dont le médecin traitant devient le pivot, qui passe ensuite par l’augmentation de la part des rémunérations liée à des objectifs de santé publique. Pour faciliter l’échange entre professionnels de santé, nous allons relancer le dossier médical personnalisé, mais en le ciblant sur les personnes âgées et les personnes atteintes de maladies chroniques.
Allez-vous généraliser le tiers payant ?
Oui ! D’ici à 2017, quand vous irez voir votre médecin, vous n’aurez plus à avancer le prix de la consultation, comme c’est déjà le cas en pharmacie. Nous allons commencer par une première étape, en direction des bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé : dès la fin de l’année prochaine, le tiers payant sera ainsi possible pour les ménages aux revenus modestes.
Et la généralisation des complémentaires, où en est-on ?
La qualité des complémentaires santé doit être garantie aux Français : pour cela, dès la prochaine loi de financement de la Sécurité sociale, les critères des contrats seront renforcés.
Vous évoquiez également les obstacles géographiques ?
L’offre des soins n’est pas repartie équitablement selon les territoires [lire ci-contre, ndlr].Comment y remédier ? Nous avons commencé, en développant fortement les maisons de santé pluridisciplinaires : plus de 300 vont ouvrir très prochainement. Nous mettons en place les praticiens territoriaux : il y en aura 200 à la fin de l’année. Ce sont des médecins généralistes qui s’installent dans des zones désertées, et on leur assure un revenu garanti de 3 600 euros par mois. Il ne s’agit ni d’étatiser la médecine générale ni de marginaliser l’hôpital, mais d’organiser le parcours de soins autour du patient.
Enfin, donc, les droits des patients ?
La loi de 2002 a ouvert la voie en reconnaissant le droit des patients. Je souhaite franchir une nouvelle étape. Je vais ouvrir dès l’année prochaine la possibilité d’actions de groupe en matière de santé. Pour mieux informer les patients, nous allons mettre en place une base de données publiques accessible à tous, en commençant par les médicaments : un site sera mis en ligne dès la semaine prochaine.
Tout cela se traduira, alors, par une loi de santé publique, prévue pour l’année prochaine ?
Je présenterai une loi de stratégie nationale de santé en 2014, plus large, qui comportera des priorités fortes de santé publique, et des indicateurs chiffrés permettant de suivre les progrès que nous ferons.
Pourquoi n’avez-vous pas voulu que l’ancien ministre Claude Evin soit à vos côtés pour porter ce projet ?
Qui d’autre que la ministre doit porter cette stratégie nationale ? Ce sera mon travail et ma priorité. La transformation de notre système est un chantier considérable, sur lequel je veux mobiliser tous les acteurs de la santé. Cette stratégie nationale sera l’enjeu principal de ce ministère dans les prochains mois.
D’autres sujets vous attendent. Vous vous êtes à plusieurs reprises déclarée en faveur de l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes. Et on n’en parle plus…
Je suis favorable à la PMA pour les couples de femmes, je l’ai dit, et je ne me renie pas. Mais, dès lors qu’il a été décidé de ne pas l’inscrire dans la loi sur le mariage pour tous, la question devient : à quel moment le faire et en débattre ? Le Comité national d’éthique est, aujourd’hui, chargé d’organiser des états généraux sur ces questions. Attendons son avis.
Autre question de société, la fin de vie. Cela bouge bien lentement.
Le Comité d’éthique a indiqué qu’au regard de la loi un grand débat devait avoir lieu. Sur un tel sujet, il est essentiel de débattre sereinement et d’avoir un consensus le plus large possible. La loi Leonetti a apporté des avancées importantes, qui ne suffisent pas et ne répondent pas à toutes les attentes.
Et votre sentiment ?
Je crois que l’on doit mieux prendre en compte le choix de la personne. Nul ne peut préjuger de ce que sera le choix de l’autre, ni même son propre choix le jour venu. La liberté et l’autonomie ne doivent pas disparaître au moment où la maladie s’aggrave. Cela fait partie des droits des malades : le droit ultime est de pouvoir déterminer les conditions dans lesquelles on veut finir sa vie. C’est ce que je crois profondément.