Publié le 2 juin 2022
TRIBUNE
Les professionnels de santé de la périnatalité (sages-femmes, infirmières, gynécologues obstétriciens, auxiliaires de puériculture, pédiatres) sont extrêmement inquiets du risque que les pénuries de personnels font peser sur les femmes enceintes, les mères et leurs enfants. Aujourd’hui, et après avoir, à de multiples reprises, alerté nos tutelles ces dernières années, nous, chefs de service et membres de l’encadrement des maternités d’Ile-de-France, maternités universitaires et non universitaires participant au service public, voulons alerter sur cette situation extrêmement préoccupante.
Depuis des années, la périnatalité souffre des organisations et conditions de travail imposées par des tutelles loin du terrain. L’activité d’urgence qui constitue une part importante de cette médecine n’est pas reconnue comme telle et le personnel colmate, tant qu’il peut, sous l’œil de nos tutelles qui savent mais ne proposent rien de décisif. Maintenant, le bateau coule et toujours aucune proposition efficace ne nous est faite pour tenter d’éviter le naufrage.
En effet, la situation ne cesse de s’aggraver et le personnel soignant fuit ces conditions de travail. Ceux qui restent voient leurs conditions d’exercice devenir encore plus dures, le cercle vicieux est enclenché… Malgré nos alertes régulières auprès de l’agence régionale de santé d’Ile-de-France et le ministère, ceux-ci ne semblent pas prendre la mesure de la gravité de la situation et l’urgence.
Repenser le modèle de nos maternités
La plupart des maternités d’Ile-de-France qui participent au service public vivent ces pénuries en dépit du soutien souvent apporté par les directions hospitalières. Dans certaines maternités, ce sont jusqu’à 30 % des postes de sages-femmes qui sont aujourd’hui vacants. Les maternités sont obligées de limiter certaines activités de consultation, faute de professionnels. Des unités de néonatalogie ont dû fermer, faute de pédiatres. Les plannings de garde ne sont pas remplis et ne pourront vraisemblablement pas l’être. Les prévisions pour les mois à venir sont alarmantes. Outre les habituelles fermetures de lits, ce sont des unités entières d’hospitalisation qui risquent de fermer avec la réduction de l’offre de soins qui va avec. Comment maintenir la qualité des soins quand les effectifs sont amputés à ce point ? Comment imaginer, dans pareille situation, que cela n’ait pas d’impact sur la sécurité des mères et des enfants ? Que peuvent les professionnels de santé lorsqu’ils ne sont plus assez nombreux pour accompagner le travail d’une femme enceinte ? Que dire à des parents lorsque la naissance d’un enfant né prématurément ne peut être organisée dans une maternité dotée d’une unité de néonatalogie en raison de fermetures de lits ?
Les professionnels de santé ne pourront pas – en plus d’assumer au quotidien une activité déjà disproportionnée par rapport aux moyens dont ils disposent aujourd’hui – être tenus responsables des accidents liés à la pénurie qui surviendront immanquablement. Nos autorités de tutelle devront prendre leurs responsabilités.
Mais n’attendons pas que des catastrophes surviennent. Il est urgent que des solutions à court terme soient trouvées pour permettre aux services de retrouver les effectifs de professionnels nécessaires pour couvrir les besoins médicaux des femmes enceintes et de leurs nouveau-nés. Il est tout aussi urgent de repenser le modèle de nos maternités pour qu’elles soient des lieux où les professionnels retrouvent le sens de leur métier et où femmes enceintes et nouveau-nés soient en sécurité.
Signataires : les chefs de service gynécologie-obstétrique non universitaires (Cegorif) et universitaires (Collégiale) des maternités d’Ile-de-France et les responsables sages-femmes.
Aly Abbara, Longjumeau ; Abdellatif Arsalane, Meaux ; Jean-Marc Ayoubi, hôpital Foch, Suresnes ; Pr Elie Azria, hôpital Saint-Joseph, Paris ; Joseph Bakar, Mantes-la-Jolie ; Denis Bardou, Saint-Maurice ; Joëlle Belaisch-Allart, Sèvres ; Abdel Hakim Bellache, Provins ;Alexandra Benachi, hôpital Antoine-Béclère, Clamart ; Pr Jean-Louis Benifla, hôpital Lariboisière, Paris ; Karen Bonnet-Chea,Fontainebleau ; Stéphane Bounan, centre hospitalier de Saint-Denis ; Laure-Marie Bontoux, Neuilly-sur-Seine ; Pr Lionel Carbillon, hôpital Jean-Verdier, Bondy ; Pr Pierre-François Ceccaldi, hôpital Beaujon, Clichy-sur-Seine ; Sandrine Colliaut-Espagne, hôpital Porte-de-l’Oise, Beaumont-sur-Oise ; Jessica Dahan-Saal, maternité Les Bluets, Paris ; Hélène Dauphin, Aulnay-sous-Bois ; Mohamed Derouich, Argenteuil ; Benoît De Sarcus, centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre ; François Devianne, groupe hospitalier d’Orsay ; Mahmoud Diab, Arpajon ; Pr Marc Dommergues, hôpital La Pitié-Salpêtrière, Paris ; Pr Arnaud Fauconnier, centre intercommunal Poissy-Saint-Germain ; Pr François Goffinet, maternité Port-Royal, Paris ; Pr Bassam Haddad, centre hospitalier intercommunal de Créteil ; Thierry Harvey, groupe hospitalier Les Diaconesses, Paris ; Thierry Jault, Melun ; Félicia Joinau-Zoulovits, groupe hospitalier intercommunal Le Raincy-Montfermeil ; Pr Gilles Kayem, hôpital Trousseau, Paris ; Pr Martin Koskas, hôpital Bichat, Paris ; Christine Louis-Sylvestre, Institut mutualiste Montsouris ; Pr Dominique Luton, hôpital Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre ; Pr Laurent Mandelbrot, hôpital Louis-Mourier, Colombes ; Isabelle Matheron, centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges ; Sihem Mazouz, centre hospitalier de Rambouillet ; Ali Nabi, Coulommiers ; Bénédicte Paindaveine, Gonesse ; Pr Christophe Poncelet, centre hospitalier de Pontoise ; Bruno Renevier, centre intercommunal André-Grégoire, Montreuil ; Aude Ricbourg, centre hospitalier de Versailles ; Luc Rigonnot, hôpital Sud francilien, Corbeil-Essonnes ; Pr Olivier Sibony, hôpital Robert-Debré, Paris ; Kenza Snini, Etampes ; Pr Cyril Touboul, hôpital Tenon, Paris ; Caroline Trichot, Hôpital franco-britannique, Levallois-Perret ; Pr Yves Ville, hôpital Necker, Paris ; Vincent Villefranque, hôpital Simone-Veil, Eaubonne ; Sylvie Voyeme, hôpital de Meulan ; Estelle Wafo, centre hospitalier de Marne-la-Vallée-Jossigny.