par Elisabeth Franck-Dumas publié le 21 mai 2021
A Paris, une exposition passionnante met en lumière l’amitié méconnue qui unissait le sculpteur et l’écrivain et leurs parentés artistiques, avec en fil rouge l’idée de la création par l’échec.
Une voix parvient à quelqu’un dans le noir. Imaginez : elle murmure que Giacometti (1901-1966) et Beckett (1906-1989) étaient amis. Ma foi, vous y croyez ! Intuitivement, il y a une affinité entre ces deux grands voyants de la modernité, leur expression, la réduction de leur matière jusqu’à l’os, littéraire ou physique, le reflet d’une solitude absurde et aliénante, le processus de création vécu sous le régime du ratage. Beckett à sa table : «Etre artiste c’est échouer comme nul autre n’ose échouer.» Giacometti à l’atelier : «C’est comprendre pourquoi ça rate, que je veux.» Beckett encore : «La chose que je n’arrive pas à dire, on peut ne pas y arriver de bien des manières.» Giacometti encore : «Je voulais faire des têtes ordinaires, et cela ne marchait jamais.» Une expérience de la création qu’on pourrait résumer par ces mots, aussi désolants que réconfortants, tirés de Cap au pire, qui ont donné son sous-titre à la passionnante petite expo (encore une !) organisée par l’Institut Giacometti à Paris, consacrée aux liens entre les deux créateurs : «Essayer encore. Rater encore. Rater mieux encore. Ou mieux plus mal. Rater plus mal encore. Encore plus mal encore.»