par Marie Klock, Envoyée spéciale à Lausanne
«Vous êtes encore là ?» Le brouhaha est assourdissant sur le quai de la station Opéra. Le métro parisien direction Balard aspire d’épaisses grappes de travailleurs aux visages fermés. Un groupe de femmes en imper pépie méchamment : ce couple, là, qui se roule des grosses pelles en bouchant le passage, ils ne voudraient pas aller à l’hôtel plutôt ? Tête-à-queue dans la foule compacte, le nez s’égare entre relents d’urine et mise en pli parfum amande douce, un vendeur à la sauvette dans le tumulte : Petit Larousse illustré, coques de téléphone, porte-clefs tour Eiffel et, partout, des écriteaux, des annonces, des pubs à n’en plus finir : «Danger !», «Direction Mairie d’Ivry», «Bd Haussmann», «McDonald’s», «Tour de France», «Sortie», «Nuggets», «Marie Claire», «Lesieur», «Martini», «Prokofiev»… «Vous êtes encore là ?» Hein ? C’est la caissière de la Collection de l’art brut. Où sommes-nous ? A Lausanne, c’est vrai… Depuis combien de temps errons-nous dans le dédale de couloirs de Metrostation Opéra, peint par Willem Van Genk en 1964, étourdissant de détails et de vie ? D’après la montre, cela fait une demi-heure déjà que nous avons pris congé de Sarah Lombardi, la directrice du musée, qui nous a guidée dans la toile d’araignée Van Genk. Les obsessions du peintre, qui grouillent au cœur de formats plus ou moins grands mais toujours méticuleusement surchargés, sont contagieuses.