26.03.2020 Bonjour à tou.te.s ! Cette semaine est particulière, comme les précédentes, et probablement les suivantes. On ne va pas parler dans cette infolettre de lectures post-apocalyptique-virus (mais une prochaine fois ?). On va parler santé mentale. Parce que depuis le début de cette période de confinement, on ne va pas se mentir, c'est difficile. Même en étant quelqu'un.e de casanier.e, ne pas sortir, c'est compliqué.
Alors oui, ça laisse du temps pour la lecture (et pour plein d'autres choses), mais rester seul.e avec soi-même, pas toujours évident à gérer. Dans cette nouvelle infolettre, focus sur des lectures avec pour thème commun la santé mentale.
Cette liste est évidemment non-exhaustive et nous serions ravis d'avoir vos retours et vos recommandations ! Nous avons également regroupé quelques ressources en bas de mail si vous voulez d'autres lectures. Pour que notre santé mentale ne soit plus un tabou. Prenez soin de vous, de vos proches, et restez chez vous un maximum (si vous le pouvez). Force aux personnels qui sont là pour nous et continuent à travailler durant cette période.
Mirion Malle — C’est comme ça que je disparais
Dans sa première BD de fiction, Mirion Malle nous raconte l’histoire de Clara, jeune autrice de poésie et attachée de presse pour une maison d’édition. La vie quotidienne est compliquée, intense, et bien souvent, beaucoup trop dure pour elle. Clara s’isole avec sa dépression, n’arrive pas à en parler et se sent vide. Un récit d’une beauté rare, comme on en voit trop peu. Une BD absolument précieuse sur le sujet de la dépression, et qui laisse entrevoir, un peu malgré tout, un petit rayon de soleil.
Dans une tribune au « Monde », le sociologue Ivan Sainsaulieu décrit les dynamiques de l’engagement du personnel soignant des hôpitaux, qui font face à l’épidémie malgré le manque de moyens, entre exigence professionnelle, ambiance de travail collective et contrainte productiviste.
Ivan Sainsaulieu Sociologue Publié le 27 mars 2020
Tribune. Malgré l’indigence des autorités, incapables de fournir à temps des lits et des masques au lieu de beaux discours ; malgré la menace de la maladie, et la fatigue accumulée antérieurement du fait d’un travail notoirement sous pression ; malgré les démissions, le turnover, le manque d’infirmiers, voire de médecins, les personnels hospitaliers font face. Avec notre soutien admiratif.
Ont-ils le choix ? Oui et non. Dans sept enquêtes sur les relations de travail à l’hôpital, j’ai pu appréhender les dynamiques de l’engagement au travail, au cours de centaines d’entretiens. D’un côté, c’est leur travail et leur devoir à la fois, puisque leur travail consiste à prendre soin d’autrui soit directement, pour les soignants, soit indirectement, au moyen des supports logistiques, administratifs et techniques. Et, d’un autre côté, ce n’est pas parce que l’on est un agent hospitalier qu’on ne peut pas avoir de faiblesses, vouloir parfois se faire tout petit et laisser passer son tour.
Internée volontaire depuis les années 70 dans un hôpital psychiatrique de son pays, la prolifique artiste japonaise nonagénaire a bousculé les codes de l’avant-garde à New York où elle vécut durant seize ans. Avant de devenir une star mondialement adulée.
Yayoi Kusama dans son atelier en août 2012.Photo AP. Itsuo Inouye
En 1957, s’échappant du conservatisme et d’une famille qui bridait sa vocation d’artiste, appelée par les sirènes de l’avant-garde, Yayoi Kusama part tenter sa chance à New York. Elle y fera son trou. Mais, seize ans après son arrivée, elle revient à la case départ à Tokyo où, un peu de son plein gré, elle prend ses appartements à l’hôpital psychiatrique de Seiwa, situé dans le quartier de Shinjuku, une institution progressiste qui accepte les internements volontaires.
Aujourd’hui âgée de 91 ans, la plasticienne est passée depuis belle lurette au rang de star mondiale, tant sa notoriété et son allure de fée ensorcelante, cheveux rouges, mine fermée et robe assortie à ses motifs bourgeonnants, ont dépassé le champ de l’art contemporain. Mais la «princesse des petits pois» est toujours pensionnaire de cet asile, profitant à plein de la vie réglée comme du papier à musique qu’elle s’est autoprescrite et de la proximité de son atelier qu’elle a aménagé de l’autre côté de la rue.
C’est un joli documentaire que propose France 2 ce mardi 31 mars. La réalisatrice Judith Grumbach a posé sa caméra dans des classes de primaire, de collège, de lycée, à la recherche de ce qui et de ceux qui, à l’école, permettent aux élèves de grandir, ni plus ni moins. Si « Devenir grand » n’est pas juste un film de plus sur l’école, c’est parce qu’il parvient à saisir l’essentiel de ce qui s’y joue : la relation élève / professeur.
Il y a Amélie, instit à Langon dans une classe de CE2/CM1, qui pose les bases de son atelier philo, fondé sur les questions que se posent les élèves, Yann par exemple : « Est-ce qu’à un moment je vais grandir ? Est-ce qu’à un moment j’arrêterai de faire des bêtises ? Je ne sais pas moi, c’est quelque chose, je me questionne ». Connais-toi toi-même, Socrate s’invite en classe, chacun doit réfléchir à lui, à ses talents par exemple.
Après avoir cherché des synonymes de « penser », les élèves doivent réfléchir en petits groupes à « ce qui vous pose problème à l’école ». La coopération, bien perçue par les élèves comme Hind : « Tu réfléchis mieux en groupe ; j’aime bien faire les projets parce que ça m’ouvre la tête et après je réfléchis mieux ».
Bientôt les élèves interrogeront le monde, leur monde : « Comment l’école s’est créée ? », « pourquoi la galanterie existe ? », « pourquoi tous les adultes n’ont pas la même somme d’argent ? »… Il faudra, dans la quête de réponses, apprendre le regard critique, vérifier ses sources sur Internet.
Dans une scène assez forte, un « conseil de coopération » où tous sont assis par terre, Amélie revient sur une de ces journées entre gris clair et gris foncé que connaissent tous les enseignants ; après avoir écouté les élèves, elle leur dit sans fard ses difficultés lors de cette journée, la responsabilité de chacun, la nécessité de faire groupe et de trouver des solutions ensemble. « Je peux accepter de me montrer vulnérable, car ça fait quelques années que j’ai compris ce qui fonctionne bien dans ma classe. Et notamment le fait d’être complètement sincère avec eux, complètement authentique. C’est en se montrant comme on est réellement qu’on crée le plus de lien avec ces classes ».
Devenir grand, quand on a 8, 9 ans à l’école, c’est aussi porter un regard sur ce qu’on a vécu, individuellement et en groupe, en tirer des enseignements et tracer des perspectives pour le futur.
Il y a cette classe de 6ème, à Perpignan, et son prof principal d’EPS, Olivier, qui travaille d’emblée sur la manière de s’adresser aux autres, de demander de l’aide, d’établir une vraie relation entre pairs qui permette les conditions de l’entraide. Grandir, être autonome, c’est paradoxalement savoir à qui s’adresser et comment.
On sent ici qu’il est parfois difficile de motiver les élèves, de les entrainer, de susciter l’émulation. Le travail de Nathalie la prof de français, de Julien le prof de maths, tourne autour de ça : aider les élèves à porter un regard sur leur travail, à réfléchir sur ce qu’ils ont appris et comment, pour donner du sens à l’école et aux apprentissages. Pas évident dans un contexte social où la mixité est absente. On sent chez Youssra une colère prête à exploser – et Olivier réfléchit avec elle à ce qui fait qu’elle perturbe la classe – chez Inès et son sweater « Cherche pas j’ai raison » une timidité qui la bride – et Olivier doit mettre en valeur avec elle ce qui, dans son livret, est encourageant.
Point d’orgue, la scène où Magalie, CPE, répond aux questions de Youssra et Inès et leur dit pourquoi elle a choisi ce collège, revient notamment sur les difficultés avec Youssra, les heures passées avec elle, le conseil de discipline évité de peu, les progrès, enfin, faits, qui valent « tout l’or du monde ».
Le crématorium Memora Coslada, le 23 mars, à Madrid.Photo Ricardo Rubio. Europa Press via Getty Images
Après une période de déni, nous sommes en état de sidération, selon la philosophe Claire Marin, dont le travail porte sur le deuil et la maladie. Nous ne réaliserons que plus tard la violence de cette crise, et les séquelles qui nous affecteront tous et en particulier les soignants ou ceux qui auront perdu un proche.
Elles font tourner la gériatrie en France, et écopent aujourd'hui dans les maisons de retraite, face à la vague de Covid-19. Le virus met en lumière la trajectoire des aides-soignantes, qui depuis près de 20 ans ans empilent dans l'ombre arrêts maladie et troubles musculo-squelettiques.
Il est 20 heures, et vous applaudissez : “Du bruit et des sous pour l’hôpital!” - et aussi, deux minutes d’exutoire qui percent un jour sans fin. Ou bien, il est 20 heures, et vous êtes ce voisin qui râle à contre flots depuis sa fenêtre : “Fallait pas voter pour lui !” A moins qu’il ne soit 20 heures, et que vous ne sachiez plus trop quoi faire depuis que vous avez vu circuler, rageurs, des témoignages de soignants et aussi quelques photos de doigts d’honneur, qui surlignent le décalage entre ces deux minutes de ola quotidienne, et vingt ans de grand silence tandis que les réformes hospitalières s’empilaient.
La pénurie de masques, les respirateurs qui se répartissent au compte-gouttes et les lits saturés (cinq fois moins de lit de réanimation en France qu’en Allemagne) sont des lignes creuses dans les budgets. Mais ils ne représentent qu’une moitié de l’équation, urgente et dramatique, à laquelle hôpitaux et EHPAD font face aujourd’hui sous les projecteurs des médias, aussi soudains que crus. L’autre moitié concerne le personnel, et tout le monde a pris conscience que le monde hospitalier en manquait drastiquement à présent que l’épidémie de Covid-19 fait peser sur eux une charge inédite.
L’hôpital Guillaume-Régnier, à Rennes, a ouvert, jeudi 26 mars 2020, une unité de quatorze lits pour des patients souffrant de troubles mentaux et diagnostiqués Covid-19 sans signes de gravité. D’autres services ont été allégés afin de redéployer des personnels « sur des besoins prioritaires ».
Au centre hospitalier Guillaume-Régnier, à Rennes, une cellule de veille se réunit chaque jour depuis le 28 février. Des cas de coronavirus « sans gravité » ont été diagnostiqués parmi les patients, ces derniers jours. Ni l’établissement, ni l’Agence régionale de santé (ARS) n’ont souhaité communiquer le nombre de personnes atteintes.
Depuis jeudi 26 mars 2020, une unité spécialisée de 14 lits a ouvert au sein de l’établissement. « Elle accueille des patients souffrants de troubles mentaux et diagnostiqués Covid-19 sans signes de gravité », précise la direction.
Comment gérer le confinement ?
Pour faire face à ce risque sanitaire, l’hôpital a réduit le nombre de patients présents, afin d’alléger les services. Les hospitalisations programmées ont été réduites, « pour redéployer du personnel sur les besoins prioritaires ». De même, les soins ambulatoires sont maintenus, « selon un dispositif préventif et de crise ».
Les patients, dont l’état de santé le permet, sont confiés à leurs proches. Le contact est maintenu avec les soignants, « à distance ou en face-à-face, voire à domicile en fonction des besoins ».
Vous, je ne sais pas, mais moi, j’ai tout le temps envie de marcher depuis que ce n’est plus possible. Oui, les citadins ont le droit de se dégourdir les jambes une fois par jour autour de leur pâté de maison. Mais ce n’est pas marcher, cela. Sapiens a un corps fait pour marcher 20 kilomètres par jour. L’“animal marchant”, du nom que nous donne le paléoanthropologue Pascal Picq, était déjà loin du compte avant le confinement, quand il s’extasiait d’avoir fait 10000 pas dans la journée, soit à peine 6 kilomètres. Alors maintenant… Le manque est tel que j’ai fait en courant le tour du square voisin, chose qui ne m’était pas passée par la tête depuis un certain nombre de décennies.
Je plains de tout mon cœur les malheureux dromomanes, ces marcheurs compulsifs décrits par un psychiatre à la fin du XIXe siècle et dont la folie consiste à avancer sans cesse. Que deviennent-ils en ce moment ? Tournent-ils chez eux comme des fauves en cage ? Reçoivent-ils des amendes à chaque coin de rue ? Bien sûr, il y a pour eux comme pour les claustrophobes, leurs frères en malchance, et pour nous tous, l’inénarrable “Attestation de déplacement dérogatoire” – ah ! présentez-moi le linguiste qui a baptisé le formulaire ! Présentez-moi l’expert en développement durable qui a eu l’idée d’en exiger une par déplacement pour chaque Français, soit quelque 67 millions de feuilles imprimées à jeter chaque soir !
"Être confinées, pour les femmes, cela signifie aussi être débarrassées des regards qui, chaque jour et depuis toujours, se posent sur leurs corps dès lors qu’elles sortent de chez elles", écrit Camille Froidevaux-Metterie. Philosophe féministe, professeure de science politique et chargée de mission égalité à l'Université de Reims, elle consacre ses recherches aux mutations de la condition féminine consécutives au tournant de l’émancipation féministe, et les aborde dans une perspective phénoménologique qui place le corps au centre de la réflexion.
Si l’on réfléchit au confinement dans une perspective féministe, on est d’abord saisi d’un vertige à l’idée de toutes ces femmes qui vont subir la double, voire la triple peine, ces femmes isolées, sans abri et/ou victimes de violences conjugales. Vulnérables et déjà menacées, elles sont en première ligne de la pandémie. Il y a celles qui n’ont même pas de chez soi où rester et qui errent dans les villes désertées. Il y a celles qui se trouvent désormais à la merci permanente des hommes violents et qui ne peuvent plus compter sur les dispositifs d’aide dont on réduit la voilure. Il y a celles qui élèvent seules leurs enfants et qui se trouvent à devoir les occuper sans l’aide des fabuleux outils numériques dont les plus favorisés disposent.
Et puis il y a toutes ces autres à qui on demande de continuer à travailler au risque quotidien de l’infection : les soignantes, les auxiliaires de vie, toutes les travailleuses de l’aide à la personne, mais aussi les ouvrières et, bien sûr, les caissières. Autant de métiers dévalorisés dont on semble découvrir l’importance vitale sans pour autant assurer la sécurité de celles qui les exercent. Qui portera la voix de ces femmes que l’on n’entend jamais ? Combien de temps à attendre avant que les décisions qui s’imposent soient prises, notamment par le ministère dédié ?
Le maintien de la continuité pédagogique « coûte que coûte » fait craindre à la communauté éducative l’exacerbation des inégalités sociales et scolaires.
Il y a les familles pour lesquelles la « continuité pédagogique », après deux semaines d’école à distance, est déjà sur des rails : on s’y lève « comme pour un jour d’école », on découvre « ensemble » le mail de la maîtresse, on établit un « plan de travail » quotidien… Et puis il y a toutes celles dont les enseignants disent ne pas trop savoir ce qui s’y passe et comment on s’y organise scolairement. Parce que le lien « avec le système » était déjà difficile à maintenir avant le confinement ; parce que l’équipement informatique et les possibilités d’accompagnement manquent ; parce que la barrière de la langue et la précarité jouent.
« Chez nous, on n’a pas d’ordinateurs, pas de mails… En quinze jours, je suis allée chercher les devoirs deux fois à l’école », raconte une mère de cinq enfants qui a requis l’anonymat. Dans cette famille serbe − la maman est au foyer, le père au chômage −, installée en Rhône-Alpes, on met sur le même plan les obstacles matériels et linguistiques. « Je ne parle pas très bien le français, parfois je ne comprends pas les exercices, alors j’appelle la maîtresse, explique la mère. On fait comme on peut, mais c’est très difficile. »
Les parents de Léandro, 8 ans, scolarisé dans la banlieue grenobloise, peuvent, eux, s’appuyer sur leur aînée, Claudia, 18 ans. Nés au Portugal, « ils n’ont pas fait d’études et ne sont pas à l’aise avec Internet, confie leur fille. Moi, j’ai eu mon bac ; les choses que j’ai déjà faites, je peux les montrer à mon petit frère. Pour l’instant, le plus dur c’est de le motiver »…
A quatre sur un smartphone
Chez les Kerras, à Vaulx-en-Velin (Rhône), on essaie de se « débrouiller avec les moyens du bord », explique la maman, Ibtissem, 33 ans. Des moyens qui se résument à un smartphone − le sien − sur lequel travaillent « par roulement » ses quatre enfants déjà scolarisés de 5, 9, 10 et 12 ans. Un casse-tête à gérer, dit-elle, avec un bébé de 11 mois dans les bras.
L’opération « Des ordinateurs pour nos enfants » du gouvernement appelle les entreprises à donner du matériel informatique à des enfants en foyer ou famille d'accueil.
Le secrétaire d’Etat chargé de la protection de l’enfance Adrien Taquet lance l’opération « Des ordinateurs pour nos enfants ». Les entreprises, petites ou grandes, sont appelées à faire des dons d’ordinateurs de manière à équiper les jeunes de l’Aide sociale à l’enfance placés dans des foyers ou des familles d’accueil. Depuis le confinement, ils se retrouvent démunis pour continuer à suivre les cours en ligne.
Dans « La Peur en Occident », paru en 1978, l’historien Jean Delumeau reconstituait minutieusement les effets sociaux de la pandémie : rumeurs, déni, recherche de fautifs. Un texte vertigineux.
Le grand historien des religions Jean Delumeaunous a quittés au début de l’année. Il aurait certainement été fasciné par la pandémie de coronavirus, tant celle-ci fait écho à ses travaux sur les épisodes de peste ou de choléra. Dans son livre « La Peur en Occident », publié en 1978, il s’attardait longuement sur les conséquences sociales des épidémies. Bien sûr, il faut se garder des parallèles historiques douteux (« les anciens tableaux, qu’on veut faire entrer de force dans de nouveaux cadres font toujours un mauvais effet », dixit Tocqueville), mais, enfin, il y a là matière à gamberger et certains, sur les réseaux sociaux, ne s’y sont pas trompés.
Nous publions ici un (petit) extrait de ce livre fascinant avec l’aimable autorisation des éditions Fayard. Les intertitres sont de la rédaction.