Nous reproduisons ici la lettre ouverte qu’adresse l’ensemble de l’équipe du secteur psychiatrique d’Asnières sur Seine aux tutelles (ARS, ministères, élus) et aux citoyens. Pour comprendre les effets concrets des politiques criminelles actuelles.
Jeudi 14 novembre, l’hôpital public s’est mobilisé car la situation quotidienne est devenue insupportable, invivable. Les soignants sont contraints de choisir - donc de trier- les personnes à soigner. La logique de pénurie atteint son comble. Après cette mobilisation historique et en guise de coïncidence malheureuse, nous avons fait l’expérience le soir même dans notre service de psychiatrie des conséquences de ce que nous dénoncions quelques heures plus tôt dans la rue.
La psychiatrie est souvent la grande oubliée de la médecine. Les services sont abandonnés par les pouvoirs publics. La psychiatrie continue de faire peur. Et pourtant, le cœur même de notre spécificité est le travail relationnel. Ici les soins se font avant tout avec des humains. Comment le quantifier ? En psychiatrie, les discours officiels nous abreuvent de la nécessité de nous « réorganiser » à défaut d’investir dans des postes, dans des moyens supplémentaires et dans des dispositifs en nombre suffisant.
Dans cette spécialité, demander des lits supplémentaires est toujours suspect d’hospitalo-centrisme et de pratiques asilaires. Pourtant, nous ne comptons plus les structures ambulatoires qui ferment ou qui restreignent leur activité au profit de l’activité intra-hospitalière... A croire que le virage ambulatoire promu par les tutelles est en réalité un virage vers le rien en repassant par la case hôpital.
En dépit de notre appétence pour le sacrifice -position masochiste pourrait-on dire- les professionnels de santé ne veulent plus travailler dans des conditions dégradées où, tout en sachant ce qu’il faudrait faire pour soigner convenablement les personnes avec leur accord et leur avis, ces soignants sont contraints d’abandonner ce qui fait le vif même du travail psychiatrique : créer une relation là où la pathologie détricote le lien social de la personne avec sa famille, ses amis, ses proches, ses collègues, son milieu de vie.
Jeudi 14 novembre, une majorité de professionnels du secteur étaient en grève, assignés ou partie prenante de la manifestation parisienne. Grève ou pas, nous étions de toute façon en deçà de l’effectif minimum de sécurité, comme régulièrement depuis plusieurs mois au point qu’il est devenu l’effectif « normal ». Notre unité d’hospitalisation comprend 33 lits, 34 personnes y étaient hospitalisées sans compter les cinq patients hébergés sur les unités d’autres secteurs. Il n’y avait qu’un médecin présent sur l’unité et 4 soignants (3 infirmiers et une aide-soignante). Le même jour était prévu un rendez-vous à la MDPH du 92 pour un « Plan d’Accompagnement Global », nouvelle commission mise en place par la bureaucratie, se tenant deux à trois fois par an seulement et chargée de donner un accord pour des prises en charge de personnes hospitalisées « sans solution ». Sans notre présence à cette réunion, point de débouché possible pour des personnes hospitalisées depuis plusieurs années. Un soignant de l’unité s’y est donc rendu avec l’assistante sociale. D’ailleurs, à cette réunion, nous étions loin des discours officiels sur « le virage ambulatoire » et « les solutions alternatives à l’hospitalisation ». En gros, pas de solution pour ces patients car pas de places dans des structures d’aval suffisamment contenantes, donc : « débrouillez-vous ! ». Oui mais nous avons besoin de ce sésame pour faire des sorties... « Oui mais... Débrouillez-vous ». L’activisme de nos assistantes sociales et de notre réseau connaît des limites qui ne dépendent pas de nous.
Les trois infirmiers restés sur l’unité pendant que se déroulait cette scène à plusieurs dizaines de kilomètres de là ont trouvé l’aide, sur le terrain, de la cadre supérieure du service pour tenter d’approcher l’effectif minimum de sécurité, sans y parvenir.
Courant de demandes en demandes, devant assurer les tâches habituelles (repas, médicaments, accompagnement cigarettes des patients, transmissions informatiques, entretiens médicaux etc.) certaines d’entre elles sont, comme souvent, restées sans réponse. Depuis de longs mois, plusieurs postes sont vacants sur l’unité d’hospitalisation. La spirale infernale du sous- effectif, de l’épuisement, des arrêts maladies, de l’ambiance sous tension de l’unité aggravant la tension interne des patients s’accroît. Pour autant, nous essayons de tenir bon sur notre cohérence collective, nous parons au plus pressé. Des patients sortent car « il faut faire des sorties », d’autres ne peuvent pas car ils n’ont plus de lieu de vie, sont en attente de maison de retraite, n’ont plus d’hébergements. Plus aucun hôtel social ne veut d’eux, le 115 est saturé, le SIAO (la plateforme d’orientation pour les personnes sans domicile) n’a rien à proposer. Pour certains patients, ceux qui ne sont pas encore hospitalisés par le préfet (en SPDRE), nous devons nous résigner à les renvoyer à la rue en attendant qu’ils se remettent suffisamment en danger pour retournés contraints à l’hôpital.