Par Annick Cojean Publié le 9 décembre 2018
L’écrivaine doit recevoir, dimanche, à Stockholm, le prix Nobel alternatif de littérature, une récompense décernée par une nouvelle académie composée d’intellectuels suédois.
Maryse Condé à Paris, le 19 mars 2016. ULF ANDERSEN / AURIMAGES
Née en Guadeloupe en 1937, l’écrivaine Maryse Condé doit recevoir, dimanche 9 décembre, à Stockholm le prix Nobel alternatif de littérature, une récompense décernée par une nouvelle académie composée d’intellectuels suédois.
Une consécration internationale pour l’auteure de Ségou (Tome 1, Laffont, 1984 ; tome 2, Laffont, 1985) qui fut la première présidente du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage et enseigna pendant vingt ans aux Etats-Unis.
Je ne serais pas arrivée là si…
Vous me permettez de tordre un peu la formule ? Et même de l’inverser ? Car moi, je suis arrivée là… bien que ! Et c’est ce « bien que » qu’il m’importe de souligner. C’est ce « bien que » qui m’a paralysée pendant près de trente ans.
Vous êtes donc arrivée là, Maryse Condé, lauréate 2018 du prix Nobel alternatif de littérature, bien que…
Bien qu’on m’ait affirmé, quand j’étais petite fille, que les gens comme moi ne pouvaient pas devenir écrivains. J’avais 12 ans à Pointe-à-Pitre quand une amie de ma mère a voulu me faire un cadeau original. Elle savait que j’avais lu tout ce qui pouvait me tomber sous la main : Balzac, Maupassant, Flaubert… Alors elle a opté pour un roman d’Emily Brontë : Les Hauts de Hurlevent. J’ai d’abord pris l’ouvrage sans enthousiasme, mais dès que j’ai ouvert les premières pages, j’ai été transportée. Ce livre était extraordinaire.
Par quel miracle cette jeune Anglaise, fille de clergyman, qui vivait sur les landes balayées par le vent, pouvait-elle être si proche de moi, petite Antillaise qui vivait au bord d’une mer chaude ? Nous étions sœurs ! J’en étais bouleversée. Dès le lendemain, j’ai couru remercier la dame. Et je lui ai dit : « Un jour, moi aussi j’écrirai des livres. Je serai aussi connue et je ferai des livres aussi beaux que ceux d’Emily Brontë. » Elle m’a dévisagée avec une sorte d’étonnement outré : « Mais tu es folle ! Les gens comme nous n’écrivent pas ! »
« Ecrire était l’affaire des autres. Des Blancs. Des hommes. Des habitants de grands pays. La voie était barrée »