LE MONDE | | Par Margherita Nasi
Dans son roman Le Roi pâle, David Foster Wallace met en scène un employé d’un centre de traitement de déclarations fiscales qui meurt à son poste de travail. Il y restera plusieurs jours avant qu’on s’aperçoive de son décès. Cette satire critiquant la futilité d’un travail monotone et déshumanisant est d’autant plus inquiétante qu’il ne s’agit pas vraiment d’une satire. En 2004, un employé du bureau des impôts en Finlande est mort de la même façon. Il aura fallu deux jours aux cent employés qui travaillaient à son étage pour s’en apercevoir.
L’histoire a attiré l’attention du sociologue suédois Roland Paulsen. Alors qu’on ne fait que parler de l’intensification du travail, de pratiques managériales coercitives, de burn-out et d’excès de stress, comment expliquer l’existence de ce cadavre passant inaperçu pendant quarante-huit heures sur son lieu de travail ?
Paresse ou révolte ?
Le chercheur suédois a son explication : le système capitaliste est bien moins efficace qu’on ne croit. Il suffit de se pencher sur la façon dont les employés occupent leurs heures de travail pour s’en rendre compte. C’est pourquoi dans son ouvrage Empty Labor (Cambridge University Press, 2014), Roland Paulsen s’intéresse à un phénomène étonnant : le travail inoccupé.
Différentes enquêtes suggèrent que les salariés consacrent entre 1,5 heure et 3 heures par jour à des activités autres que le travail : coups de fils, courriels personnels, achats sur Internet, consultation des réseaux sociaux… C’est cette réalité que décortique cet ouvrage nourri d’entretiens avec des employés de secteurs variés, du marketing à la finance, en passant par l’industrie manufacturière ou pharmaceutique. Tous consacrent la moitié de leur temps de travail, voire plus, à des activités qui ne sont pas liées à leur emploi. Pourquoi ? S’agit-il de paresse, de mécontentement, de révolte ?
Se réapproprier le temps
Le chercheur livre son analyse au Monde : dans la plupart des cas, l’inactivité au travail est liée au manque de sens, ou à une frustration à l’égard de l’entreprise ou d’un manageur. « J’ai interrogé des personnes dans le secteur des soins, personne ne néglige l’aide aux patients. En revanche, on évite les tâches administratives. La démarche peut devenir politique : ces employés se réapproprient du temps qu’ils sont obligés de vendre pour avoir une vie décente. C’est une solution individuelle à des problèmes structurels. »