LE MONDE | | Par Corine Lesnes (San Francisco, correspondante), Paul Benkimoun et Chloé Hecketsweiler
La troisième tentative aura été la bonne pour la flibansérine, que le laboratoire américain Sprout commercialisera aux Etats-Unis à partir du 17 octobre sous le nom d’Addyi dans l’indication « traitement du trouble du désir sexuel hypoactif généralisé [HSDD, dans la terminologie psychiatrique américaine] chez la femme avant la ménopause ». L’autorisation de mise sur le marché (AMM) accordée le 18 août par la Food and Drug Administration (FDA) américaine fait en effet suite à deux rejets en 2010 et 2013, en raison d’une efficacité limitée et surtout d’effets secondaires sérieux (« baisse sévère de la tension artérielle » et syncopes).
Cette balance bénéfices/risques n’a pas changé. Pourtant, soumise au lobbying intense de Sprout et accusée par une partie des organisations féministes d’avoir précédemment refusé d’accorder son feu vert par sexisme, la FDA a fini par céder. Elle révèle ainsi sa « vulnérabilité », comme le titre un éditorial de Nature du 27 août. Comment expliquer ce revirement, synonyme de jackpot pour le laboratoire Sprout ?
« L’approbation d’aujourd’hui fournit une option de traitement autorisé aux femmes perturbées par leur faible désir sexuel, a indiqué le docteur Janet Woodcock, directrice du Centre d’évaluation et de recherche sur les médicaments de la FDA, lors de l’annonce de la décision le 18 août 2015. La FDA s’efforce de protéger et de promouvoir la santé des femmes, et nous nous engageons à soutenir le développement de traitements sûrs et efficaces pour la dysfonction sexuelle féminine. » Une langue de bois qui reflète mal les doutes sur l’efficacité de la flibansérine et les certitudes sur ses effets secondaires.
Traitement de la dépression
La première fois que le dossier est soumis à la FDA, le 27 octobre 2009, la molécule flibansérine est la propriété du laboratoire Boehringer Ingelheim. Celui-ci l’avait initialement testée comme traitement de la dépression sévère, car il agit sur des neurotransmetteurs du système nerveux central. Sans succès. Le 27 août 2010, la FDA explique son rejet dans une lettre circonstanciée. Réuni le 18 juin 2010, le comité d’experts de l’agence avait estimé par dix voix contre une que les deux essais cliniques de phase III « ne montraient pas d’amélioration statistiquement significative par rapport à un placebo sur l’un des deux principaux critères d’efficacité déterminé au préalable, qui évaluait quotidiennement le désir sexuel au moyen d’un journal électronique » tenu par les participantes.
L’effet n’était positif que « sur un critère secondaire mesurant le désir sexuel avec un autre instrument connu sous le nom d’index de la fonction sexuelle féminine (FSFI) », résume un mémorandum de la FDA daté du 8 mai 2015. Boehringer Ingelheim déclarait que cet autre outil, avec déclaration toutes les quatre semaines des événements sexuels de la période écoulée, était le mieux à même de mesurer le désir sexuel. Ce n’était pas l’avis des experts de la FDA, qui reprochent au FSFI un biais de mémorisation. En outre, les experts n’avalisaient pas le fait que le laboratoire se soit rabattu sur un critère secondaire en l’absence d’amélioration du critère principal.