Interrogé au lendemain de l’attentat contre « Charlie Hebdo », le psychiatre et anthropologue Richard Rechtman, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), analyse l’impact de ces événements sur les esprits.
Le Quotidien : Peut-on dire que la société est dans un état de sidération ?
Dr Rechtman : On observe un état d’indignation majeure plutôt que de sidération. La sidération, au sens psychique, empêche de réagir. Au contraire, depuis l’attentat, il n’y a aucune paralysie, les gens ont manifesté spontanément ou diffusé des messages sur les réseaux sociaux.
Un attentat comme celui-ci renvoie à un sentiment d’impuissance épouvantable, impuissance à le prévenir, à s’en protéger, à arrêter les auteurs qui partent en cavale. Quand l’impuissance est à ce point forte, cela génère une grande angoisse, ainsi que la nécessité d’agir et de témoigner.
Il y a d’abord une phase d’émotion, avec plus que de l’empathie et de la compassion : une identification assez générale. J’ai reçu des patients en urgence qui sont dans un trouble profond, avec des larmes qui ne sont pas feintes, comme s’ils avaient été atteints littéralement dans leur chair et dans leurs valeurs.
Mais on n’est plus dans le pur émotionnel. Si les Français arrivent à se réunir sur une place, à rester silencieux un certain temps, puis à dire des choses communes, c’est qu’un début de rationalisation apparaît.