Dans son présent essai consacré à L’Excitation et ses destins inconscients, Paul Laurent Assoun isole un « objet » éminemment caractéristique de la métapsychologie freudienne : on sait que l’archéologie de la pensée freudienne repose sur les études consacrées aux tissus nerveux. Dès les premiers travaux, consacrés d’abord aux maladies neurologiques, aphasies, paralysies, puis, à la suite de Charcot, aux affections hystériques, toute la pensée freudienne partirait de l’innervation et de ses dérives pathologiques, même si Freud pense, dès l’origine, la behandlung, la prise en charge, comme une Seelenbehandlung : un traitement de l’âme (Freud, 1890a).
Et pourtant, on aura beau chercher, l’excitation n’est pas une notion psychanalytique ; elle est d’ailleurs totalement absente du Vocabulaire de la psychanalyse de Laplanche et Pontalis (PUF, 1967, réédition Quadrige, 2002), ouvrage représentatif de la doxa freudienne. Refoulement significatif qui pourrait d’ailleurs porter à croire que toute la théorie freudienne fonctionne elle-même comme pare-excitation : énorme montage théorique et machine à sublimer, écriture de l’excitation, c’est-à-dire passage au tamis de la sublimation de toute l’énergie sexuelle, évacuation de l’excitation sur la scène théorique et clinique, démonstration de la maîtrise du circuit et de son quantumd’énergie. Refoulement assumé et réactivé par l’héritage freudien, puisque Laplanche et Pontalis ont effacé l’excitation du lexique freudien comme s’il s’agissait d’effacer le passé neurologique de Freud.
Et pourtant, toute la théorie est traversée et même innervée par cette notion d’excitation : c’est tout le paradoxe de la pensée freudienne, toujours entre le physiologique et le psychologique. A force de travaillerà partir de l’excitation, Freud crée le concept de pulsion, l’un des quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse selon Lacan (Séminaire XI,Seuil, 1973).
Toute l’économie de l’appareil psychique tourne autour de l’excitation, source somatique et organique, qui est, pour reprendre la métaphore thermodynamique, le moteur et le déclic de la pulsion, qui fait pulser la psyché. On comprend donc pourquoi Freud, s’il part de l’excitation, ne peut en rester là : pour la psychanalyse, l’excitation reste une donnée physiologique dont il s’agit d’évaluer les transformations au cours de la totalité du circuit accompli par l’énergie (ou libido) dégagée par la pulsion. Paul-Laurent Assoun, en réhabilitant à bon droit cet objet déclaré « non psychanalytique », revient donc aux sources de la théorie pulsionnelle et libidinale, aux sources vives de l’activité psychique.