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Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

dimanche 13 mars 2011

Justice | Maladie mentale

Le Barreau écorche le réseau de la santé

09/03/2011
S’exprimant au nom du Barreau de Québec, l’avocat Jean-Pierre Ménard a donné une volée de bois vert au réseau de la santé, qui a abandonné ses responsabilités en matière de santé mentale, selon lui.
© Les archives Agence QMI
« C’est le système de santé qui n’assume pas ses responsabilités, et les tribunaux sont obligés de le faire à sa place », lance sans détour Me Jean-Pierre Ménard, membre du groupe de travail en santé mentale du Barreau du Québec.

Bien qu’il se soit dit peu surpris des conclusions du rapport sur la prestation des services de psychiatrie légale, Me Ménard juge inconcevable que des personnes présentant de graves problèmes de santé mentale soient privées de services en se retrouvant en détention et qu’elles ne fassent pas l’objet d’un suivi rigoureux.


« Des gens n’assument pas leurs responsabilités, quand on constate par exemple que des hôpitaux désignés ne livrent pas les services prévus, et on ferme les yeux, on laisse faire », a-t-il vivement déploré, plaidant pour que le ministère de la Santé exerce davantage de leadership sur cette question. « On judiciarise de plus en plus de cas qui devraient pourtant être pris en charge par le réseau de la santé. L’appareil judiciaire est devenu le palliatif des déficiences du système de santé », a ajouté Me Ménard.


Inquiétant


L’Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec a pour sa part témoigné au Journal son inquiétude après avoir pris connaissance du rapport.


« Ça n’a pas de bon sens cette désorganisation. Il faut que ça cesse », a lâché la directrice générale, Doris Provencher.


Toutefois, elle voit d’un bon œil certaines recommandations du comité, notamment celle de confier la responsabilité des infirmeries des centres de détention au ministère de la Santé.

« Ça me paraît être un minimum. Vous savez lorsque quelqu’un est détenu et est privé de ses médicaments pendant quelques jours, ça devient un sevrage et c’est normal à ce moment-là qu’il pète les plombs », a-t-elle dit. 


Psychiatrie légale au Québec : cafouillis absolu
(Journal de Montréal)
Rémi Nadeau
 
QUÉBEC — L’incapacité du système public à faire face à la hausse de judiciarisation des personnes atteintes de troubles mentaux provoque un « cafouillis » qui se solde parfois par des résultats « désastreux », déplore un comité interministériel.
Le Comité de travail sur la prestation des services de psychiatrie légale a remis en février au ministre de la Santé, Yves Bolduc, un rapport dressant un constat d’échec et a plaidé pour une ambitieuse réorganisation des services.


Les experts signalent que, faute de coordination et de ressources adéquates, de plus en plus de personnes souffrant de troubles de santé mentale engorgent l’appareil judiciaire qui, de son côté, ne bénéficie pas du soutien nécessaire du réseau de la santé pour gérer la situation.


Par exemple, le nombre de dossiers soumis à la Commission d’examen des troubles mentaux a connu une hausse en flèche de 67 % de 2002 à 2009, passant de 1091 à 1829.


Le comité souligne que le système pénal devient ainsi la voie d’accès à des services en santé mentale, qui ne sont souvent pas au rendez-vous dans les centres de détention.


« Un détenu présentant un infarctus sera transféré dans un hôpital pour y être soigné, alors que dans le cas d’une psychose aiguë, il demeurera incarcéré et sera confié à l’infirmerie. Les établissements de détention, aux prises avec des problèmes médicaux qui dépassent leur capacité d’agir, se retrouvent dans une impasse », écrit-on dans le document.


Les experts déplorent « une vision stratégique déficitaire » et une « incohérence dans les actions des acteurs » qui se soldent parfois par des résultats « dramatiquement désastreux ».


On rappelle notamment les décès de Brian Bédard, en 2001, et de Justin Scott St-Aubin, en mai 2008, survenus dans les deux cas à la prison de Rivière-des-Prairies.


En montrant du doigt le « cafouillis qui règne », le comité révèle que sur 50 hôpitaux pourtant désignés par arrêté ministériel en vue de la garde, du traitement ou de l’évaluation de patients judiciarisés, le quart d’entre eux n’assument finalement aucune responsabilité à ce sujet, faute de ressources.


« Au fil du temps, un nombre considérable d’ordonnances ne sont pas exécutées comme la cour l’exige », précise le rapport.


Recommandations


Pour remédier à la situation, le comité de travail plaide donc pour une réforme de la psychiatrie légale, suggérant notamment que les infirmeries des prisons relèvent dorénavant du ministère de la Santé et non pas du ministère de la Sécurité publique.


Il demande aussi que le Procureur général désigne d’autres professionnels, autres que les médecins, pour mener les évaluations de l’état mental des accusés.


Enfin, le comité demande qu’une « tour de contrôle » de psychiatrie légale soit mise sur pied dans le réseau de la santé et des services sociaux, afin de mieux coordonner les services.


« Des familles inquiètes du sort d’un de leurs membres qui souffre d’un trouble mental et qui ne bénéficie pas de l’assistance médicale indiquée sont invitées à porter plainte afin que celui-ci ait accès à des traitements. Ces familles peuvent être amèrement déçues lorsque la personne se retrouve en détention, sans obtenir les services espérés. »


« À défaut de disposer d’un hébergement adapté à son état, un citoyen affecté d’un trouble mental peut être gardé indûment dans le système de psychiatrie légale et en accaparer les ressources. »


« Les établissements de détention gardent des accusés aux prises avec un trouble mental symptomatique au sujet duquel ils n’ont pas l’expertise nécessaire pour intervenir. Cette impasse crée des tensions entre les établissements de détention et les hôpitaux désignés incapables de répondre au volume d’ordonnances exigeant une garde en milieu hospitalier. »


Nombre de dossiers en cours à la Commission d’examen des troubles mentaux
2002-2003 : 1091
2008-2009 : 1829
Hausse de 67 %
Nombre d’évaluations de l’état mental d’un accusé réalisées à la suite d’une ordonnance
2005-2006 : 2462
2007-2008 : 2893
Hausse de 17,5 %

* Le ministère de la Justice ne tient aucun registre concernant les ordonnances d’évaluation de l’état mental rendues par les tribunaux de compétence criminelle du Québec

Manger ou être mangé, telle est la questionPar Annick Colonna-Césari,
le 08/03/201
Manger ou être mangé, telle est la question

The Partician New, de Wangechi Mutu (2004)  

L'exposition sur l'anthropophagie proposée par la Maison Rouge en dit long sur les angoisses de notre société.

L'anthropophagie est un sujet tabou. Mais, aussi, à travers les âges et les continents, l'un des thèmes les plus traités, aux confins du religieux et de la mythologie, de l'ethnologie et de la psychanalyse. Dévorer ou être dévoré constitue l'une des obsessions des artistes actuels. Cette exposition, dont le titre est inspiré d'une formule de Lévi-Strauss ("Nous sommes tous des cannibales"), montre la résurgence de la problématique, au travers de la confrontation d'une centaine d'oeuvres, passées et contemporaines. Ainsi, Frédérique Loutz fait resurgir dans ses dessins l'épouvante des contes de l'enfance. Dans notre époque postféministe, les photos de Cindy Sherman, revisitant les tableaux de madones, rappellent que le premier cannibale est l'enfant au sein de sa mère. Les Britanniques Jake et Dinos Chapman s'appuient sur les gravures politiques de Goya pour dénoncer la bestialité de l'humanité. Mais l'humour prend le dessus dans les natures mortes de Saverio Lucariello : on y voit la tête de l'artiste qui, trônant au milieu des victuailles, renvoie à la fragilité de l'existence. Cette exposition, un peu hermétique, en dit long sur notre société, ses fantasmes et ses angoisses. 

Tous cannibales. Maison Rouge, Paris (XIIe). Jusqu'au 15 mai.


Santé mentale : les familles demandent un « SAMU psy »

Publié le dimanche 13 mars 

Un accompagnement médico-social adapté à des malades psychiques que la souffrance a rendu silencieux : c'est ce que prévoit le Plan psychique

A l'occasion de la Semaine nationale d'information sur la santé mentale, c'est un véritable appel au secours que les familles de malades psychiques (UNAFAM*) lancent aux instances sanitaires régionales. Elles insistent en particulier sur l'urgence de créer des dispositifs spécifiques pour la psychiatrie. « La nécessité de ces organisations tient à la nature même des troubles psychiques et au fait que les personnes les plus malades ne sont pas en état de demander des soins. »

Au même titre qu'existent un « plan cancer » ou un « plan Alzheimer », l'association voudrait promouvoir un « plan psychique » comprenant différents axes. « La loi HPST ne parle pas de psychiatrie. Or, c'est une spécialité pour laquelle il existe un besoin impératif d'accompagnement. Beaucoup de malades ne reconnaissent pas leur handicap. Ils ont besoin d'être aidés à tous les niveaux : social, soins, logement... Faute de soutien, leurs familles se retrouvent, elles aussi, dans une détresse profonde », relate Eliane Boucharlat, correspondante recherche de l'Unafam dans les A.-M.. Parmi les propositions du Plan, figure l'introduction de compétences psychiatriques au sein des services d'urgence comme le SAMU : « Lorsqu'un malade est en crise, ce n'est pas la police, les pompiers ou le SAMU médical qui peuvent "traiter" avec lui. Et un handicapé psychique en crise que l'on amène aux Urgences sera bien incapable d'attendre deux heures avant qu'on le prenne en charge. Il quittera les lieux au bout de 10 minutes ! Avec le risque, comme cela a encore été le cas récemment, qu'il se suicide en quittant l'hôpital... »

*Union nationale des amis et familles de malades psychiques www.unfam.org


mercredi 9 mars 2011

Lettre ouverte aux soignants en psychiatrie

Il est l’heure, il est temps de retrouver la voie d’une psychiatrie démocratique !

Le projet de loi « relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge » va être discuté à l’Assemblée Nationale à partir du 15 mars prochain. L’ensemble des organisations syndicales de personnels de santé et de psychiatres, mais aussi des associations d’usagers et de citoyens, le syndicat de la magistrature, et plusieurs partis politiques demandent le retrait de ce projet.

Si depuis 20 ans s’exprime le « Malaise de la psychiatrie » comme disent les médias, ce projet de loi ne pourra que dégrader encore les conditions de soins des usagers et les conditions de travail des soignants avec pour effet supplémentaire de multiplier les contentieux juridiques.
Des équipes aujourd’hui en tension

Aujourd’hui les lieux d’hospitalisation et de consultation sont saturés. L’accès aux soins 24H/24H, l’accueil, l’hospitalité, la continuité des soins, l’accompagnement, la réinsertion ne sont plus les axes de la politique de santé mentale. La pression à l’hospitalisation, la sur occupation des lits, le turn over important qui en découle, la réduction des temps d’échanges cliniques et de régulation génèrent une tension permanente sur les équipes qui se sentent disqualifiées, à l’abandon, voire en insécurité. L’insuffisance de l’offre de soins précoces, la régression progressive de la dimension relationnelle des soins font que les patients n’arrivent aux soins bien souvent que quand leurs actes finissent par imposer une mesure de placement involontaire.

Cela aggrave la représentation répressive du soin psychique, la dimension carcérale de l’institution et compromet les premiers contacts entre la personne malade, les soignants et le dispositif : recours massif à la contention chimique, aux chambres d’isolement et à la contention physique, recours permanent aux « renforts », aux demandes d’admission en UMD, …. En première ligne pour exécuter la contrainte et l’enfermement, les équipes soignantes sont bien conscientes de ne pas répondre correctement, et humainement, aux besoins des patients. Elles subissent la contrainte de devoir « soigner » sous la contrainte et sont les premières exposées. Progressivement le sécuritaire peut apparaître, face à cette situation, comme une réponse immédiate à leurs difficultés, voire trouver là sa justification. La souffrance qui s’exprime est pourtant d’ordre éthique.
Et demain sous haute tension

La réforme de la loi de 90 a pour projet de faire de la contrainte une modalité ordinaire d’accès aux soins, et de soin. Elle prévoit de faciliter le recours à l’hospitalisation sous contrainte tout en verrouillant davantage les modalités de sortie. La réponse au constat, alarmant, de l’augmentation des procédures d’admission sous contrainte depuis une vingtaine d’années n’est autre que l’extension de la contrainte aux structures ambulatoires et au domicile ! Compte tenu de l’encombrement des services hospitaliers, intra et extra hospitaliers, les « soins sous contrainte » à domicile vont rapidement se généraliser. Et compte tenu de la pénurie d’effectifs ces « soins » se résumeront vite à l’administration de traitements médicamenteux, retard de préférence.

Cette intrusion « banalisée » des soignants au domicile et dans leur corps portera gravement atteinte à la liberté d’aller et venir et à la vie privée du patient et de son entourage, aux droits de l’homme et du citoyen. En outre, le directeur de l’établissement, obligatoirement informé en cas de « non respect du protocole » pourra ordonner la réintégration du patient. Demain les soignants devront, sur injonction du directeur, aller chercher, en toute légalité, les patients à leur domicile et leur imposer, de force, une hospitalisation ! Seront-ils évalués, voire rémunérés demain en fonction de leur pourcentage de réintégrations réussies dans cette mission de police ? Et par la suite, passeront-ils leur temps à scruter des écrans pour pister les bracelets de géo localisation qui « faciliteront leurs tâches » de contrôle et de main mise permanente sur les patients ? Les soignants doivent refuser d’accompagner des pratiques de régression et de glisser progressivement vers des fonctions d’auxiliaires de police. Ils ont besoin de temps relationnel et de moyens pour soigner. Ils ont besoin de formations et de mises à disposition de lieux d’accueil diversifiés pour assurer leurs missions. Ils ont besoin de liberté pour faire progresser le soin.

Le projet de réforme sera débattu les 15, 16 et 17 mars à l’Assemblée Nationale. Le jour de l’ouverture des débats, nous appelons tous les soignants en psychiatrie à se rassembler :
  • -pour exiger le retrait du projet de loi ;
  • -pour l’abrogation de la loi du 27 juin 1990 ;
  • -pour une loi globale d’orientation de la politique de Psychiatrie et Santé Mentale qui assume, démocratiquement, soin psychique et droits de l’homme et du citoyen et qui assure les moyens de la mettre en oeuvre.
Mardi 15 Mars
Faisons Grève et retrouvons nous de 16H et 20H au Rassemblement devant l’Assemblée Nationale Place Edouard Herriot – Paris 7e (Métro : Assemblée nationale)
Et partout où c’est possible devant les préfectures.

Vous pouvez signer et faire signer L’appel contre les soins sécuritaires
Mais c’est un Homme, en ligne : www.maiscestunhomme.org
Mais c’est un Homme…
Advocacy France, Association pour la recherche et le traitement des auteurs d'agressions sexuelles (Artaas), Attac France, Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie (CRPA), Collectif d’associations d’usagers en psychiatrie (CAUPsy), Collectif « Non à la politique de la peur », Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et des maternités de proximité, Fédération pour une alternative sociale et écologique, Fondation Copernic, Groupe multiprofessionnel des prisons, Ligue des droits de l'Homme, Nouveau Parti anticapitaliste, Parti
communiste français, Parti de Gauche, Parti socialiste, Résistance sociale, Les Sentinelles égalité, SERPsy, Solidaires, Sud santé sociaux, Syndicat de la magistrature, Syndicat de la médecine générale, SNPES-PJJ-FSU, Union syndicale de la psychiatrie, Les Verts.

Les infirmiers psychiatriques menacés
Youness Hamelat07/03/2011

Maintien à domicile

Les infirmiers psy permettent d'éviter l'hospitalisation de nombreux patients./Photo DDM
Les infirmiers psy permettent d'éviter l'hospitalisation de nombreux patients./Photo DDM

Éric Dutech est infirmier généraliste libéral spécialisé en psychiatrie. Depuis presque quatre ans, six cabinets d'infirmiers de la région toulousaine, dont le sien, sont chargés par les hôpitaux psychiatriques (l'hôpital Marchant entre autres) de maintenir près de 300 patients atteints de graves pathologies (schizophrénie, psychoses, névrose…) à domicile.


Tous les jours, deux fois par jours, il rend visite à Marie (nom emprunté dans un souci d'anonymat), âgée de 40 ans, atteinte de schizophrénie. Outre la délivrance de traitements adaptés, Éric entretient un suivi avec sa patiente qui commence par le dialogue. « La communication est la base de notre travail, explique Éric, ce suivi nous permet de jauger son niveau de trouble et de la maintenir dans un état stable, chose que ne peuvent pas faire des infirmiers classiques. »


En effet, si ce travail permet le désengorgement des hôpitaux, il évite également une réhospitalisation des patients.

Plus de remboursement de la CPAM

En début d'année, ces infirmiers spécialisés ont appris que la Caisse primaire d'assurance-maladie ne rembourserait plus leurs prestations. Pour cause, une interprétation différente des textes de nomenclature de l'assurance-maladie, qui ne souhaite plus prendre en charge les troubles psychiques.

Pour Patrice De Gelibert, du cabinet Occitan, il s'agit d'une aberration : « La CPAM voudrait que l'on travaille pour 3,15 €, soit le coût de la distribution de médicament. Ce refus ne peut être que d'ordre économique ». Le constat est plus grave selon Frédéric Pasquilini, du cabinet Sophia, qui y voit une forme de discrimination : « Avec cette interprétation, la CPAM ne veut prendre en compte que les problèmes d'ordre physique et exclut les troubles psychiques. C'est discriminatoire ! ».


Pour les hôpitaux psychiatriques, ces infirmiers fournissent un soutien considérable.


Interrogé sur le sujet, le Dr Vincent, psychiatre à l'hôpital Marchant, ne comprend pas les calculs de la CPAM : « S'ils ne sont plus là, ces patients seront forcément rehospitalisés. Quand on sait qu'une journée d'hospitalisation coûte 500 €, j'ai du mal à comprendre que l'on puisse faire des économies sur des prestations qui se chiffrent au maximum à une trentaine d'euros ». Et d'ajouter que « le secteur 1 de psychiatrie est déjà saturé en terme de lits ».


Pour l'heure, les cabinets d'infirmiers continuent leur mission bénévolement en attendant que l'affaire passe devant le tribunal des affaires sociales.

Étienne Rabouin est psychanalyste (CMPP de Brest) et signataire de l’Appel des Appels.

Qu’est ce qui a motivé la prise de conscience des professionnels de la santé mentale ?

Nous avons vu venir trop tard la portée de ces réformes avec le délitement délirant de la psychiatrie et avons été aveugles jusqu’en 2004. Sortant de notre clinique quotidienne pour une analyse plus globale, nous nous sommes rendus compte que ce changement d’idéologie et de visée de l’humain a vraiment commencé dès 1982.

Ceux qui résistent dans les hôpitaux et le médicosocial se battent contre un nouveau fichier, le RIMP (Recueil d’information médicalisé en psychiatrie), le 5ème, qui viole le secret professionnel.

Les assurances auront accès à ces données. Ce ne sont pas des traités de psychiatrie, de recherche du fonctionnement psychique singulier, mais des manuels simplifiés de classification des comportements sociaux.

Les professionnels des secteurs du soin, de la recherche, du travail social, de l’éducation, de la justice, de l’information, de la culture sont touchés, blessés parfois à mort par la même logique qui commence toujours par une attaque narcissique méprisante : À quoi servez vous ? N’êtes vous pas privilégiés ? Vous savez ce que vous coûtez ?

Dé-qualification, remplacement des métiers par des tâches, portés dans le projet des Conventions collectives 51 et 66 dans nos secteurs en sont la méprisable illustration.

Mais ce mépris ne concerne pas que les professionnels. Pris dans une logique consumériste de l’immédiateté, de l’injonction d’une jouissance immédiate profondément mortifère, la négation de l’humain dans l’homme et au nom d’une idéologie du profit et de la rentabilité, nous traçons l’homme comme une marchandise.

Selon vous, quelles sont les propositions à mettre en oeuvre pour re-construire ?

La multiplication des Appels sont des signes multiples d’une maladie de civilisation qui hait toujours d’avantage la culture, la pensée, le langage qui se passerait de l’homme, de ses a-normalités, de sa complexité sexuelle, de ses sublimations créatives, à la mesure de sa capacité barbare qu’il conviendrait de traiter au-delà de ses symptômes

Les projets de lois, plans de santé mentale et prévention de la délinquance, depuis la loi 2002-2, ont de très importantes incohérences, avec des effets dévastateurs pour les patients et pour les professionnels dans les institutions. Un « quart de tour » est à faire à cette loi pour que le législateur respecte le patient en le situant non comme un OBJET de soin au moindre coût, mais comme une PERSONNE qui parle et qui désire.

L’Appel des Appels milite pour l’insurrection des consciences et veut s’inscrire dans la durée, remettre de la pensée en mouvement, de la création, du subversif.

Il constitue un point de ralliement et de coordination des résistances.

Les comités locaux, avec leur diversité par toutes les alliances locales et nationales tissées entre associations, syndicats et collectifs, seront déterminant de l’avenir de ce mouvement.

Établir des liens concrets entre des activités qui subissent tous la même normalisation professionnelle est plus fort que ce qui sépare nos activités spécialisées.


Court traité de pratique de la psychanalyse
Jean-Jacques Rassial
Mars 2011 – Erès

La psychanalyse est d'abord une pratique, une pratique rationnelle.
L'auteur s'attache à présenter les différents axes de son exercice, dans un souci de transmission, à l'ensemble du public intéressé par la psychanalyse. Il soulève de multiples pistes de réflexion sur l'indication d'analyse, le début du traitement et la mise en œuvre du dispositif, le transfert et l'interprétation, les fins de l'analyse.

Tribune de Genève

Un nouveau mécanisme dans la formation du cerveau


Une étude de l'Institut Scripps Research a dévoilé un mécanisme qui contrôle la formation du cerveau. Les résultats ont des implications pour la compréhension de nombreuses maladies comme certaines formes de retard mental, l’épilepsie, la schizophrénie ou l'autisme.

Les chercheurs du Scripps Institute ont découvert un nouveau mécanisme de migration des neurones. Mueller/Scripps

Publiée dans la revue Neuron, cette nouvelle étude se focalise sur une protéine appelée reelin, qui serait un acteur clé de la migration des cellules nerveuses vers le néocortex, la partie du cerveau régulant les fonctions supérieures comme le langage ou les perceptions sensorielles. Les chercheurs ont découvert que reelin affecte ce processus de migration indépendamment des cellules gliales, souvent impliquées dans l’orientation des mouvements neuronaux.

Une migration critique

Lorsque le cerveau se développe, les cellules nouvellement formées voyagent de leur lieu d’origine vers les différentes régions du cerveau. Une fois qu’elles atteignent leur destination, elles créent des liaisons entre elles pour former des circuits et des réseaux complexes responsables des diverses fonctions du cerveau. (Voir le numéro de Sciences et Avenir de février).

Tout ce qui perturbe le cours de cette migration entraine des malformations cérébrales avec des conséquences souvent catastrophiques. Il y a bien des années, les chercheurs ont découvert une souris mutante avec un néocortex et un cervelet malformés affectant la capacité à la marche de l’animal. Plus tard, ils ont découvert que ces souris souffraient d’une mutation d’un gène qu’ils ont appelé reelin codant pour une protéine produite par les cellules nerveuses.

Des mutations de reelin ont également été retrouvées chez des enfants humains souffrant de microcéphalie, un cerveau trop petit. Bien que ces observations indiquent que reelin doit jouer un rôle clé dans la formation du cerveau proprement dit mais jusqu'à présent ce rôle n’était pas décrit.

A la découverte de la fonction de reelin

Depuis l'identification du gène reelin en 1995, les chercheurs ont découvert que la protéine correspondante est libérée par certaines cellules nerveuses et se lie aux récepteurs d'autres cellules nerveuses. Cette fixation déclenche alors une cascade de réactions chimiques, une voie de signalisation, dans la cellule nerveuse.

« Nous savions que reelin se lie à plusieurs récepteurs sur les cellules nerveuses et déclenche différentes voies de signalisation mais nous avons voulu savoir si voies régulent la mobilité des neurones » s’interroge Ulrich Mueller, auteur principal de l’étude.

Pour commencer à répondre à ces questions, les scientifiques ont marqué les cellules nerveuses dans le cerveau d'embryons de souris avec des colorants fluorescents et les ont observé se déplacer en temps réel vers le néocortex du cerveau. Ils se sont alors aperçus que chez les souris mutantes le déplacement des cellules est bloqué.

Un mécanisme encore mal compris

Bien que le mécanisme par lequel reelin influe sur la migration n'est pas totalement compris, les chercheurs ont pu montrer que reelin contrôle les cadhérines de petites molécules qui servent de colle aux cellules lorsqu’elles se déplacent. « Nous savons déjà que certaines cadhérines sont impliquées dans les troubles autistiques » précise Ulrich Mueller.

Des études complémentaires devraient permettre de trouver d’autres molécules cibles de reelin et d’identifier des mutations dans les gènes codant pour celles-ci. « Nous pourrions trouver d'autres gènes impliqués dans la schizophrénie et l'autisme » conclut le chercheur.

Source: http://www.sciencesetavenir.fr/actualite/sante/20110209.O...


“La répétition à l’épreuve du transfert”

La revue nationale des Collèges cliniques n° 10 - Mars 2011 -

Éditorial

La répétition à l’épreuve du transfert

La répétition et le transfert - la transposition — d’éléments symboliques constituent les mythes (Orphée, Oedipe et bien d’autres) qui animent nos cultures selon Lévi-Strauss. Kierkegaard, lui, fait de la répétition un objet d’interrogation philosophique. Et Freud la rencontre avec le transfert dans le champ analytique dès sa constitution. Elle a une importance majeure, avec son rapport au traumatisme, dans le tournant théorique des années vingt qui tire les conséquences de la clinique de la première guerre mondiale. Lacan, lui, souligne le statut de concepts fondamentaux de la psychanalyse de la répétition et du transfert à l’instar de l’inconscient et de la pulsion.

Cette revue recueille les enseignements et les débats des Collèges de clinique psychanalytique du Champ lacanien de France autour du thème " la répétition à l’épreuve du transfert". On y lira comment les auteurs répondent aux questions qu’implique ce thème :
- qu’est-ce que la répétition au sens analytique ?
- quels sont les éléments cliniques (rêve, trait d’esprit, symptôme, fantasme, etc.) et structuraux (réel, symbolique, imaginaire) impliqués dans son mouvement et comment le sont-ils ?
- comment la répétition se décline-t-elle en fonction des structures cliniques ?
- que peut le transfert face à la répétition et quel est son devenir dans la passe ?

Avec l’étude des références de "Au-delà du principe de plaisir", on lira sur quel fonds Freud bâtit le concept de répétition.
Muriel Mosconi

Pour lire le sommaire, cliquer ici



Les livres de psychanalyse

Influence
François Roustang

Mars 2011 – Minuit – “Reprise”
L'influence est l'action cachée et continue d'êtres inanimés ou animés qui décident du destin de l'homme.
Celui-ci, depuis des millénaires, interroge cette puissance pour savoir ce qu'il est autorisé à entreprendre. Il ne croit plus qu'elle provient des astres. Il la voit à l'oeuvre dans ce qu'il subit à l'intérieur de lui-même et à travers les relations qu'il entretient avec ses semblables. De nos jours, l'influence a pris le nom d'inconscient, corollaire d'une psyché fermée sur elle-même. Il s'agit en fait de l'appartenance de l'être humain au monde des vivants, plus précisément à son animalité.
Métaphore de l'influence, l'hypnose, qu'il faudrait appeler veille du corps ou éveil de la vie, est la plaque tournante où peuvent s'échanger l'animalité de l'homme et son humanité. L'animalité ne peut pas être humanisée si l'humain n'a pas été animalisé. L'influence ainsi entendue devient le préalable de la liberté. Celle-ci n'est plus l'indépendance dont rêvait Narcisse. Elle est l'appropriation par l'homme de ce que lui impose sa condition de vivant. (Présentation de l’éditeur)


Tous contre ... le projet de réforme sur la psychiatrie

Chronique de Caroline Eliacheff du 9 mars 2011

A écouter ici

Éduquer au XXIe siècle

Michel Serres
Michel SerresAFP/ETIENNE DE MALGLAIVE

A
vant d'enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit, au moins faut-il le connaître. Qui se présente, aujourd'hui, à l'école, au collège, au lycée, à l'université ?

Ce nouvel écolier, cette jeune étudiante n'a jamais vu veau, vache, cochon ni couvée. En 1900, la majorité des humains, sur la planète, travaillaient au labour et à la pâture ; en 2011, la France, comme les pays analogues, ne compte plus qu'un pour cent de paysans. Sans doute faut-il voir là une des plus fortes ruptures de l'histoire, depuis le néolithique. Jadis référée aux pratiques géorgiques, la culture, soudain, changea. Celle ou celui que je vous présente ne vit plus en compagnie des vivants, n'habite plus la même Terre, n'a plus le même rapport au monde. Elle ou il n'admire qu'une nature arcadienne, celle du loisir ou du tourisme.


- Il habite la ville. Ses prédécesseurs immédiats, pour plus de la moitié, hantaient les champs. Mais, devenu sensible à l'environnement, il polluera moins, prudent et respectueux, que nous autres, adultes inconscients et narcisses. Il n'a plus la même vie physique, ni le même monde en nombre, la démographie ayant soudain bondi vers sept milliards d'humains ; il habite un monde plein.


- Son espérance de vie va vers quatre-vingts ans. Le jour de leur mariage, ses arrière-grands-parents s'étaient juré fidélité pour une décennie à peine. Qu'il et elle envisagent de vivre ensemble, vont-ils jurer de même pour soixante-cinq ans ? Leurs parents héritèrent vers la trentaine, ils attendront la vieillesse pour recevoir ce legs. Ils ne connaissent plus les mêmes âges, ni le même mariage ni la même transmission de biens. Partant pour la guerre, fleur au fusil, leurs parents offraient à la patrie une espérance de vie brève ; y courront-ils, de même, avec, devant eux, la promesse de six décennies ?


- Depuis soixante ans, intervalle unique dans notre histoire, il et elle n'ont jamais connu de guerre, ni bientôt leurs dirigeants ni leurs enseignants. Bénéficiant d ‘une médecine enfin efficace et, en pharmacie, d'antalgiques et d'anesthésiques, ils ont moins souffert, statistiquement parlant, que leurs prédécesseurs. Ont-ils eu faim ? Or, religieuse ou laïque, toute morale se résumait en des exercices destinés à supporter une douleur inévitable et quotidienne : maladies, famine, cruauté du monde. Ils n'ont plus le même corps ni la même conduite ; aucun adulte ne sut leur inspirer une morale adaptée.


- Alors que leurs parents furent conçus à l'aveuglette, leur naissance est programmée. Comme, pour le premier enfant, l'âge moyen de la mère a progressé de dix à quinze ans, les parents d'élèves ont changé de génération. Pour plus de la moitié, ces parents ont divorcé. Ils n'ont plus la même généalogie.


- Alors que leurs prédécesseurs se réunissaient dans des classes ou des amphis homogènes culturellement, ils étudient au sein d'un collectif où se côtoyent désormais plusieurs religions, langues, provenances et mœurs. Pour eux et leurs enseignants, le multiculturalisme est de règle. Pendant combien de temps pourront-ils encore chanter l'ignoble "sang impur" de quelque étranger ? Ils n'ont plus le même monde mondial, ils n'ont plus le même monde humain. Mais autour d'eux, les filles et les fils d'immigrés, venus de pays moins riches, ont vécu des expériences vitales inverses.


Bilan temporaire. Quelle littérature, quelle histoire comprendront-ils, heureux, sans avoir vécu la rusticité, les bêtes domestiques, la moisson d'été, dix conflits, cimetières, blessés, affamés, patrie, drapeau sanglant, monuments aux morts, sans avoir expérimenté dans la souffrance, l'urgence vitale d'une morale ?


VOILÀ POUR LE CORPS ; VOICI POUR LA CONNAISSANCE


- Leurs ancêtres fondaient leur culture sur un horizon temporel de quelques milliers d'années, ornées par l'Antiquité gréco-latine, la Bible juive, quelques tablettes cunéiformes, une préhistoire courte. Milliardaire désormais, leur horizon temporel remonte à la barrière de Planck, passe par l'accrétion de la planète, l'évolution des espèces, une paléo-anthropologie millionnaire. N'habitant plus le même temps, ils vivent une toute autre histoire.


- Ils sont formatés par les médias, diffusés par des adultes qui ont méticuleusement détruit leur faculté d'attention en réduisant la durée des images à sept secondes et le temps des réponses aux questions à quinze secondes, chiffres officiels ; dont le mot le plus répété est "mort" et l'image la plus représentée celle de cadavres. Dès l'âge de douze ans, ces adultes-là les forcèrent à voir plus de vingt mille meurtres.


- Ils sont formatés par la publicité ; comment peut-on leur apprendre que le mot relais, en français s'écrit "- ais", alors qu'il est affiché dans toutes les gares "- ay" ? Comment peut-on leur apprendre le système métrique, quand, le plus bêtement du monde, la SNCF leur fourgue des "s'miles" ?


Nous, adultes, avons doublé notre société du spectacle d'une société pédagogique dont la concurrence écrasante, vaniteusement inculte, éclipse l'école et l'université. Pour le temps d'écoute et de vision, la séduction et l'importance, les médias se sont saisis depuis longtemps de la fonction d'enseignement.


Critiqués, méprisés, vilipendés, puisque pauvres et discrets, même s'ils détiennent le record mondial des prix Nobel récents et des médailles Fields par rapport au nombre de la population, nos enseignants sont devenus les moins entendus de ces instituteurs dominants, riches et bruyants.


Ces enfants habitent donc le virtuel. Les sciences cognitives montrent que l'usage de la toile, lecture ou écriture au pouce des messages, consultation de Wikipedia ou de Facebook, n'excitent pas les mêmes neurones ni les mêmes zones corticales que l'usage du livre, de l'ardoise ou du cahier. Ils peuvent manipuler plusieurs informations à la fois.


Ils ne connaissent ni n'intègrent ni ne synthétisent comme nous, leurs ascendants. Ils n'ont plus la même tête.


- Par téléphone cellulaire, ils accèdent à toutes personnes ; par GPS, en tous lieux ; par la toile, à tout le savoir ; ils hantent donc un espace topologique de voisinages, alors que nous habitions un espace métrique, référé par des distances. Ils n'habitent plus le même espace.


Sans que nous nous en apercevions, un nouvel humain est né, pendant un intervalle bref, celui qui nous sépare des années soixante-dix. Il ou elle n'a plus le même corps, la même espérance de vie, ne communique plus de la même façon, ne perçoit plus le même monde, ne vit plus dans la même nature, n'habite plus le même espace. Né sous péridurale et de naissance programmée, ne redoute plus, sous soins palliatifs, la même mort. N'ayant plus la même tête que celle de ses parents, il ou elle connaît autrement.


- Il ou elle écrit autrement. Pour l'observer, avec admiration, envoyer, plus rapidement que je ne saurai jamais le faire de mes doigts gourds, envoyer, dis-je, des SMS avec les deux pouces, je les ai baptisés, avec la plus grande tendresse que puisse exprimer un grand-père, Petite Poucette et Petit Poucet. Voilà leur nom, plus joli que le vieux mot, pseudo-savant, de dactylo.


- Ils ne parlent plus la même langue. Depuis Richelieu, l'Académie française publie, à peu près tous les vingt ans, pour référence, le dictionnaire de la nôtre. Aux siècles précédents, la différence entre deux publications s'établissait autour de quatre à cinq mille mots, chiffres à peu près constants ; entre la précédente et la prochaine, elle sera d'environ trente mille. A ce rythme, on peut deviner qu'assez vite, nos successeurs pourraient se trouver, demain, aussi séparés de notre langue que nous le sommes, aujourd'hui, de l'ancien français pratiqué par Chrétien de Troyes ou Joinville. Ce gradient donne une indication quasi photographique des changements que je décris. Cette immense différence, qui touche toutes les langues, tient, en partie, à la rupture entre les métiers des années récentes et ceux d'aujourd'hui. Petite Poucette et son ami ne s'évertueront plus aux mêmes travaux. La langue a changé, le labeur a muté.


L'INDIVIDU


Mieux encore, les voilà devenus tous deux des individus. Inventé par saint Paul, au début de notre ère, l'individu vient de naître ces jours-ci. De jadis jusqu'à naguère, nous vivions d'appartenances : français, catholiques, juifs, protestants, athées, gascons ou picards, femmes ou mâles, indigents ou fortunés… nous appartenions à des régions, des religions, des cultures, rurales ou urbaines, des équipes, des communes, un sexe, un patois, la Patrie. Par voyages, images, Toile et guerres abominables, ces collectifs ont à peu près tous explosé.


Ceux qui restent s'effilochent. L'individu ne sait plus vivre en couple, il divorce ; ne sait plus se tenir en classe, il bouge et bavarde ; ne prie plus en paroisse ; l'été dernier, nos footballeurs n'ont pas su faire équipe ; nos politiques savent-ils encore construire un parti plausible ou un gouvernement stable ? On dit partout mortes les idéologies ; ce sont les appartenances qu'elles recrutaient qui s'évanouissent.


Cet nouveau-né individu, voilà plutôt une bonne nouvelle. A balancer les inconvénients de ce que l'on appelle égoïsme par rapport aux crimes commis par et pour la libido d'appartenance – des centaines de millions de morts –, j'aime d'amour ces jeunes gens.


Cela dit, reste à inventer de nouveaux liens. En témoigne le recrutement de Facebook, quasi équipotent à la population du monde. Comme un atome sans valence, Petite Poucette est toute nue. Nous, adultes, n'avons inventé aucun lien social nouveau. L'entreprise généralisée du soupçon et de la critique contribua plutôt à les détruire.


Rarissimes dans l'histoire, ces transformations, que j'appelle hominescentes, créent, au milieu de notre temps et de nos groupes, une crevasse si large et si évidente que peu de regards l'ont mesurée à sa taille, comparable à celles visibles au néolithique, à l'aurore de la science grecque, au début de l'ère chrétienne, à la fin du Moyen Age et à la Renaissance.


Sur la lèvre aval de cette faille, voici des jeunes gens auxquels nous prétendons dispenser de l'enseignement, au sein de cadres datant d'un âge qu'ils ne reconnaissent plus : bâtiments, cours de récréation, salles de classes, amphithéâtres, campus, bibliothèques, laboratoires, savoirs même… cadres datant, dis-je, d'un âge et adaptés à une ère où les hommes et le monde étaient ce qu'ils ne sont plus.


Trois questions, par exemple : que transmettre ? A qui le transmettre ? Comment le transmettre ?


QUE TRANSMETTRE ? LE SAVOIR !


Jadis et naguère, le savoir avait pour support le corps du savant, aède ou griot. Une bibliothèque vivante… voilà le corps enseignant du pédagogue. Peu à peu, le savoir s'objectiva : d'abord dans des rouleaux, sur des velins ou parchemins, support d'écriture ; puis, dès la Renaissance, dans les livres de papier, supports d'imprimerie ; enfin, aujourd'hui, sur la toile, support de messages et d'information. L'évolution historique du couple support-message est une bonne variable de la fonction d'enseignement. Du coup, la pédagogie changea au moins trois fois : avec l'écriture, les Grecs inventèrent la Paideia ; à la suite de l'imprimerie, les traités de pédagogie pullulèrent. Aujourd'hui ?


Je répète. Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà, partout sur la Toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Désormais, tout le savoir est accessible à tous. Comment le transmettre ? Voilà, c'est fait. Avec l'accès aux personnes, par le téléphone cellulaire, avec l'accès en tous lieux, par le GPS, l'accès au savoir est désormais ouvert. D'une certaine manière, il est toujours et partout déjà transmis.


Objectivé, certes, mais, de plus, distribué. Non concentré.
Nous vivions dans un espace métrique, dis-je, référé à des centres, à des concentrations. Une école, une classe, un campus, un amphi, voilà des concentrations de personnes, étudiants et professeurs, de livres en bibliothèques, d'instruments dans les laboratoires… ce savoir, ces références, ces textes, ces dictionnaires… les voilà distribués partout et, en particulier, chez vous – même les observatoires ! mieux, en tous les lieux où vous vous déplacez ; de là étant, vous pouvez toucher vos collègues, vos élèves, où qu'ils passent ; ils vous répondent aisément. L'ancien espace des concentrations – celui-là même où je parle et où vous m'écoutez, que faisons-nous ici ? – se dilue, se répand ; nous vivons, je viens de le dire, dans un espace de voisinages immédiats, mais, de plus, distributif. Je pourrais vous parler de chez moi ou d'ailleurs, et vous m'entendriez ailleurs ou chez vous, que faisons-nous donc ici ?


Ne dites surtout pas que l'élève manque des fonctions cognitives qui permettent d'assimiler le savoir ainsi distribué, puisque, justement, ces fonctions se transforment avec le support et par lui. Par l'écriture et l'imprimerie, la mémoire, par exemple, muta au point que Montaigne voulut une tête bien faite plutôt qu'une tête bien pleine. Cette tête vient de muter encore une fois. De même donc que la pédagogie fut inventée (paideia) par les Grecs, au moment de l'invention et de la propagation de l'écriture ; de même qu'elle se transforma quand émergea l'imprimerie, à la Renaissance ; de même, la pédagogie change totalement avec les nouvelles technologies. Et, je le répète, elles ne sont qu'une variable quelconque parmi la dizaine ou la vingtaine que j'ai citée ou pourrais énumérer.


Ce changement si décisif de l'enseignement – changement répercuté sur l'espace entier de la société mondiale et l'ensemble de ses institutions désuètes, changement qui ne touche pas, et de loin, l'enseignement seulement, mais aussi le travail, les entreprises, la santé, le droit et la politique, bref, l'ensemble de nos institutions – nous sentons en avoir un besoin urgent, mais nous en sommes encore loin.


Probablement, parce que ceux qui traînent, dans la transition entre les derniers états, n'ont pas encore pris leur retraite, alors qu'ils diligentent les réformes, selon des modèles depuis longtemps effacés. Enseignant pendant un demi-siècle sous à peu près toutes les latitudes du monde, où cette crevasse s'ouvre aussi largement que dans mon propre pays, j'ai subi, j'ai souffert ces réformes-là comme des emplâtres sur des jambes de bois, des rapetassages ; or les emplâtres endommagent le tibia, même artificiel : les rapetassages déchirent encore plus le tissu qu'ils cherchent à consolider.


Oui, depuis quelques décennies je vois que nous vivons une période comparable à l'aurore de la Paideia, après que les Grecs apprirent à écrire et démontrer ; semblable à la Renaissance qui vit naître l'impression et le règne du livre apparaître ; période incomparable pourtant, puisqu'en même temps que ces techniques mutent, le corps se métamorphose, changent la naissance et la mort, la souffrance et la guérison, les métiers, l'espace, l'habitat, l'être-au-monde.


ENVOI


Face à ces mutations, sans doute convient-il d'inventer d'inimaginables nouveautés, hors les cadres désuets qui formatent encore nos conduites, nos médias, nos projets adaptés à la société du spectacle. Je vois nos institutions luire d'un éclat semblable à celui des constellations dont les astronomes nous apprirent qu'elles étaient mortes depuis longtemps déjà.


Pourquoi ces nouveautés ne sont-elles point advenues ? Je crains d'en accuser les philosophes, dont je suis, gens qui ont pour métier d'anticiper le savoir et les pratiques à venir, et qui ont, ce me semble, failli à leur tâche. Engagés dans la politique au jour le jour, ils n'entendirent pas venir le contemporain. Si j'avais eu à croquer le portrait des adultes, dont je suis, ce profil eût été moins flatteur.


Je voudrais avoir dix-huit ans, l'âge de Petite Poucette et de Petit Poucet, puisque tout est à refaire, puisque tout reste à inventer. Je souhaite que la vie me laisse assez de temps pour y travailler encore, en compagnie de ces Petits, auxquels j'ai voué ma vie, parce que je les ai toujours respectueusement aimés.


Pour lire l'intégralité des textes de la coupole du 1er mars, reportez-vous sur le site de l'Institut de France.
Michel Serres, de l'Académie française

mardi 8 mars 2011


GONZO - Gardien de prison, les coulisses
02 mars 2011

Un journaliste a réussi a se faire passer pour un gardien de prison pendant huit mois avant de démissionner pour écrire un livre sur les coulisses des prisons françaises. Dans la peau d’un maton sort mercredi 2 mars en librairie, mais plusieurs médias en publient déjà les bonnes feuilles, comme Rue89.

Arthur Frayer a réussi à passer le concours de gardien de prison en mentant sur son véritable métier. Il en ressort un livre “passionnant”, écrit Rue89. “La meilleure manière d’entrer dans cet univers, à moins de se faire condamner, était de se faire embaucher comme maton”, explique l’auteur pour justifier son mensonge.

“Tous les jours, je vivais avec un sentiment d’angoisse, je naviguais entre l’écoute et l’autorité
, affirme également Arthur Frayer à Ouest-France. En prison, on côtoie ce qu’il y a de pire en l’homme.” Il décrit des conditions de détention déplorables pour les prisonniers et un travail usant pour les gardiens de prison, qui “n’ont souvent pas choisi ce boulot par vocation”.

Dans les bonnes feuilles publiées par Rue89, Arthur Frayer décrit sa première journée derrière les murs, à l’occasion d’un stage d’observation. Une journée terrible pour ces futurs gardiens de prison.
“Richard, le chef des formateurs, nous fait visiter une seconde cellule, qui a brûlé. Les murs sont carbonisés. Les alentours des latrines sont d’un noir charbonneux. Bras croisés, parcourant des yeux le haut des murs, il nous explique que beaucoup de détenus perdent tous leurs repères psychologiques quand ils entrent au quartier disciplinaire.”

Point de vue

Une éthique de la connaissance appliquée aux auteurs d'agressions sexuels


D
epuis des dizaines d'années, chacun de nous trois œuvre sans relâche pour promouvoir la recherche, les soins et la formation face aux problèmes de santé publique posés par les auteurs de violences sexuelles, que ces violences portent sur des personnes majeures ou mineures. Pourtant, nous assistons de manière répétitive au même cycle : faits tragiques (viols, meurtres), suivis "d'orages médiatiques" où chacun de nous trois répète les mêmes discours comme s'ils n'avaient jamais été entendus ni compris, faits tragiques qui déclenchent la mobilisation temporaire des instances politiques, la rédaction de rapports, la promulgation de lois…

Puis les problèmes retournent dans un apparent oubli, comme refoulés, jusqu'à la prochaine tragédie. Peut-on mettre un terme à ce cycle ? Ou nous faut-il renoncer à ces efforts ingrats ? Il nous a semblé, cependant, que la dernière tragédie, la mort de Laëtitia, redonnait l'occasion d'une véritable réflexion sur ces problèmes. En effet, la solution passe par une réflexion et une connaissance rationnelle et approfondie de ces problèmes.


Or, en France, les recherches biomédicales dans ce domaine sont plus qu'indigentes. Tapez "sexual offenders" dans PubMed, la grande base internationale de données bibliographique médicales. Le résultat est affligeant : sur les 20 premiers articles qui sortent, 13 sont américains, 2 canadiens, 3 australiens, 1 néerlandais, 1 néo-zélandais…, 0 français. Nos propres efforts pour mener une recherche thérapeutique sur les effets des traitements antihormonaux (la mal nommée "castration chimique") ont dû être arrêtés faute d'un nombre suffisant de patients qui nous soient adressés par les professionnels de justice et de santé.


Aujourd'hui, pour nous, la réponse à ce problème dans sa dimension de santé publique, qui comprend autant les victimes que les auteurs, passe par des progrès dans la connaissance de ces phénomènes, pour mieux les traiter, dans le cadre d'une démarche éthique, et passe aussi par une meilleure diffusion de ces connaissances grâce à des actions de formation des professionnels de justice et de santé. C'est ce qu'avait préconisé, par exemple, le rapport Lamanda, premier président de la Cour de cassation, remis au président de la République… il y aura bientôt trois ans, en mai 2008. D'autres rapports lui ont succédé, d'autres pays se confrontent au même problème.


Toutes les analyses concluent à l'importance de deux décisions politiques pour la réussite des actions : une politique de recherche en la matière et une politique de concertation interprofessionnelle. C'est pourquoi nous appelons les autorités politiques à la création d'une plate-forme de recherches, de soins et de formation dans le domaine de la pathologie des auteurs de violence sexuelle. Les recherches à y mener devront être résolument pluridisciplinaires : biomédicales, épidémiologiques, psychologiques, psychiatriques, criminologiques, avec le souci d'y intégrer une réflexion éthique et les apports des sciences humaines et sociales.


DES INSTRUMENTS EXISTENT


Que l'on médite le fait suivant : il existe depuis des années des instruments permettant d'évaluer de manière validée le risque de récidive des agressions sexuelles. Ces instruments ont été validés non seulement en Amérique du Nord, mais dans des pays européens. Pourtant, aucune tentative de validation n'a été effectuée en France. Une telle carence de recherche a un caractère profondément contraire à l'éthique.


Quant aux soins dispensés dans la plate-forme mentionnée, ils devraient être précédés par une évaluation approfondie de la problématique de chaque patient, car il n'existe pas un agresseur sexuel type : chacun d'eux est différent. Ces évaluations devront reposer sur des outils validés sur des populations françaises, ce qui n'a pas été fait jusqu'à présent. A l'instar des centres qui existent au Canada, en Allemagne, aux Etats-Unis et aux Pays-Bas, il faudra donner à cette plate-forme une assise institutionnelle dans l'université, la recherche et l'hôpital. Ce centre devra se doter d'une gouvernance réunissant les représentants des principaux professionnels concernés : professionnels de la santé, la justice, la recherche, la famille. Il devra être à l'écoute des besoins de la société, relayés par le milieu associatif.


Sur le plan socioéconomique, l'efficacité des traitements recommandés par la plate-forme sur la base d'une approche Evidence-Based Medicine, aura un coût bien inférieur aux coûts encourus dans la situation actuelle : qu'on songe que le procès d'Angers a coûté à lui seul plus de dix fois le montant de l'essai thérapeutique Inserm sur les traitements pharmacologiques de la pédophilie (8 millions d'euros, avec la nécessité de construire un bâtiment nouveau pour que s'y tienne le procès).


Les expériences nord-américaines déjà effectives depuis plusieurs années nous enseignent aussi que le coût de la rétention de sûreté prévue par la récente loi est de plusieurs centaines de milliers de dollars par patient et par an, ce qui implique que seule une très petite fraction des agresseurs dangereux peut faire l'objet de cette mesure. La situation actuelle représente un coût énorme pour la nation en raison des frais judiciaires, pénitentiaires, et médicaux (prise en charge des victimes) qu'elle entraîne. Ces frais seraient réduits de manière spectaculaire par la mise en œuvre, dans le cadre d'une plate-forme de recherche, de soins et de formation dans le domaine de la pathologie des agresseurs sexuels, de mesures de dépistage, de soins et de prévention de la réitération des passages à l'acte.


Serge Stoléru est aussi chercheur à l'Inserm (Paris) ;
Sophie Baron-Laforet est aussi directrice du Centre ressource pour intervenants auprès des auteurs de violence sexuelle (Ile-de-France) ;
christian hervé est aussi directeur du Laboratoire d'éthique et de médecine légale, université Paris-Descartes
Serge Stoléru, psychiatre, Sophie Baron-Laforet, psychiatre, et Christian Hervé, professeur de médecine légale et de droit de la santé

dimanche 6 mars 2011

Malaise en psychiatrie
jeudi 3 mars 2011
,

par Christine Tréguier

Les établissements psychiatriques ne dérogent pas à la règle de l’informatisation à des fins de meilleure gestion administrative. Depuis 2007, un arrêté les oblige à tenir un recueil d’informations médicalisées en psychiatrie (RIMP), destiné à procéder à une analyse médico-économique de l’activité de soins. Ce fichier, qui recense de nombreuses données concernant les patients hospitalisés ou simplement suivis dans les centres médico-psychologiques, n’aurait donc comme finalité que d’évaluer, pour mieux les tarifer, les actes effectués. Et n’aurait donc a priori aucun besoin d’informations sur les patients eux-mêmes.


Pourtant, et c’est ce qui inquiète l’Union syndicale de la psychiatrie (USP), le RIMP exige parmi les données enregistrées le diagnostic médical et les modalités d’hospitalisation sous contrainte. Des données très personnelles puisqu’elles sont associées à l’identifiant permanent du patient (numéro qui peut aisément être corrélé à son identité) et à sa date de naissance. Le tout est archivé sous la responsabilité du médecin à la tête du service d’information médicale (SIM) de chaque établissement, chargé de les transmettre après anonymisation à une agence ministérielle. Mais le fichier nominatif est conservé dans l’établissement. Un problème pour Olivier Labouret, vice-président de l’USP, qui déplore que ces données ne soient pas anonymisées à la source et qu’on multiplie les fichiers sans réelle protection.


Exemple, le dossier informatisé du patient, dont sont extraites les données du RIMP : il est nominatif, utilise le même logiciel, et il est facile pour n’importe quel soignant d’accéder « par erreur » aux dossiers d’autres patients que ceux dont il a la charge. À tel point qu’il est prévu, exceptionnellement, d’attribuer un alias pour préserver l’anonymat d’un parent d’un membre du personnel ou d’une personnalité. L’USP dénonce un manque de maîtrise général et une impossibilité de respecter la confidentialité indispensable à la relation entre soignants et patients. Elle demande que soient reconnus la nécessité du consentement exprès du patient à l’utilisation de ses données et son droit d’opposition. Un droit que revendique un groupe de patients du service psychiatrique du Centre hospitalier du Gers : sans succès depuis deux ans.


En décembre 2010, la publication d’un nouvel arrêté et du Guide méthodologique de production du RIMP est venue aggraver les craintes du syndicat. Ce guide préconise de recueillir également des informations sociales sur les patients – telles que mode de vie, situation scolaire ou professionnelle, bénéfice d’un minimum social, de la CMU, etc. –, « susceptibles d’influer sur les modalités du traitement ». Pour l’USP, « une telle utilisation “à visée d’enquête” donne de facto à l’État la capacité de réguler l’offre de soins de façon discriminatoire, en fonction de critères socio-économiques » et elle n’entre pas dans la finalité d’évaluation médico-économique du RIMP. Le syndicat a déposé un recours devant le Conseil d’État ainsi qu’auprès du ministère de la santé et a saisi la Cnil. « La psychiatrie, rappelle-t-il, est au service des personnes en souffrance », pas de leur traçage.

Le site de l’Union syndicale de la psychiatrie.

Isabelle Montet, psychiatre

"La psychiatrie a besoin d'une loi globale et non d'une réforme sécuritaire"


L
e projet de loi "relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques", qui doit réformer la loi de 1990 sur l'hospitalisation sans consentement, fait l'unanimité des psychiatres contre lui. Adopté en commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, mercredi 2 mars, il sera débattu à partir du 15 mars, date à laquelle une manifestation est déjà annoncée.

Aujourd'hui, les traitements sous contrainte sont cantonnés à l'hospitalisation (d'office ou à la demande d'un tiers). La réforme instaure la possibilité de rendre les soins obligatoires hors les murs de l'hôpital, en cas de "péril imminent" pour la santé du malade. A la suite d'un arrêt rendu par le Conseil constitutionnel fin 2010, qui sanctionnait la loi de 1990, a été ajoutée l'obligation de contrôle de l'hospitalisation sous contrainte, par le juge judiciaire, au-delà de quinze jours d'internement.


La profession reproche au gouvernement le penchant sécuritaire de la réforme. Isabelle Montet, psychiatre à l'hôpital de Clermont-de-l'Oise et secrétaire générale du Syndicat des psychiatres des hôpitaux, explique pourquoi.


Les psychiatres estiment que ce projet de loi a davantage une vocation sécuritaire que sanitaire.
Sur quoi vous fondez-vous ?


Ce qui ressort du texte, c'est l'idée de garantir la sûreté non des malades, mais des non-malades, en insistant sur les prérogatives du préfet (aujourd'hui, il peut interner d'office et donne son accord pour la sortie). Il me semble important de rappeler le contexte.


En 2007, alors qu'il était ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy avait dû renoncer, face à la mobilisation, à associer maladie mentale et dangerosité dans la loi sur la prévention de la délinquance. Devenu chef de l'Etat, après le fait divers de Grenoble (un malade ayant fugué de l'hôpital avait tué un étudiant), il a réclamé, en 2008, une réforme de l'hospitalisation sans consentement. Personne ne veut oublier ce drame, mais il ne doit pas résumer à lui seul la prise en charge des malades mentaux.


Dans le projet de loi, la question du trouble à l'ordre public prédomine sur la préoccupation de la qualité des soins. Toutes les propositions faites dans les groupes de travail, qui associaient soignants, familles et patients, ont au final été détournées de leur esprit. Par exemple, la période d'observation de 72 heures, qui doit permettre de prendre le temps de décider des modalités de soins, est devenue, dans le texte, ce que beaucoup d'entre nous appellent une "garde à vue psychiatrique", sans garantie particulière pour le patient.


Autre exemple, les préfets pourront se référer aux antécédents du patient avant de prendre une décision, notamment de sortie. Cela revient à constituer un "casier psychiatrique" qui poursuivra le malade toute sa vie. Le fait que les députés ont adopté un amendement, mercredi, sur le "droit à l'oubli", confirme que ce point pose problème.


Que change la réforme pour les patients ?


Il y a davantage de garanties administratives demandées pour la sortie des patients que pour l'entrée. Par exemple, il est prévu de pouvoir se passer de l'autorisation d'un tiers (proches ou membres de la famille) pour contraindre à une hospitalisation. Les familles étaient demandeuses de cette évolution, ainsi que de l'extension de l'obligation de traitement hors de l'hôpital pour faciliter l'accès aux soins. Même si nous les rejoignons sur ce point, cela nous préoccupe car nous ne voudrions pas devenir des espèces d'agents de régulation sociale sous l'ordre des préfets.


En outre, la décision du Conseil constitutionnel de rendre obligatoire le contrôle par un juge au-delà de quinze jours d'hospitalisation nous a réjouis, car enfin la question de la privation de liberté était prise en compte. Mais comme le gouvernement a voulu conserver au texte son "squelette sécuritaire", rien n'a changé sur le fond. C'est toujours le préfet qui tranchera en dernier recours.


Qu'aurait-il fallu intégrer pour avoir une "vraie" loi sanitaire ?


Depuis la loi de 1990, la société a évolué, ce qui a eu un impact sur les soins psychiatriques. Davantage de patients font appel à la psychiatrie, et ils y viennent d'eux-mêmes. Nous avons donc besoin d'améliorer les structures d'accueil, de créer des appartements thérapeutiques, d'obtenir davantage de place en hôpitaux de jour... Ce besoin n'est pas pris en compte.


Le travail des psychiatres ne consiste pas seulement à prescrire des médicaments, mais aussi à s'intéresser à l'environnement du patient (famille, logement, emploi). C'est donc d'une loi globale dont la psychiatrie a besoin. Or le texte rapporte tout à la dangerosité et se concentre sur les soins sous contrainte, en oubliant que plus d'un million de Français sont suivis chaque année en psychiatrie, dont seulement 70 000 sans consentement.

Propos recueillis par Laetitia Clavreul

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Par Fabian Fajnwaks

Fabian Fajnwaks, membre de l'ECF 

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