blogspot counter

Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

mardi 8 mars 2011

Point de vue

Une éthique de la connaissance appliquée aux auteurs d'agressions sexuels


D
epuis des dizaines d'années, chacun de nous trois œuvre sans relâche pour promouvoir la recherche, les soins et la formation face aux problèmes de santé publique posés par les auteurs de violences sexuelles, que ces violences portent sur des personnes majeures ou mineures. Pourtant, nous assistons de manière répétitive au même cycle : faits tragiques (viols, meurtres), suivis "d'orages médiatiques" où chacun de nous trois répète les mêmes discours comme s'ils n'avaient jamais été entendus ni compris, faits tragiques qui déclenchent la mobilisation temporaire des instances politiques, la rédaction de rapports, la promulgation de lois…

Puis les problèmes retournent dans un apparent oubli, comme refoulés, jusqu'à la prochaine tragédie. Peut-on mettre un terme à ce cycle ? Ou nous faut-il renoncer à ces efforts ingrats ? Il nous a semblé, cependant, que la dernière tragédie, la mort de Laëtitia, redonnait l'occasion d'une véritable réflexion sur ces problèmes. En effet, la solution passe par une réflexion et une connaissance rationnelle et approfondie de ces problèmes.


Or, en France, les recherches biomédicales dans ce domaine sont plus qu'indigentes. Tapez "sexual offenders" dans PubMed, la grande base internationale de données bibliographique médicales. Le résultat est affligeant : sur les 20 premiers articles qui sortent, 13 sont américains, 2 canadiens, 3 australiens, 1 néerlandais, 1 néo-zélandais…, 0 français. Nos propres efforts pour mener une recherche thérapeutique sur les effets des traitements antihormonaux (la mal nommée "castration chimique") ont dû être arrêtés faute d'un nombre suffisant de patients qui nous soient adressés par les professionnels de justice et de santé.


Aujourd'hui, pour nous, la réponse à ce problème dans sa dimension de santé publique, qui comprend autant les victimes que les auteurs, passe par des progrès dans la connaissance de ces phénomènes, pour mieux les traiter, dans le cadre d'une démarche éthique, et passe aussi par une meilleure diffusion de ces connaissances grâce à des actions de formation des professionnels de justice et de santé. C'est ce qu'avait préconisé, par exemple, le rapport Lamanda, premier président de la Cour de cassation, remis au président de la République… il y aura bientôt trois ans, en mai 2008. D'autres rapports lui ont succédé, d'autres pays se confrontent au même problème.


Toutes les analyses concluent à l'importance de deux décisions politiques pour la réussite des actions : une politique de recherche en la matière et une politique de concertation interprofessionnelle. C'est pourquoi nous appelons les autorités politiques à la création d'une plate-forme de recherches, de soins et de formation dans le domaine de la pathologie des auteurs de violence sexuelle. Les recherches à y mener devront être résolument pluridisciplinaires : biomédicales, épidémiologiques, psychologiques, psychiatriques, criminologiques, avec le souci d'y intégrer une réflexion éthique et les apports des sciences humaines et sociales.


DES INSTRUMENTS EXISTENT


Que l'on médite le fait suivant : il existe depuis des années des instruments permettant d'évaluer de manière validée le risque de récidive des agressions sexuelles. Ces instruments ont été validés non seulement en Amérique du Nord, mais dans des pays européens. Pourtant, aucune tentative de validation n'a été effectuée en France. Une telle carence de recherche a un caractère profondément contraire à l'éthique.


Quant aux soins dispensés dans la plate-forme mentionnée, ils devraient être précédés par une évaluation approfondie de la problématique de chaque patient, car il n'existe pas un agresseur sexuel type : chacun d'eux est différent. Ces évaluations devront reposer sur des outils validés sur des populations françaises, ce qui n'a pas été fait jusqu'à présent. A l'instar des centres qui existent au Canada, en Allemagne, aux Etats-Unis et aux Pays-Bas, il faudra donner à cette plate-forme une assise institutionnelle dans l'université, la recherche et l'hôpital. Ce centre devra se doter d'une gouvernance réunissant les représentants des principaux professionnels concernés : professionnels de la santé, la justice, la recherche, la famille. Il devra être à l'écoute des besoins de la société, relayés par le milieu associatif.


Sur le plan socioéconomique, l'efficacité des traitements recommandés par la plate-forme sur la base d'une approche Evidence-Based Medicine, aura un coût bien inférieur aux coûts encourus dans la situation actuelle : qu'on songe que le procès d'Angers a coûté à lui seul plus de dix fois le montant de l'essai thérapeutique Inserm sur les traitements pharmacologiques de la pédophilie (8 millions d'euros, avec la nécessité de construire un bâtiment nouveau pour que s'y tienne le procès).


Les expériences nord-américaines déjà effectives depuis plusieurs années nous enseignent aussi que le coût de la rétention de sûreté prévue par la récente loi est de plusieurs centaines de milliers de dollars par patient et par an, ce qui implique que seule une très petite fraction des agresseurs dangereux peut faire l'objet de cette mesure. La situation actuelle représente un coût énorme pour la nation en raison des frais judiciaires, pénitentiaires, et médicaux (prise en charge des victimes) qu'elle entraîne. Ces frais seraient réduits de manière spectaculaire par la mise en œuvre, dans le cadre d'une plate-forme de recherche, de soins et de formation dans le domaine de la pathologie des agresseurs sexuels, de mesures de dépistage, de soins et de prévention de la réitération des passages à l'acte.


Serge Stoléru est aussi chercheur à l'Inserm (Paris) ;
Sophie Baron-Laforet est aussi directrice du Centre ressource pour intervenants auprès des auteurs de violence sexuelle (Ile-de-France) ;
christian hervé est aussi directeur du Laboratoire d'éthique et de médecine légale, université Paris-Descartes
Serge Stoléru, psychiatre, Sophie Baron-Laforet, psychiatre, et Christian Hervé, professeur de médecine légale et de droit de la santé

Aucun commentaire: