Soins des maladies mentales : faut-il une nouvelle loi ?
Pour des états généraux de la psychiatrie
Par Marie-Agnès Letrouit, ex-directrice de recherche au CNRS, et Paul Cossé, docteur en médecine, tous deux membres de l’association France-Schizophrénie (*).
Dans son exposé des motifs, le projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes handicapées en raison de troubles mentaux affirme vouloir «lever les obstacles à l’accès aux soins et garantir leur continuité sans remettre en question les fondements des dispositifs actuels». Il propose de remplacer la notion d’«hospitalisation» par celle de « soins sans consentement», y compris en dehors de l’hôpital.
L’ignorance du public, la peur des soins en psychiatrie sont un frein. Des pratiques médicales fautives, dont le refus de soigner les patients incapables de se savoir malades et donc de demander des soins, en sont un autre. Enfin une loi spécifique à la psychiatrie qui, loin de favoriser l’accès aux soins comme on aurait pu le croire, comparativement à la loi générale, ne fait que le compliquer, l’empêcher et de toute façon le retarder. Pourtant, l’article L.1111-4 du Code de santé publique précise comment des soins peuvent être donnés à toute personne incapable d’y consentir. Par ailleurs, le maintien d’une loi spécifique conduit à des incohérences. Ainsi, pour une même maladie, Alzheimer par exemple, il y aura déclenchement du processus « psychiatrie » en cas d’hospitalisation en établissement de santé mentale. Au contraire, en service de gérontologie de l’hôpital général, il y aura hospitalisation ordinaire.
En 1838, les asiles d’aliénés étaient des lieux de « placement » des personnes vulnérables. Et dans l’esprit du public s’opère encore le glissement : placement = enfermement = atteinte à la liberté des personnes = atteinte aux droits de l’homme. D’où l’ambition des législateurs de résoudre simultanément deux problèmes : faire accéder aux soins les malades incapables d’y consentir et rendre impossibles les « hospitalisations abusives ». Or, celles-ci sont de purs fantasmes ! Les commissions départementales des hospitalisations psychiatriques (CDHP), dont le rôle est précisément de surveiller leur régularité, en font largement la preuve. Seules des fautes de procédure dans les modalités compliquées d’hospitalisations ont pu être relevées et même utilisées pour saisir la justice et faire condamner l’État sur des défaillances inévitables au regard des méandres juridiques.
Du fait du dispositif actuel propre à l’hospitalisation psychiatrique, nous constatons quantité de suicides, d’accidents, de délits qui auraient pu être évités si on avait cessé de gêner l’accès des malades mentaux aux soins les plus précoces possible recommandés par les congrès de psychiatrie. Est-il admissible d’attendre parfois le trouble à l’ordre public pour que médecins, policiers, pompiers se posent la question d’intervenir et de conduire enfin le patient en pleine crise aux urgences psychiatriques, alors que les soins qui étaient nécessaires étaient demandés depuis longtemps ? La Haute Autorité de santé l’affirme : « Il est recommandé de se référer aux critères cliniques et de recourir à l’hospitalisation sans consentement si son refus d’hospitalisation peut entraîner une détérioration de l’état du patient ou l’empêcher de recevoir un traitement approprié. » Nous sommes en désaccord avec ceux qui demandent que tout soin sans consentement relève de l’autorisation d’un juge judiciaire. Que diable un juge a-t-il à voir avec la nécessité de soins ? Il ne pourrait que demander l’avis d’un psychiatre et cela ralentirait de façon drastique les soins urgents et indispensables à l’hôpital et hors hôpital dont des centaines de milliers de malades ont besoin pour recouvrer une liberté que la maladie leur interdit. Sans compter que la justice n’arrive pas à faire son travail ordinaire.
Nous aurions préféré la suppression de toute loi spécifique et nous proposons, avec d’autres, la tenue d’états généraux de la psychiatrie. Quoi qu’il en soit, s’il doit y avoir une nouvelle loi, elle sera ce que sa mise en pratique en fera. Le risque existe qu’elle ne soit prétexte à enrichir l’arsenal « sécuritaire » du pouvoir. Nous devons nous employer à désamorcer toute tentative contre-productive et dangereuse de cette nature. Le débat aux deux Assemblées devrait y contribuer en conservant les mesures simplifiant l’accès aux soins à et hors l’hôpital et en se focalisant sur son amélioration : rôle des Samu, programmes post-hospitalisations, formation de ceux qui hébergent les malades, programmation annuelle de diminution des malades à la rue, en prison et de ceux qui font la navette avec l’hôpital. Les parlementaires doivent être accompagnés par la mobilisation des professionnels et des usagers.
(*) www.schizo-oui.com ; contactschizo@free.fr
Schizo ?… oui ! Faire face à la schizophrénie, bât. D, 54, rue Vergniaud, 75013 Paris. Tél. : 01 45 89 49 44.
Marie-Agnès Letrouit
Pour des états généraux de la psychiatrie
Par Marie-Agnès Letrouit, ex-directrice de recherche au CNRS, et Paul Cossé, docteur en médecine, tous deux membres de l’association France-Schizophrénie (*).
Dans son exposé des motifs, le projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes handicapées en raison de troubles mentaux affirme vouloir «lever les obstacles à l’accès aux soins et garantir leur continuité sans remettre en question les fondements des dispositifs actuels». Il propose de remplacer la notion d’«hospitalisation» par celle de « soins sans consentement», y compris en dehors de l’hôpital.
L’ignorance du public, la peur des soins en psychiatrie sont un frein. Des pratiques médicales fautives, dont le refus de soigner les patients incapables de se savoir malades et donc de demander des soins, en sont un autre. Enfin une loi spécifique à la psychiatrie qui, loin de favoriser l’accès aux soins comme on aurait pu le croire, comparativement à la loi générale, ne fait que le compliquer, l’empêcher et de toute façon le retarder. Pourtant, l’article L.1111-4 du Code de santé publique précise comment des soins peuvent être donnés à toute personne incapable d’y consentir. Par ailleurs, le maintien d’une loi spécifique conduit à des incohérences. Ainsi, pour une même maladie, Alzheimer par exemple, il y aura déclenchement du processus « psychiatrie » en cas d’hospitalisation en établissement de santé mentale. Au contraire, en service de gérontologie de l’hôpital général, il y aura hospitalisation ordinaire.
En 1838, les asiles d’aliénés étaient des lieux de « placement » des personnes vulnérables. Et dans l’esprit du public s’opère encore le glissement : placement = enfermement = atteinte à la liberté des personnes = atteinte aux droits de l’homme. D’où l’ambition des législateurs de résoudre simultanément deux problèmes : faire accéder aux soins les malades incapables d’y consentir et rendre impossibles les « hospitalisations abusives ». Or, celles-ci sont de purs fantasmes ! Les commissions départementales des hospitalisations psychiatriques (CDHP), dont le rôle est précisément de surveiller leur régularité, en font largement la preuve. Seules des fautes de procédure dans les modalités compliquées d’hospitalisations ont pu être relevées et même utilisées pour saisir la justice et faire condamner l’État sur des défaillances inévitables au regard des méandres juridiques.
Du fait du dispositif actuel propre à l’hospitalisation psychiatrique, nous constatons quantité de suicides, d’accidents, de délits qui auraient pu être évités si on avait cessé de gêner l’accès des malades mentaux aux soins les plus précoces possible recommandés par les congrès de psychiatrie. Est-il admissible d’attendre parfois le trouble à l’ordre public pour que médecins, policiers, pompiers se posent la question d’intervenir et de conduire enfin le patient en pleine crise aux urgences psychiatriques, alors que les soins qui étaient nécessaires étaient demandés depuis longtemps ? La Haute Autorité de santé l’affirme : « Il est recommandé de se référer aux critères cliniques et de recourir à l’hospitalisation sans consentement si son refus d’hospitalisation peut entraîner une détérioration de l’état du patient ou l’empêcher de recevoir un traitement approprié. » Nous sommes en désaccord avec ceux qui demandent que tout soin sans consentement relève de l’autorisation d’un juge judiciaire. Que diable un juge a-t-il à voir avec la nécessité de soins ? Il ne pourrait que demander l’avis d’un psychiatre et cela ralentirait de façon drastique les soins urgents et indispensables à l’hôpital et hors hôpital dont des centaines de milliers de malades ont besoin pour recouvrer une liberté que la maladie leur interdit. Sans compter que la justice n’arrive pas à faire son travail ordinaire.
Nous aurions préféré la suppression de toute loi spécifique et nous proposons, avec d’autres, la tenue d’états généraux de la psychiatrie. Quoi qu’il en soit, s’il doit y avoir une nouvelle loi, elle sera ce que sa mise en pratique en fera. Le risque existe qu’elle ne soit prétexte à enrichir l’arsenal « sécuritaire » du pouvoir. Nous devons nous employer à désamorcer toute tentative contre-productive et dangereuse de cette nature. Le débat aux deux Assemblées devrait y contribuer en conservant les mesures simplifiant l’accès aux soins à et hors l’hôpital et en se focalisant sur son amélioration : rôle des Samu, programmes post-hospitalisations, formation de ceux qui hébergent les malades, programmation annuelle de diminution des malades à la rue, en prison et de ceux qui font la navette avec l’hôpital. Les parlementaires doivent être accompagnés par la mobilisation des professionnels et des usagers.
(*) www.schizo-oui.com ; contactschizo@free.fr
Schizo ?… oui ! Faire face à la schizophrénie, bât. D, 54, rue Vergniaud, 75013 Paris. Tél. : 01 45 89 49 44.
Marie-Agnès Letrouit