SOCIÉTÉ
Article paru
le 11 mars 2010
Quand l’anormal rejoint le criminel
L’ouverture prochaine à Lyon d’une unité réservée aux prisonniers au cœur de l’hôpital psychiatrique du Vinatier a suscité un riche débat autour de la criminalisation de la déviance.
Plus de trois cents personnes se sont pressées, mardi soir, dans la salle des organisations de l’hôpital du Vinatier, à Lyon, pour la « nuit blanche de résistance » à la première unité d’hospitalisation spécialement aménagée (UHSA) et à l’instrumentalisation de la psychiatrie au service de la politique sécuritaire. L’UHSA devrait officiellement améliorer les soins délivrés jusqu’à présent en prison aux détenus malades mentaux. L’administration pénitentiaire y contrôlera les entrées et sorties de prisonniers, le « maintien de l’ordre » et la surveillance. L’équipe médicale, selon le professeur Lamothe, responsable de l’unité, garderait la liberté de choix des patients et se verrait garantie la confidentialité des soins. Une structure hybride, dénonce la CGT, qui mélange des catégories professionnelles de traditions, de fonctions et de statuts différents et parfois contradictoires, et où le pénitentiaire a toutes les chances de prédominer.
L’apparition des UHSA aujourd’hui s’inscrit dans la logique, dénoncée par Michel Foucault, où le criminel et l’anormal se rejoignent comme ennemis de la société. Une logique que le Conseil national de la Résistance et ses héritiers ont tenté de battre en brèche, a expliqué le psychiatre Jean Darraud. « Mais aujourd’hui, tout cet édifice est menacé, ciblé par la politique de la peur et de l’hôpital entreprise, axée sur la liquidation des acquis du CNR… Et ce alors que, de toute façon, enfermer les schizophrènes n’a jamais rassuré les paranoïaques. » Représentant du PCF sur ces questions, Serge Klopp a rappelé les conséquences de « la criminalisation de la déviance ». « Elle fait considérer comme des délits des faits autrefois classés sans suite et octroie aux patients la peine maximum parce qu’ils ont des antécédents psychiatriques et qu’ils récidivent ».
Dans le public, les remarques se sont succédé sur la culpabilisation, la marginalisation des pauvres, la dégradation des soins hospitaliers, le besoin d’agir, d’élargir et d’approfondir le débat. « Parce qu’à travers les patients et la prison, c’est toute la société qui est malmenée aujourd’hui. » À telle enseigne qu’une jeune fille expliquait avoir dû abandonner son travail en soins somatiques parce qu’elle ne supportait pas qu’on la contraigne à se comporter en gardien de prison. Une éthique que n’aurait pas reniée Franz Fanon, qui passa au Vinatier avant de diriger l’hôpital de Blida puis d’abandonner la psychiatrie : cet anticolonialiste pensait ne pouvoir désaliéner que des hommes libres.
Émilie Rive