16/07/2014
La sexualité a longtemps été rangée parmi les besoins dits «naturels», comme si, «naturellement» les êtres humains étaient capables de se reproduire ou de se procurer du plaisir. Il semblerait que ce ne soit pas le cas. Lorsqu’il éprouvait des besoins, Victor, l’enfant sauvage, n’était pas capable d’en localiser la source…
Il existe un présupposé tenace dans notre société : la sexualité ferait partie des instincts «naturels», aussi naturels que déféquer, manger ou boire. Il semblerait que non. Le 17 mai 1934, l’anthropologue Marcel Mauss présente devant la société de Psychologie une communication audacieusement intitulée Les Techniques du corps, dans laquelle il essaye de prouver que notre corps n’effectue pas des mouvements de manière naturelle. On sait déjà, à cette époque que la marche en station debout n’est pas «naturelle» car les enfants sauvages ont les plus grandes difficultés à se déplacer sur leurs deux jambes. Mais Marcel Mauss va plus loin : même si tous les êtres humains possèdent à peu près le même genre de corps, dit-il, l’utilisation de corps dépend de la culture. Elle est le fruit d’une éducation. Parmi les innombrables exemples qu’il donne, le plus souvent cité est celui qui, justement, concerne la marche : c’est une technique (comme celle du fer, de la poterie, donc). Notre corps, nous devons lui donner forme pour pouvoir nous en servir. Aucune attitude corporelle n’est naturelle. «Une sorte de révélation me vint à l’hôpital, dit Marcel Mauss. J’étais malade à New York. Je me demandais où j’avais déjà vu des demoiselles marchant comme mes infirmières.» Elles marchaient en oscillant de façon souple, les bras soulignant rythmiquement chacun de leur pas… Marcel Mauss d’abord s’étonna puis finit par comprendre : elles marchaient comme les actrices de cinéma. Lorsqu’il revint en France, à une époque où Hollywwod envahissait les écrans… il s’aperçut que les jeunes parisiennes ne marchaient plus dans la rue comme il avait l’habitude les voir, c’est-à-dire de façon un peu raide, les bras collés le long du corps suivant les normes «de bonne tenue». Toutes les Françaises se mirent à marcher «à l’américaine», en balançant sportivement leurs bras le long du corps. «La position des bras, celles des mains pendant qu’on marche forment une idiosyncrasie sociale», conclut Marcel Mauss, invitant ses collègues à étendre leur champ d’études aux techniques sexuelles.
«Le corps est le premier instrument de l’homme», dit-il avant de proposer, en guise de méthodologie, quelques principes de classification des techniques du corps : la façon de bouger n’est pas la même selon les sexes. Elle diffère aussi selon les âges, en fonction de normes sociales. Il y a les techniques de sommeil, de repos, de l’activité, de la course, de la nage, du saut, de la consommation (manger, boire) et, enfin, expressions suprêmes de nos talents techniques : celles «de la reproduction (1)» !