Philippe Bernard
A chaque crise, le clivage entre « lutte des races et lutte des classes » n’a cessé d’être réactivé, observe dans sa chronique Philippe Bernard, éditorialiste au « Monde ».
Chronique. C’était le temps où les intellectuels noirs américains s’exilaient à Paris pour fuir la ségrégation raciale, respirer et créer. En 1946, Richard Wright, né dans le Mississippi, auteur de l’inoubliable Black Boy (Gallimard, 1979), s’exilait en France, « le seul pays », affirmait-il, « où il pourra[it] continuer à exprimer ses idées librement » et dont il prit la nationalité l’année suivante.
A cette époque où d’autres écrivains noirs comme Chester Himes et James Baldwin choisissaient également la France, André Siegfried, président de la Fondation nationale des sciences politiques, figure tutélaire de Sciences Po hanté par l’idée de hiérarchie des races, affirmait à ses étudiants (1951) : « Le Noir [est] incapable de raisonner comme nous (…).Socialement, collectivement, la race noire reste au-dessous du moins bon des Blancs. » En plein Quartier latin, à quelques rues de distance, on pouvait fuir le racisme et le professer.