ENQUÊTE Pendant le confinement, de nombreux psychanalystes se sont résolus à mener leurs séances par téléphone ou en visioconférence, sacrifiant à un rituel vieux de plus de cent ans. Pourtant, professionnels et patients ont découvert des vertus à ce changement radical. Et, même si le retour au sein des cabinets est de nouveau la norme, l’expérience aura fait bouger les lignes.
Au départ, c’est juste un cauchemar. Assis sur le banc du jardin familial, Samuel (tous les prénoms des patients ont été modifiés) allume une cigarette en cachette. Il avale profondément la fumée, avec une jouissance extrême. Soudain, il entend quelqu’un dans la cuisine, dont la fenêtre est ouverte. Il guette le bruit avec anxiété, d’un coup, il se hâte, partagé entre la frayeur et l’excitation d’être découvert par sa mère. C’est à ce moment, souvent, qu’il se réveille.
Samuel n’est pas un adolescent – bientôt, il aura 45 ans. Dans son secteur d’activité, il jouit d’une certaine notoriété et de la reconnaissance de sa hiérarchie. Mais il continue de faire ce rêve récurrent : être pris en flagrant délit par maman. Il a fait dix années d’analyse, il s’est arrêté, il a recommencé. Depuis trois ans, il a de nouveau deux rendez-vous hebdomadaires sur le divan.
Ne laisser personne en souffrance
Le 16 mars, avant même l’annonce officielle du confinement, sa psychanalyste, une femme d’un certain âge, lui annonce qu’elle consultera désormais par téléphone. Samuel tombe des nues : « Une analyse par téléphone ! Ma psy, tellement stricte sur le cadre, tellement dans le respect des normes classiques de la cure ! Sur le moment, ça m’a mis en colère qu’elle ait peur de moi, que je représente une menace potentielle, celui qui pouvait apporter le virus dans son cabinet. Ensuite, ça m’a déçu qu’elle ait peur pour elle, comme n’importe qui, alors que j’en avais fait la statue du Commandeur. Et puis j’ai réfléchi. Finalement, ça m’a rassuré qu’elle soit capable de s’adapter, qu’elle ne me lâche pas, qu’elle ne me dise pas : “Au revoir et merci, revenez quand ce sera terminé…” »