Un nouveau mode de gouvernement des hommes se répand
dans toute la société, et d’abord dans la sphère professionnelle : un
management par la rivalité et la peur qui, au nom de la dictature de la
performance et de la concurrence, impose partout les mêmes normes et le même
mode d’assujettissement. Qu’importent la qualité réelle et le sens des
activités, toutes doivent être réductibles à un chiffre parmi d’autres
chiffres. L’évaluation est l’instrument de la mise au pas des individus. En
faisant la loi, l’actionnaire transforme sans cesse le travail ; quand l’État
singe cette gestion, c’est pire encore, car totalement ubuesque et
contre-productif.
Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.
vendredi 24 octobre 2014
A Ste Anne, un discours en trompe l'oeil
21 OCTOBRE 2014 | PAR JEAN-PIERRE MARTIN
L’annonce faite à Ste Anne, d’un nouveau cours de déstigmatisation et de relance du secteur est comme une façade austère qu’on anime par des scènes ou des paysages colorés, tout en masquant l’architecture, l’espace et l’aménagement à l’arrière. C’est le principe du trompe l’œil, qui sous couvert de réhabilitation pérennise un discours de pouvoir dont les effets antérieurs ont été catastrophiques, pour les soignants, les usagers, la société et les protections solidaires. Elle est pourtant celle du discours de la ministre de la santé Marisol Touraine prononcé sur sa politique de santé mentale et de psychiatrie, dans une ébauche d’évolution de l’article 12 du projet de loi santé, dont la date vient opportunément le lendemain du 23 où s’est déroulé un rassemblement très combattif de la coordination des hôpitaux en lutte, dont un grand nombre d’établissements psychiatriques.
Ce discours donne effectivement du grain à moudre à la corporation des psychiatres pour l’inciter à apliquer une politique dénoncée par le reste des personnels le 23. Il a donc été propice à la tentation d’y déceler un contre-discours à celui prononcé par Nicolas Sarkozy à Antony en 2008, dans la réaction du représentant des présidents de CME, et d’au moins de 2 syndicats de psychiatres.
Or, ce discours est concrètement à analyser dans le réel de l’état actuel de la psychiatrie publique, dans la dégradation des dispositifs et des pratiques de soin qui entraîne colère et désespérance de nombre de soignants, mais aussi alimente l’inquiétude ambiante des usagers et de leurs familles et, au-delà, de l’ensemble de la société pour sa protection sociale solidaire. Son appel à un retour généraliste à la politique de secteur interroge : de quel secteur il s’agit-il ? De quelle déstigmatisation ? De quelles gouvernances ? Quelle politique de santé mentale et quelle loi spécifique ? Avec qui et comment construire nos réponses ?
Empowerment et psychiatrie
NOÉMIE ROUSSEAU CORRESPONDANTE À STRASBOURG
REPORTAGE
A l'hôpital psychiatrique de Rouffach, les malades font passer un audit d'embauche aux nouveaux soignants.
Les patients posent les questions, les soignants répondent. «Pourquoi avoir choisi la psychiatrie ? Êtes-vous à l’aise avec les malades ? Qu’est-ce qui vous plaît dans votre travail ?» A chaque fois que l’équipe de professionnels s’agrandit, les malades suivis à l’hôpital psychiatrique de jour de Rouffach (dans la périphérie de Mulhouse) font passer un audit d’embauche à la nouvelle recrue. Ce matin, elles sont quatre, trois infirmières et une neuropsychologue, face à une douzaine de patients schizophrènes. «Il s’agit de donner la possibilité aux patients de reprendre le pouvoir sur leur propre vie, qu’ils aient la force, l’envie de décider par eux-mêmes, de faire», explique de Dr Yann Hodé, psychiatre du service. Il a imaginé cette expérience originale après avoir assisté à une conférence sur l’empowerment, de Marianne Farkas (center of psychiatric rehabilitation, Boston University). Comme elle, il n’aime pas le terme «patient», qui place d’emblée l’individu dans un rapport asymétrique à l’institution mais il en use quand même, faute d’alternative satisfaisante, écartant «client», «bénéficiaire» ou «usager».
Autonomie. Son service, le pavillon 12, suit une cinquantaine de «patients» donc, tous schizophrènes. «La mission d’un hôpital, même de jour, n’est pas de faire de l’accompagnement et du soutien. Ici, on s’est repositionné clairement sur le soin. Nous les entraînons à acquérir des compétences perdues ou qu’ils ont du mal à apprendre. L’objectif est qu’ils puissent avoir une vie stable, sans hospitalisation, qu’ils deviennent autonomes». Ils ne fréquentent jamais plus de deux ans le pavillon 12. L’étape suivante c’est le GEM, groupe d’entraide, une association de patients. Là, les malades s’organisent entre eux, élisent un bureau, décident, élaborent un planning d’activités. Les audits d’embauche de l’hôpital font partie de ce processus d’autonomisation. «On ne peut pas demander aux patients de se prendre en main et en même temps ne leur donner aucun pouvoir», relève le Dr Hodè, qui leur permet ainsi d’accéder à un «pouvoir symbolique» sur les embauches. «Ils ont un avis consultatif, un avis qui ne s’impose pas mais qui a quand même de la valeur, à l’instar de ce qui existe en démocratie, comme le Conseil économique social et environnemental, du Conseil d’Etat», décrit-il.
Le Prix Sakharov au médecin congolais Mukwege qui soigne les femmes violées
Publié le 21-10-2014
Le docteur Denis Mukwege, interviewé lors du magazine Priorité santé de RFI, le 22 novembre 2013.RFI/Didier Bleu
A Strasbourg, le Parlement européen a décerné, ce mardi 21 octobre, le prix Sakharov 2014 pour les droits de l'homme au gynécologue congolais Denis Mukwege, 59 ans, qui soigne dans sa clinique de Bukavu les femmes victimes de viols et de violences sexuelles dans les conflits armés de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Le prix sera remis solennellement le 26 novembre à Strasbourg.
Avec notre envoyé spécial à Strasbourg, Tudor Tepeneag
C’est le médecin congolais, Denis Mukwege, qui a été finalement récompensé. Les chefs des groupes parlementaires se sont mis d’accord et l’ont décidé à l’unanimité. Ils ont souligné que le prix Sakharov pour les droits de l’homme lui est attribué pour le courage et l’abnégation avec laquelle il soigne les femmes victimes de violences sexuelles.
Gynécologie : quel accès aux soins pour les femmes en grande précarité ?
L'accès aux soins des femmes en situation de précarité diminue au fur et à mesure de l'augmentation de la durée de vie dans la rue.
Dolorès Pourette, du laboratoire d'anthropologie sociale de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et le Dr Bernard Guillon, de l'Association pour le Développement de la Santé des Femmes (ADSF) ont présenté les résultats d'une enquête menée à l'aide de questionnaires semi-directifs auprès de 30 femmes âgées de 20 à 60 ans fréquentant les centres d'hébergement du Samu social de Paris.
La diminution de l'estime de soi, la perte des repères et des habitudes de consommation médicale voire lesaddictions sont responsables de ce moindre recours au système de santé, a expliqué le Dr Guillon.
"Le fait de ne pas avoir d'espace intime altère aussi leur estime d'elles-mêmes", d'après Dolorès Pourette.
Depuis quelques années, les centres d'accueil du Samu social proposent des consultations gynécologiques, avec des femmes médecins car "les antécédents de violences sexuelles rendent difficiles les consultations gynécologiques", a indiqué le Dr Guillon.
jeudi 23 octobre 2014
De STOP DSM à POST DSM - Programme
PROGRAMME
SAMEDI 22 NOVEMBRE 2014
13 h 30 – Accueil
14 h – Patrick Landman (I.C.S STOP DSM) : Introduction
14 h 15 – Allen Frances :
« Ethical psychiatry diagnosis » (traduction simultanée)
Psychiatre, chercheur, Professeur Émérite à la Duke University of California (USA). A rédigé le rapport sur « les troubles de la personnalité » du DSM III, a dirigé le DSM IV et a été un témoin privilégié de la rupture entre psychiatrie et psychanalyse aux USA dans les années 70.
Actuellement un des principaux pourfendeurs du DSM 5. Auteur de « Sommes-nous tous des malades mentaux ? » Odile Jacob, 2013
15 h – Discussion : Guy Dana (I.C.S STOP DSM)
15 h 15 – Interventions courtes depuis la salle animées par Jean-François Solal et Dominique Tourrès (I.C.S STOP DSM) :
Jean Chambry
Pédopsychiatre, chef de pôle, Fondation Vallée, Gentilly
Patrice Charbit
Président de l’AFPEP SNPP
Patrick Chemla
Psychiatre, Collectif des 39
Jean Garrabé
Psychiatre honoraire des hôpitaux, membre honoraire de l’Association mondiale de psychiatrie, ayant contribué à l’élaboration de la CFTMEA, de la CIM 10 et à celle de la future CFTMA
Laure Woestelandt, Manuel Rubio, Reda Boukakiou
Internes en psychiatrie
La peur : 15ème colloque Psychanalyse & Médecine, 30-31 janvier 2015, Centre Sèvres, Paris 6ème
L'Appel des Appels
Pour le programme et l'inscription, cliquer ici.
Cette peur qui nous étreint lorsque notre corps dysfonctionne,
comment l’appréhender, en parler, la comprendre, l’apprivoiser ? Comment devient-elle
actrice de notre existence et de celle des autres ? Sans se confondre avec l’angoisse,
la peur agit, interagit dans la vie psychique. Elle marque pour un temps nos comportements
qu’elle modifie ou change. Au coeur des rencontres entre médecine et psychanalyse,
la peur se déclinera sous de multiples aspects au cours de ces journées, les quinzièmes
de notre parcours interdisciplinaire.
UN ENFANT EST ABANDONNE. La pelade au risque de la psychanalyse
Dans ce livre Sandra Meshreky s’intéresse à la pelade, maladie de la peau caractérisée par la chute des cheveux. Elle montre en quoi la psychanalyse peut aider les sujets à dénouer et renouer autrement les fils psychiques inconscients qui ont pu conduire à ce singulier dénuement corporel...
Qui n'a jamais eu peur de perdre un être aimé ? Le sentiment d'abandon est constitutif de la nature humaine. Mais il revêt parfois un caractère extrême qui le fige en véritable angoisse. Or, c'est cette fixion lacanienne que l'auteure entend réinterroger en la narrant dans un conte.
Autour de la maladie psychosomatique de la pelade, elle tisse une trame interprétative où Le Petit Poucet de Perrault, L'Homme aux Loups et Un enfant est battu de Freud viennent éclairer un enfant abandonné.
Autour de la maladie psychosomatique de la pelade, elle tisse une trame interprétative où Le Petit Poucet de Perrault, L'Homme aux Loups et Un enfant est battu de Freud viennent éclairer un enfant abandonné.
Psychanalyse sans domicile fixe Topologie de sans-logis
| par Sandra Meshreky
Exclus de partout, les S.D.F. se tiennent pourtant au coeur de la cité. À l'ère de la surconsommation, ils donnent à voir ou à imaginer un dénuement à la fois insupportable et fascinant. Et si cette détresse réelle ou supposée cachait autre chose? Quelque chose bien moins du côté du besoin que du désir?
À partir d'une expérience de quatre ans au Samu Social de Paris, l'auteur ouvre à un autre regard sur les S.D.F.. Son approche psychanalytique de l'errance sociale invite à redécouvrir l'originalité et l'actualité de la pensée lacanienne. |
Le passage à l’heure d’hiver économise l’énergie... des enfants
24/10/2014
Justifié par les économies d’énergie, le passage à l’heure d’hiver qui interviendra dimanche prochain à 3 heures du matin, pourrait bien avoir pour conséquence d’économiser celle des enfants, selon l’analyse de chercheurs anglais.
Munis d’accéléromètres et dispositifs électroniques portés à la taille, 23 000 enfants âgés de 5 à 16 ans vivant dans neuf pays différents dont l’Angleterre et l’Australie se sont prêtés à l’étude de ces chercheurs de l’Université de Bristol. Leur hypothèse : l’allongement de la durée d’ensoleillement serait associé avec une augmentation de l’activité physique des enfants, laquelle a des conséquences bénéfiques sur la santé mentale et physique ; et inversement. Les auteurs qui publient leur analyse dans l’« International Journal of Behavioural Nutrition an Physical Activity » se sont plus particulièrement intéressés aux variations de comportements qui suivent immédiatement les changements d’heure bisannuels, ce qui a été possible chez 439 enfants.
Fin de vie : qui doit décider en dernier ressort ?
LE MONDE |
Par Laetitia Clavreul
Par Laetitia Clavreul
Qui doit décider de la fin de vie des malades incapables d’exprimer leur volonté et qui n’ont pas laissé une trace écrite de leur désir ou non de continuer à vivre ? Quand se pose la question de l’acharnement thérapeutique, et donc de l’arrêt des traitements, c’est jusque-là le médecin du patient qui a le dernier mot. Le comité consultatif national d’éthique (CCNE), qui présentait jeudi 23 octobre sa synthèse de deux ans de débat public en France en vue d’améliorer la loi, en a profité pour appeler à la réflexion sur le sujet.
C’est l’affaire Vincent Lambert qui oblige, aujourd’hui, à aller au-delà des traditionnelles questions sur la fin de vie, l’euthanasie et le suicide assisté, pour lesquels le CCNE constate qu’il n’y a pas consensus en France, ou encore celle de la sédation en phase terminale (qui permet de dormir jusqu’à ce que la mort advienne), dont la demande est « partagée » par les Français. En 2013, l’histoire de ce jeune homme en état végétatif avait frappé les esprits. Ses parents avaient obtenu du tribunal administratif la reprise de son alimentation et de son hydratation, interrompues sur décision des médecins, avec l’accord de son épouse seulement. Ils ont été consultés par la suite, mais ont aussi contesté la nouvelle décision d’arrêt des traitements. C’est désormais la Cour européenne des droits de l’homme qui va trancher.
Au nom de la foi
LE MONDE CULTURE ET IDEES |
Depuis juillet, la liste des massacres, des viols, des exécutions sommaires, des tortures, des brutalités associées à l’imposition de la charia (mains coupées, flagellations publiques) que commettent les combattants du groupe armé Etat islamique (EI), que ce soit à Tikrit, à Rakka, à Mossoul, ne cesse de s’allonger. Ses partisans tournent et diffusent eux-mêmes les vidéos de leurs exactions : égorgements, crucifixions, têtes plantées sur des grilles, balles dans la tête, charniers.
Sur certains de ces films, on voit de jeunes hommes frapper, humilier et tuer des civils par dizaines, à l’arme blanche ou d’une rafale de mitraillette. Sans hésiter, avec détermination. Ces photos de meurtriers de masse en rappellent d’autres, de terrible mémoire et de tous les temps : celles de la Shoah, celles du génocide des Tutsi au Rwanda, et tant d’images de guerres civiles, de guerres de religion où des tueurs dressés devant des fosses achèvent en souriant une victime désarmée – non coupable, non combattante.
LA « SYMPATHIE » ABROGÉE
Comment des hommes en arrivent-ils à tuer des vieillards, à enlever des enfants, à torturer des gens qui parfois sont d’anciens voisins ? A quoi pensent-ils à cet instant ? Où est passée leur humanité ? Qu’en disent les historiens, les psychosociologues, les théoriciens des idéologies, les philosophes et les anthropologues qui travaillent sur ces questions de la barbarie, du meurtre de masse et du passage à l’acte ?
L’éclipse de la compassion serait la cause première.
« Le bonheur des citoyens est une boussole »
LE MONDE CULTURE ET IDEES | Propos recueillis par Anne Chemin
A l’heure où la France est hantée par le pessimisme, Claudia Senik, professeure à l’université Paris-Sorbonne et à l’Ecole d’économie de Paris, publie un livre passionnant sur une discipline née dans les années 1970 : L’Economie du bonheur (Le Seuil, « La République des idées », 128 p., 11,80 €).
Qu’est-ce que l’économie du bonheur ?
L’économie du bonheur, c’est une économie du ressenti. Elle tente de mesurer, même si c’est une gageure, la manière dont les gens perçoivent leurs expériences et la satisfaction qu’ils retirent de leur participation à la vie économique et sociale. Cette démarche est un peu une hérésie pour l’économie traditionnelle, qui utilise la méthode des « préférences révélées par l’action » : pour elle, ce sont les transactions sur le marché qui nous renseignent sur ce que les gens ont voulu faire et ce qui leur plaît. L’économie du bonheur ne propose pas de délaisser cette méthode classique mais de la compléter en allant glaner des informations supplémentaires qui sont de nature, non plus objective, mais subjective. Elle permet de saisir des choses qui n’ont pas de prix sur le marché mais qui sont importantes pour la vie collective. Dans une démocratie, le bonheur des citoyens est une boussole, un principe constitutionnel, presque un devoir.
Sur quoi se base-t-on pour construire une économie du bonheur ?
Sur de grandes enquêtes qui ajoutent aux questions objectives – le diplôme, l’emploi, la taille du foyer, le logement – des questions subjectives sur la satisfaction et le bien-être ressentis. Les personnes interrogées doivent dire si elles sont heureuses ou satisfaites de leur vie en choisissant une note sur une échelle graduée. Cela permet, par exemple, de mesurer la relation entre le fait d’avoir un emploi et le fait d’être heureux. D’autres questions ont pour but de cerner la vision du monde des personnes interrogées : on leur demande comment elles imaginent leur avenir personnel ou celui de leur pays, si elles ont confiance dans leurs institutions, leur voisinage ou leurs proches.
Le livre des mondes selon Philippe Descola
LE MONDE DES LIVRES | Par Roger-Pol Droit
Décalé. Décentré, si l’on préfère. En tout cas, plus ou moins mal ajusté. Soit en raison de son appartenance à une minorité ethnique, culturelle, religieuse. Soit à cause d’une sorte de décalage intime, de bizarre distance à soi, de quelque « inadéquation tranquille ». Voilà ce qu’il faut, presque toujours, pour devenir philosophe, sociologue, ou anthropologue. Philippe Descola, professeur au Collège de France, successeur de Claude Lévi-Strauss et de Françoise Héritier, devenu aujourd’hui l’anthropologue de langue française le plus lu et commenté dans le monde, commence ce livre d’entretiens – d’une haute tenue et d’une vive clarté – par cette remarque pour évoquer sa vocation personnelle. Bien qu’éduqué dans un milieu bourgeois, parfaitement intégré, nourri de savoirs classiques comme de courses en montagne, il n’a jamais éprouvé l’évidence d’une légitimité qui écarte les interrogations. Au contraire, il semble avoir ressenti très tôt cet étonnement devant conventions et habitudes qui signe la tournure d’esprit philosophique.
Normale-Sup Saint-Cloud et ses études de philosophie le destinaient à l’enseignement, mais il rencontre Maurice Godelier, préfère l’Amazonie, partage la vie des Indiens jivaro achuar avec son épouse, Anne-Christine Taylor, rédige sa thèse d’anthropologie sous la direction de Lévi-Strauss, passe du CNRS à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, entre en 2000 au Collège de France et publie en 2005 son maître-livre, Par-delà nature et culture (Gallimard). Il y montre principalement combien la conception que nous nous faisons de la nature – objective, inerte, utilisable – est une construction culturelle, non une donnée de fait. D’autres cultures ont construit autrement le monde, voyant notamment choses ou animaux comme des êtres parlants et pensants. Ou comme membres fondateurs et incubateurs d’un peuple. Ou comme élément d’un jeu subtil d’analogies entre vivants et non vivants.
QUESTIONS VIVES
La mise en lumière de ces quatre ontologies fondatrices – animisme, totémisme, analogisme, naturalisme – constitue le grand apport de Philippe Descola : il les explique, dans ces entretiens avec Philippe Charbonnier, en des termes accessibles à tous. Toutefois, on aurait tort de croire que cet ouvrage est seulement le énième livre-magnétophone, où un savant d’envergure expose son parcours et ses travaux à l’usage des profanes. Car Descola aborde, chemin faisant, des questions vives de notre époque – culturelles, écologiques, politiques – avec autant de magistrale netteté que de force et de prudence.
Les Français veulent-ils devenir des hommes augmentés ?
25/10/2014
La semaine dernière, le monde a frissonné en apprenant qu’Apple et Facebook se proposaient de prendre en charge à hauteur de 20 000 euros les frais liés au prélèvement et à la conservation de leurs ovocytes par des salariées repoussant leur rêve de maternité (sans cependant y renoncer) pour des raisons de carrière. Cette « solution » préconisée par les deux géants de la Silicon Valley pour remédier aux difficultés des femmes pour concilier maternité et vie professionnelle a fait couler beaucoup d’encre, jusque dans nos colonnes. Nous citions notamment les réflexions inspirées par cette initiative d’Apple et Facebook à Laurent Alexandre, ancien élève d’HEC, de Science Po et de l’ENA mais également chirurgien et fondateur de Doctissimo, spécialiste français du « transhumanisme ». « Je pense que nous assistons à l’entrée en force de l’idéologie transhumaniste dans nos sociétés » remarquait-il.
Repousser toutes les limites… jusqu’à celle de la mort
Le transhumanisme, courant de pensée qui n’est pas aussi largement médiatisé en France qu’aux Etats-Unis, est né dès les années quatre-vingt Outre Atlantique. Il repose, schématiquement, sur l’idée que les nouvelles technologies (regroupées sous l’acronyme NBIC pour nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) peuvent (voire même doivent) être employées pour améliorer les capacités physiques et intellectuelles de l’homme, afin de modifier profondément sa condition… jusqu’à éventuellement repousser les limites de la mort. Si beaucoup relèvent que toute la civilisation humaine, de l’éducation aux lunettes de vue, en passant par les cannes et les prothèses, pourrait relever du « transhumanisme », les technologies NBIC font sans doute entrer cette quête d’amélioration dans une nouvelle dimension où la perception même de l’être humain est appelée à se modifier. Certains encore y voient une nouvelle forme de l’éternelle querelle entre les modernes et les anciens ; les « transhumanistes » se faisant les chantres exaltés du progrès, quand les seconds le pourfendraient. Mais le débat pour de nombreux observateurs ne se limite pas à des batailles simplistes et le courant transhumaniste, qu’on adhère ou non à l’idée de voir naître demain un homme augmenté, est à l’origine de profondes réflexions éthiques et philosophiques, qui concernent tout autant le libre arbitre, l’humanité que la notion de vie privée.
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