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samedi 18 avril 2020

Ignis sacer, le feu pestilentiel

Publié le 18/04/2020




« Si l’on accorde, dans la pathologie médiévale, une juste importance aux grandes épidémies de peste, aux ravages des cruelles famines, aux mutilations de la lèpre et même aux prétendues ‘‘terreurs de l’an mille’’, on oublie trop vite l’un des fléaux les plus redoutés au Moyen Âge : la peste de feu, ou mal des ardents, ou feu de saint-Antoine » (Paul F. Girard)

Durant ce confinement « long comme un jour sans pain », songeons aux malades du Moyen Âge frappés par la terrible « peste de feu », due à l’ingestion de pain empoisonné : confinés dans une cathédrale, ils prient avec ferveur pour leur salut. Écartons le brouillard tourmenté de l’Histoire, pour évoquer l’une des épidémies les plus effroyables de tous les temps : ignis sacer, le feu pestilentiel...

Le dragon de Satan

En 945, Flodoart de Reims donne le premier tableau de cette « étrange et redoutable maladie » d’apparence épidémique. Fléau essentiellement médiéval inspirant une abondante iconographie, le mal des ardents sévit depuis l’Antiquité (où plusieurs textes latins semblent l’avoir décrit) jusqu’au XVIIIème siècle, avec une ultime flambée épidémique en 1951 à Pont-Saint Esprit[1] (Gard). Il frappe des pays consommateurs de pain, comme le monde gréco-romain antique (avec la « peste » d’Athènes de 430 avant J.C) et la France médiévale où une trentaine de foyers épidémiques sont recensés du Xème au XIVème siècle. Mais contrairement à d’autres maladies épidémiques réellement contagieuses comme la variole, l’Extrême-Orient (où le riz occupe la place du blé dans l’alimentation) semble épargné. Rares sont les affections avec autant de dénominations : mal des ardents, feu sacré (ignis sacer), feu de saint-Antoine, raphanie, peste de feu (ignis plaga), feu invisible, ardeur pestilentielle, arsura (du latin ardere, à l’origine des mots français ardeur, ardent et arsin : bois endommagé par le feu), feu caché, feu perse, mal injuste (comme s’il existait une maladie justifiée !), feu divin, feu sous-cutané, feu infernal, feu de Géhenne (du nom d’un ravin proche de Jérusalem, lieu de sacrifices d’enfants, puis décharge publique pour l’incinération d’immondices : Géhenne finit par désigner une situation intenable, infernale), mal sylvestre (se propageant tel un incendie de forêt, avec les membres nécrosés du patient se détachant de son corps, comme le bois mort d’un arbre : voir arsura et arsin). Problème de société au Moyen Âge, le mal des ardents interpelle médecins, prêtres, dirigeants, chroniqueurs, alchimistes. Il reçoit son nom explicite au XIXème siècle : ergotisme gangréneux, ou empoisonnement par le seigle atteint d’une affection cryptogamique, l’ergot. L’ergotisme est donc une maladie au second degré, une pathologie (humaine) consécutive à une autre pathologie (végétale). Mais les praticiens médiévaux ignorent l’existence des alcaloïdes de l’ergot, même s’ils soupçonnent le rôle du « pain de disette », fait d’une farine avariée ou d’un méteil (mélange de seigle et de blé) de mauvaise qualité. Relatant l’épidémie frappant Blois en l’an de disgrâce 1039, le chroniqueur Raoul Glaber écrit : « Cette ardeur mortifère touche les grands comme les médiocres : Dieu les laisse amputés pour servir d’exemples à l’avenir, tandis que presque toute la terre souffre d’une disette due à la rareté du pain. » Les tableaux cliniques de l’ergotisme ont le feu pour dénominateur commun : comme sur des charbons ardents, le patient est en proie à des douleurs et brûlures intolérables (qualifiées aujourd’hui de causalgies) prédominant aux extrémités des membres. Malgré cette chaleur étrange justifiant le terme « ardent », car le malade semble « s’embraser sous les flammes du Malin », ses extrémités sont « froides comme glace » et une nécrose du membre atteint succède souvent à cette acrocyanose. Moine de Cluny, Raoul Glaber écrit en l’année de Dieu 994 : « Un feu occulte consume et détache le membre du corps ; en une nuit, les malades sont dévorés par cette affreuse combustion. Dans le souvenir de nos saints, on trouve l’apaisement du mal. » Quel rapport entre l’ergotisme et la vie de saint-Antoine ? Car il devient éponyme de cette maladie. Ce rapprochement semble opéré à la fin du XIème siècle par Gaston, Seigneur de la Valloire, dont le fils survit miraculeusement aux atteintes du redoutable fléau. Guérison attribuée à l’effet thaumaturgique des reliques du saint qu’on vient de déposer dans l’église de la Motte-sous-Bois, rebaptisée plus tard Saint-Antoine-en-Dauphiné. Pour remercier le saint, Gaston de la Valloire s’adonne à l’assistance des déshérités, à une époque où la médecine se résume presque à la charité. Il fonde l’ordre des Antonins dont PF Girard[2] rappelle qu’il comptera au XVème siècle près de 400 hôpitaux répartis dans l’Ancien Monde, et jusqu’à dix mille religieux. Les Antonins adoptent la croix en Tau, évoquant « la béquille des malades estropiés par le feu de saint-Antoine. » Parmi les souvenirs toponymiques de cet ordre médico-caritatif, il reste l’Hôpital et le Faubourg Saint-Antoine à Paris, la Commanderie des Antonins et le Quai Saint-Antoine à Lyon, la Préceptorerie des Antonins à Issenheim (la ville du célèbre retable de Grünewald dont un tableau évoque le « miracle du pain » partagé entre les deux ermites Antoine et Paul). Pour les historiens de la médecine, la relation entre l’ergotisme et la vie d’Antoine n’est pas fortuite : il existe un parallèle entre la symptomatologie de l’ergotisme et des caractéristiques de la vie d’Antoine, l’anachorète. Retiré du monde, Antoine ne connut sûrement ni l’infarctus du myocarde ni l’ulcère gastro-duodénal. Mais de quels maux souffrit-il ? Mort à l’âge (fort canonique pour le IVème siècle) de 104 ans, saint-Antoine fit beaucoup d’envieux, on l’invoquait pour devenir centenaire. Sauf à tout expliquer par des interventions divines ou diaboliques, il faut subodorer quelque pathologie dans la vie d’Antoine, narrée par son biographe Athanase, sous le titre Vie et conduite de notre père Antoine, écrites et envoyées à des moines étrangers. Saint-Antoine est célèbre pour résister aux tentations du Malin. Cité par Girard[2], ce texte d’Athanase évoque des hallucinations auditives et visuelles (notamment des zoopsies), avec ces velléités d’intrusion du démon : « Antoine vit les murs s’entrouvrir, et une foule de démons firent irruption, ayant revêtu l’apparence de bêtes sauvages et de reptiles. Le lieu fut rempli de spectres de lions, ours, léopards, taureaux, serpents, scorpions, loups... Ces apparitions farouches faisaient un bruit affreux et montraient leur férocité. » Or, fait capital, les hallucinations font aussi partie de la sémiologie de l’intoxication ergotée, comme du tableau psychiatrique lié au « voyage » suscité par la mouture moderne de l’ergotisme : son dérivé de synthèse tristement célèbre, « l’acide » ou LSD. Dans l’épidémie de feu sacré frappant les Flandres en 1088, la chronique décrit l’apparition d’un « dragon satanique, dragon de feu vomissant des flammes par la bouche, envoyé par le Malin pour tenter les bons Chrétiens ». Durant la dernière épidémie d’ergotisme, à Pont-Saint-Esprit en 1951 (nom prédestiné pour un mal rattaché à la religion !), ces thèmes démoniaques n’ont plus cours : les patients voient une « boule de feu » attribuée parfois à un OVNI, et les médecins diagnostiquent causalgies et troubles ischémiques des extrémités : à chaque siècle sa vérité...

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« L’humanité a toujours vécu avec les virus »

CNRS Le Journal

par Louise Mussat 17.04.2020

 Bianchetti Collection/ Bridgeman Images
De la peste noire au Covid-19 en passant par la grippe espagnole ou Ebola, nos sociétés ont souvent été traversées par des crises sanitaires, comme nous le rappelle l’historienne Anne Rasmussen dans cet entretien.
La crise sanitaire actuelle liée à la pandémie de Covid-19 sera pour longtemps gravée dans notre mémoire collective. Quelle est la dernière pandémie à avoir ainsi marqué l’histoire ?
Anne Rasmussen1 : Sans aucun doute la grippe dite « espagnole ». À une première vague, apparue au printemps 1918, succéda une seconde, beaucoup plus meurtrière, à l’automne suivant. La situation de guerre mondiale, avec ses déplacements incessants de troupes, de prisonniers, de réfugiés, facilita dans les pays belligérants la propagation d’un virus respiratoire déjà très contagieux. Les épidémiologistes soupçonnaient que, comme aujourd’hui avec le coronavirus, des « porteurs sains » – une notion alors toute nouvelle – contribuaient à disséminer le virus. Dans certains villages en effet, la grippe faisait mystérieusement son apparition, sans que l’on puisse établir une connexion entre la survenue d’un nouveau cas et l’arrivée d’un malade. Bref, le cocktail était explosif.
 
On pense aujourd’hui, grâce au travail des historiens, que le bilan (de la grippe espagnole, Ndlr) s’établit plutôt autour de 50 millions de morts, estimation basse. (...) C’était la première pandémie à une échelle aussi globale.

Les premiers bilans qui furent consacrés par les bactériologistes à l’épisode grippal, dans les années 1920, estimaient qu’il avait fait plus de 20 millions de morts. Mais c’était en sous-estimant le tribut en victimes payé notamment par l’Asie que l’on avait du mal à évaluer faute de données d’état civil. On pense aujourd’hui, grâce au travail des historiens, que le bilan s’établit plutôt autour de 50 millions de morts, estimation basse. Cette épidémie était inédite, non seulement pour son terrible bilan, mais aussi parce qu’elle avait balayé toutes les régions du monde sans exception. C’était la première pandémie à une échelle aussi globale.
De jeunes soldats souffrant de pneumonie, infection liée à la grippe espagnole de 1918, dans un camp militaire américain à Aix-les-Bains (Savoie). L’Europe est alors encore en guerre, il y a des offensives et des contre-offensives, et le déplacement des troupes prime…
Aujourd’hui, la mondialisation est pointée du doigt. Était-ce déjà le cas à l’époque de la grippe espagnole ou d’autres épidémies ?
A. R. : Oui, dans une certaine mesure. En fait, cela commence dès l’épidémie de grippe précédant la grippe espagnole, celle de 1889-1890. En pleine révolution industrielle, alors que le trafic entre les peuples s’accroît considérablement, on dit que « la grippe prend le train ». Les épidémiologistes la voient se propager en Europe depuis la Russie. On fait déjà le constat que le monde est beaucoup plus interdépendant qu’avant, que ce qui survient en Ouzbékistan, par exemple, peut avoir un impact sur un village en France. Avant 1889, l’Europe avait déjà été confrontée à des maladies qui sortent de leur bassin habituel. Après la peste médiévale, c’était le cas de la fièvre jaune en 1822, du choléra, en 1832, mais il y a eu un tournant avec la révolution des transports : les populations se déplaçant plus vite, l’épidémie circule bien plus largement.
 
Quelles ont été les différentes stratégies déployées pour tenter de contenir ces épidémies ? Le confinement était-il de mise ?
A. R. : Pour la grippe espagnole, les mesures de quarantaine (plus que le confinement stricto sensu), adoptées en Australie ou, localement, dans des villes américaines, ont été peu pratiquées en Europe. On avait la conviction, en France du moins, que, vu qu’il s’agissait d’un agent pathogène respiratoire, il ne servait à rien de le contenir car il était « déjà là ». Et puis, en Europe, en 1918, on est encore en guerre ! Il y a la grande offensive allemande au printemps et des contre-offensives à partir de l’été. Il n’est pas question d’arrêter les opérations militaires et le déplacement des troupes prime. D’ailleurs, durant le conflit, les informations militaires sur la grippe étaient censurées, aussi bien en France qu’en Allemagne. On ne voulait pas risquer de démoraliser, et donc de démobiliser les soldats, ni de renseigner l’ennemi.
 
À l’époque du choléra de 1832, on déployait des cordons sanitaires (tenus par des militaires autorisés à tirer sur les contrevenants) pour empêcher la progression de la maladie sur le territoire, et les gens se calfeutraient d’eux-mêmes chez eux.

vendredi 17 avril 2020

Confinement : ceux qui souffrent de maladies mentales vont-ils tenir ?

Par Eric Favereau — 
Depuis une semaine, le recours aux urgences psychiatriques est devenu plus fréquent qu'au début du confinement.
Depuis une semaine, le recours aux urgences psychiatriques est devenu plus fréquent qu'au début du confinement. Photo Prakasit Khuansuwan. Getty Images


Si le premier mois de confinement semble s’être à peu près bien passé pour leurs malades, les psychiatres commencent à noter des signaux qui les alarment.

«Ils sont trop seuls, et cela peut être très lourd», lâche ce psychiatre, à l’unisson de bien d’autres. Ainsi, la vie confinée de ce jeune psychotique, dans un petit studio dans le nord de Paris. Avec quelques soutiens réguliers et avec ses rendez-vous réguliers à l’hôpital de jour qui ponctuaient sa semaine, il arrivait à tenir. Depuis un mois, ce dernier est fermé, il n’a plus de consultations, ou alors par téléphone. Et, depuis une semaine, son psychiatre n’arrive plus à le joindre. L’inquiétude est là, palpable. Et grandit autour de la situation des personnes, souffrant de maladies mentales, en particulier quand elles sont chez elles, cloîtrées, isolées, à l’écart, encore plus confinées aujourd’hui qu’hier. Comment vont-elles tenir et passer ce deuxième mois qui les attend ?

MA FATIGUE « COVIDIENNE »

Anna, infirmière, est épuisé par ses journées de travail au CMP, marquées par les contraintes liées au confinement. Mais il s’agit d’une « bonne fatigue », celle liée au devoir accompli, « le prix d’une journée d’efforts et de luttes. Non pas le prix qu’on paie, mais celui qu’on reçoit ». Une fatigue toute « covidienne »...

Je suis crevée… Non d’avoir pris un vilain clou dans le pneu de mon bolide, mais parce que depuis quatre semaines, je rentre du CMP éreintée. J’ai presque honte de le dire quand je pense aux collègues qui travaillent en réanimation et assurent les soins de patients touchés par le Covid-19, engoncés dans des tenues de cosmonautes. Dans ma pratique actuelle, pas de mise en décubitus ventral de patient intubés-ventilés en surpoids, fragiles et en grande détresse respiratoire. Il n’empêche, je suis vidée.

Le Lancet Journal a publié le 26 février 2020 une étude sur les effets psychologiques du confinement (1). Il en ressort que l’impact psychologique est vaste et que la privation de liberté qui en découle n’est pas anodine. L’information éclairée et la possibilité de se projeter vers une fin de confinement apparaissent comme une aide. Reste que le Président de la République a annoncé ce lundi une fin de confinement pour le 11 mai seulement si les conditions sont favorables (on croise les doigts...). Par ailleurs, l’étude du Lancet évoque aussi un impact sur le système de soins. Rien de spécifique toutefois concernant les personnes touchées par la maladie mentale. Côté soignants, travailler dans des CMP remaniés « façon Covid » mobilise pourtant une énergie importante nécessaire à la permanence des soins.

La bonne et la mauvaise fatigue

Eric Fiat dans son ode à la fatigue nous expliquait, bien avant le confinement, qu’une fatigue lancinante gangrénait le monde hospitalier (2). Pas de l’ordre de la « pleurnicherie hospitalière permanente » comme l’a évoqué récemment un journaliste maladroit. Le philosophe distingue la bonne et la mauvaise fatigue. D’un côté, la mauvaise fatigue touche le travailleur las qui a perdu le sens de son métier et risque le burn out. De l’autre, la bonne fatigue caractérise celui qui a le sens du devoir accompli, le sportif harassé mais vainqueur ou encore les amants ivres de fatigue après une nuit d’amour.



MAIS POURQUOI IL A UN MASQUE LUI ?

Raphaël, un jeune patient schizophrène, très angoissé et hospitalisé sous contrainte, s'agite. Il croit que Christophe, son infirmier "masqué" pour cause d'épidémie et qu'il ne reconnait donc pas, veut le tuer. La situation dérape. Germaine, une infirmière expérimentée, prend le risque de retirer son masque et parvient à apaiser le jeune homme. Elle explique pourquoi elle a dérogé aux mesures de protection pendant quelques minutes.

Mon nez me démange, l'élastique de ce fichu masque chirurgical cisaille lentement l'arrière de mes oreilles meurtries et je ne respire très mal. La journée est encore longue et bientôt, assurément, je vais m'évanouir. En attendant l’inévitable chute, je sors urgemment fumer une cigarette dans le jardin du service, honteux prétexte pour retirer cet instrument de torture étouffant. Car ce n'est pas tant de nicotine dont j'ai besoin, mais plutôt d'oxygène. J’étouffe, et avant de tomber en syncope, je tombe le masque.

De l'extérieur, j’entends au loin le brouhaha de quelques patients regroupés en salle de télévision. Depuis des semaines, les images de la pandémie tournent en boucle sur le petit écran. On y voit des services de réanimation saturés, des joggeurs improvisés, des magasins fermés, des applaudissements à 20h pour les soignants, des hôpitaux qui souffrent, des morts par milliers. On y entend aussi les rappels incessants des mesures barrières nécessaires pour freiner la progression du virus.

Actuellement, dans notre service de psychiatrie, l'atmosphère est étrange. La vie tourne au ralenti, comme dans un film catastrophe après le tsunami. Les rescapés, hagards, vont sans but dans les rues dévastées, marchent un temps puis s'assoient sur un banc épargné. Chacun se croise sans un mot, les regards sont appuyés, emplis de compassion, de crainte et d'interrogations. "Que s'est-il passé? Comment vont mes proches? Et que vais-je devenir si une deuxième vague de Covid-19 ne m'emporte pas avant?"

Il veut me tuer ?

Quand un cri retentit. Je bondis en rajustant le masque sur mon nez. Tant pis pour l'oxygène, l'urgence est ailleurs. Devant la télévision, deux patients enlacent presque tendrement un troisième. Ils rassurent Raphaël. Les angoisses de ce jeune patient schizophrène hospitalisé sous contrainte sont majeures. Il est pris de panique pour je ne sais quelle raison et s'agite fortement en me voyant entrer dans la pièce.
"Mais pourquoi il a un masque lui ? Qu'est-ce qu'il y a derrière ? Il veut me tuer ?"

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DROITS DES PATIENTS EN PSYCHIATRIE ET COVID-19

Le Groupe ressource PSY/COVID-19 de la Conférence nationale des présidents de CME/CHS précise dans ce communiqué comment concilier le respect des droits et libertés individuelles des patients avec les impératifs de santé publique relatifs notamment aux règles de confinement. Il souligne qu’aucune mesure de contrainte n'est autorisée au-delà des textes législatifs existants et qu'il faut distinguer le confinement mis en oeuvre pour limiter le risque de propagation de l’infection, comme en MCO, et l’isolement utilisé en psychiatrie dans la prise en charge de la maladie mentale.

Dans le contexte de la situation épidémique du COVID 19, le confinement de la population a été décrété en France le 16 mars 2020. Comme l'ensemble du monde hospitalier, la psychiatrie publique s'est engagée en un bref délai dans une profonde réorganisation de ses dispositifs de soin et de prévention.

Dans le souci constant de la sécurité sanitaire des patients et des professionnels, il s'agit en la circonstance de concilier le respect des droits et libertés individuelles avec les impératifs de santé publique relatifs notamment aux règles de confinement. Cette exigence se fait sur la base des textes législatifs et réglementaires du ministère de la santé, notamment des recommandations de la DGOS, et de la Haute Autorité de Santé.

Les spécificités de la pathologie psychiatrique doivent être prises en compte. Elles rendent particulièrement difficiles les modalités du confinement et sont susceptibles d’être à l’origine de décompensations graves. Pendant la période de confinement tout doit être fait pour informer les patients de façon prudente et adaptée sur leur pathologie en prenant en compte leurs craintes vis-à-vis de l’épidémie en cours.


Quid des patients souffrant de pathologies psychiatriques confinés à domicile ?

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Quid des patients souffrant de pathologies psychiatriques confinés à domicile ?
La HAS formule des préconisations pour la prise en charge des patients souffrant de pathologies psychiatriques confinés à leur domicile.
Dans le contexte actuel de crise sanitaire, la Haute autorité de santé (HAS) insiste sur la grande vulnérabilité des personnes souffrant de troubles psychiatriques. En effet, celles-ci ont souvent des comorbidités somatiques accroissant le risque de développer des formes graves du virus. En outre, ces personnes sont souvent en situation d’isolement social, présentent des risques de rupture de soins et peuvent avoir des difficultés à respecter les consignes de confinement et à effectuer les gestes barrières. « Le contexte anxiogène et le confinement en lui-même peuvent être une source de fragilisation de l’état psychique de la personne », ajoute la HAS.
À la demande du gouvernement, la Haute autorité de santé a donc rédigé une fiche proposant des « réponses rapides dans le cadre du Covid-19 ». Validé par le Collège de la HAS le 1er avril 2020, ce document a été élaboré collégialement avec les référents des conseils nationaux professionnels (CNP) et des sociétés savantes, mais aussi des associations de malades (FNAPSY, UNAFAM). Voici leurs sept « réponses rapides » :
  • Réponse rapide n° 1 : Maintenir et renforcer l’offre de soins ambulatoires en privilégiant le recours aux prises en charge à distance (vidéotransmission, à défaut par téléphone), tout en maintenant la possibilité de consultations en structures de prise en charge ambulatoire ou en cabinet libéral, de visites à domicile et d’activités individuelles.
  • Réponse rapide n° 2 : Rester vigilant quant au suivi somatique (en incluant l’évaluation régulière d’éventuels symptômes Covid-19) et au contexte social et familial du patient.
  • Réponse rapide n° 3 : Sensibiliser le patient et son entourage à la nécessité du maintien d’une hygiène de vie pendant le confinement, lui rappeler les règles de confinement et l’aider à les respecter.

Tristan Garcia : “Au lieu de nous unir, l’épidémie accentue ce qui nous différencie”

© Philippe LOPEZ/AFP
Le 3 avril, à Paris, un DJ joue pour ses voisins en train d’applaudir le personnel soignant à 20 heures. © Philippe LOPEZ/AFP

Alors que le discours politique insiste sur l’unité nationale à l’heure du confinement et de la lutte contre l’épidémie, le philosophe Tristan Garcia estime au contraire que la situation actuelle creuse les clivages économiques et identitaires.

TRISTAN GARCIA

Romancier et philosophe, maître de conférences à l’université Jean-Moulin-Lyon-3, il s’est imposé comme une figure du renouveau de la métaphysique en France avec sa somme Forme et objet. Un traité des choses (“MétaphysiqueS”, PUF, 2011 ; réédité cette année dans la collection “Quadrige”). Dans Nous (Grasset, 2016 ; Le Livre de poche, 2018), il aborde la politique sous l’angle de l’appartenance individuelle et collective à des “nous plus ou moins étendus et intenses. Dernier ouvrage paru : Ce qui commence et ce qui finit. Kaléidoscope II, (Léo Scheer, 2020).

En cette période d’épidémie et de confinement, le thème de l’union nationale est souvent brandi par les autorités. Pensez-vous que cette expérience nous rassemble ou qu’au contraire elle nous divise ? 

“La grande passion de l’époque n’est pas du côté de l’universel, elle est du côté du particulier”

Tristan Garcia

Tristan Garcia : Beaucoup ont d’abord affirmé que la situation allait « tous nous rassembler ». On sent bien que c’est l’inverse qui se produit. Dès la deuxième semaine de confinement, l’idée d’une expérience commune à tous a commencé à s’effriter : elle ne tenait sans doute que parce qu’au début, seuls les plus privilégiés s’exprimaient. Très vite, on a vu qu’en réalité l’épidémie, au lieu de nous unir, accentue et révèle ce qui nous différencie. Cela vient confirmer une tendance de fond, à l’œuvre depuis le début du XXIe siècle : les grands discours d’union ou d’unité – les discours qui mobilisent un « nous » très large, qui disent en substance « nous sommes tous dans le même bateau » – tiennent mal, et de moins en moins longtemps. Souvenons-nous du slogan « Je suis Charlie » : il n’a pas duré longtemps. Il a vite servi, aussi, à rechercher qui ne l’était pas. La grande passion de l’époque n’est pas du côté de l’universel ; elle est du côté du particulier. La quête idéalisée de l’universel valait pour le XXe siècle ; désormais, l’attention se porte beaucoup plus rapidement sur les fractures économiques, sociales, identitaires.

« Jamais on n’avait vu un tel engagement » : le confinement provoque un élan de solidarité

Par Jessica Gourdon Publié le 17 avril 2020

RÉCIT Hausse des bénévoles dans les associations, mobilisation individuelle ou collective pour aider un voisin à faire ses courses ou fabriquer des masques de protection : cette crise, comme d’autres avant elle, a suscité une « insurrection de la bonté ». 

Il est pile 18 heures lorsqu’une mosaïque de visages inconnus surgit sur l’écran de l’ordinateur. Sur l’application de visioconférence Zoom, on entrevoit des bouts de canapés, un cadre de lit, des bibliothèques. Marie est chez ses parents à Volvic (Puy-de-Dôme), Justine dans le 10e arrondissement de Paris, d’autres sont à Rennes, Nantes, Marseille… « Merci d’être là ! », s’exclame Lauren Miller, 27 ans, animatrice de cette réunion de 50 futurs bénévoles organisée par l’association Makesense.

« En attendant que tout le monde se connecte, qui veut partager une recette de cuisine ? », tente Lauren. Passées les pommes au four, Virginie, l’une des participantes, active son micro : « Pour moi, être dans l’action, c’est un moteur pour supporter le confinement. Mais je ne me voyais pas me lancer seule ». La majorité du bataillon a entre 20 et 40 ans, beaucoup n’ont jamais été bénévoles avant le confinement. Maksesense s’adresse particulièrement à eux, et se présente comme une rampe de lancement vers l’engagement, version start-up. « Si vous êtes ici, c’est que vous voulez aider. Même à votre échelle, même si vous n’aidez qu’une seule personne, vous pouvez avoir un impact », débite Lauren.

«On n’imaginait pas qu’il y aurait une telle malveillance entre voisins»

Par Juliette Deborde — 
Le jardin interdit, vu de la fenêtre de Lily.
Le jardin interdit, vu de la fenêtre de Lily. Photo DR.


Chaque jour, «Libé» donne la parole à des confinés de tout poil pour raconter leur vie à l’intérieur. Chacun envoie une photo prise «de dedans». Aujourd'hui, Lily, confinée dans une résidence avec un grand jardin… auquel personne n'a le droit d'accéder.

Lily, 33 ans, est confinée dans son appartement parisien avec son compagnon et sa fille d’un an et demi. Impossible de prendre l’air dans le grand jardin de leur immeuble, en raison d’une guéguerre de voisinage.
«J’habite dans un immeuble du début des années 70, avec un jardin paysager, de la taille de deux terrains de foot. Le règlement de copropriété, qui date de la même époque, nous interdit d’y accéder. Au début du confinement, le président du conseil syndical a convoqué une réunion avec quelques familles, pour mettre en place un système, très contrôlé, d’accès au jardin. On s’est retrouvé dans le parking du 3e sous-sol, en cercle, à deux mètres de distance les uns des autres. C’était un peu crossover entre Eyes Wide Shut, la réunion des francs-maçons et une balle aux prisonniers ! Le projet, c’était d’ouvrir le jardin deux fois une heure dans la journée, par créneau d’un quart d’heure – pour ne pas déranger les résidents dont l’appartement donne sur le jardin. On se disait que si ça marchait bien, on pourrait ensuite ouvrir l’accès à tout le monde.
«On a mis en place des affichages et un e-mail pour s’inscrire. On s’est donc retrouvés dans le jardin, avec mon mec et notre fille. Un voisin du rez-de-chaussée a débarqué et a commencé à hurler, nous disant que c’était interdit. On a essayé d’entamer un dialogue avec lui, on lui a demandé ce que ça pouvait lui faire. Il nous a répondu : «C’est le principe, on autorise ça et ça sera quoi ensuite, la chasse aux œufs de Pâques ?» Il est allé prévenir les flics.

« Si nous ne changeons pas nos modes de vie, nous subirons des monstres autrement plus violents que ce coronavirus »

Jean-François Guégan, directeur de recherche à l’Inrae, travaille sur les relations entre santé et environnement. Dans un entretien au « Monde », il estime que l’épidémie de Covid-19 doit nous obliger à repenser notre relation au monde vivant.
Propos recueillis par  Publié le 17 avril 2020
Le chercheur Jean-François Guégan.
Le chercheur Jean-François Guégan. YANN LEGENDRE
Entretien. Ancien membre du Haut Conseil de la santé publique (HCSP), Jean-François Guégan a fait partie du comité d’experts qui a conseillé la ministre de la santé Roselyne Bachelot lors de l’épidémie de grippe A (H1N1), en 2009. Directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et professeur à l’Ecole des hautes études en santé publique, il estime que l’épidémie de Covid-19 doit nous obliger à repenser notre relation aux systèmes naturels, car l’émergence de nouvelles maladies infectieuses est étroitement liée à l’impact des sociétés humaines sur l’environnement et la biodiversité.

Vous avez fait partie des experts qui ont conseillé d’acheter des masques et des vaccins en grand nombre lors de la pandémie provoquée par le virus H1N1. Comment analysez-vous la situation en France, dix ans plus tard ?

Comme beaucoup de mes collègues, j’ai été très surpris de l’état d’impréparation de la France à l’épidémie de Covid-19. Les expériences passées avaient pourtant mis en évidence la nécessité d’anticiper et de préparer l’arrivée de pandémies. Au sein du HCSP, nous avions préconisé l’achat des fameux vaccins, mais aussi la constitution d’une réserve de près de 1 milliard de masques, pour protéger la population française en cas de risque majeur, à renouveler régulièrement car ils se périment vite. Nous avions alors réussi à sensibiliser les décideurs de plusieurs ministères sur cette nécessaire anticipation. Je pensais que nous étions prêts. Au ministère de la santé, Xavier Bertrand a reconduit l’achat des masques, mais, ensuite, il y a eu un changement de stratégie. Il semble que l’économétrie ait prévalu sur la santé publique.

Comment expliquer cette difficulté à cultiver, sur le long terme, une approche préventive ?

Les départements affectés aux maladies infectieuses ont été, ces dernières années, désinvestis, car beaucoup, y compris dans le milieu médical, estimaient que ces maladies étaient vaincues. Et c’est vrai que le nombre de décès qu’elles occasionnent a diminué dans les sociétés développées. En revanche, elles sont toujours responsables de plus de 40 % des décès dans les pays les plus démunis, et on observe aussi une augmentation de la fréquence des épidémies ces trente dernières années.

Roger Berkowitz : “Aux États-Unis, nous affrontons l’inconnu menés par un président à la gestion hasardeuse”

Mis en ligne le 16/04/2020

© Mandel Ngan/AFP
Le 13 avril 2020, Donald Trump quitte la Brady Briefing Room de la Maison-Blanche, où il vient de faire son allocution quotidienne. © Mandel Ngan/AFP

Alors qu’aux États-Unis le nombre de morts du Covid-19 ne cesse d’augmenter, la gestion de la pandémie par le président Donald Trump pose question. Nous avons demandé à Roger Berkowitz, professeur de sciences politiques au Bard College, de nous éclairer.

ROGER BERKOWITZ

Professeur de philosophie au Bard College dans l’État de New York, où il dirige le Hannah Arendt Center for Politics and Humanities, il est l’auteur d’un essai sur Leibniz (The Gift of Science, « Le don de la science », Harvard University Press, 2005 ; non traduit) et a codirigé un ouvrage sur la pensée d’Arendt, Thinking in Dark Times (« Penser par temps sombres », Fordham University Press, 2009 ; non traduit).
Quels principes ont guidé Donald Trump dans sa gestion de la crise ?
Roger Berkowitz : Il a commencé par prendre les devants, en interdisant par exemple tous les vols en provenance de Chine dès le début du mois de janvier. Mais subitement, de mi-janvier à mi-mars, aucune mesure de protection n’a été engagée, et nous avons perdu un temps précieux. Il aurait pu avoir l’occasion de révéler le meilleur de lui-même mais il l’a manquée en s’en tenant à ses schémas habituels, notamment à sa méfiance envers les experts. Au lieu d’organiser la coopération entre les centres de recherche publics et les laboratoires privés pour la mise au point de tests, au lieu de faire de la prévention et de la pédagogie auprès de la population, au lieu d’équiper les hôpitaux du pays en respirateurs, il a préféré fanfaronner en prétendant qu’il n’y aurait aucun problème et qu’il fallait continuer à sortir, à acheter et à produire. Le résultat est un désastre absolu. Trump doit le succès de sa première campagne à la promesse d’une économie forte. Il a donc eu peur que ce coronavirus ne sape l’un de ses principaux arguments. Pour éviter cela, il a adopté sa stratégie habituelle : politiser l’enjeu en divisant les camps. Il a même prétendu, dans un premier temps, qu’il s’agissait d’un canular venu de l’étranger – il a longtemps appelé le Covid-19 « le virus chinois ». À l’entendre, nous étions à l’abri. Comme si les États-Unis étaient immunisés contre les virus ! Heureusement, sur le plan local, quelques maires ont pris la situation en main : celui de San Francisco, par exemple, qui a placé la ville en confinement dès le 17 mars. Résultat : la ville dénombre assez peu de cas. A contrario, le maire de New York Bill de Blasio a agi de façon complètement irresponsable en encourageant ses administrés à sortir, à faire leur jogging normalement et en maintenant les écoles ouvertes, suivant en cela les pas de Trump. Ce n’est pas un hasard si New York est désormais le foyer principal de la pandémie dans le pays. 

“Pendant quatre ans, Donald Trump a affiché sans complexe son mépris pour la science et les experts. Il est aujourd’hui obligé d’en rabattre mais il lui en coûte”

Roger Berkowitz

Même si cela lui coûte, Trump n’a-t-il pas été obligé d’infléchir son discours ?
Pendant quatre ans, il a affiché sans complexe son mépris pour la science et les experts. À ses yeux, ils représentent l’administration, la bureaucratie fédérale, autant de choses que Trump hait. Mais ces derniers jours, il a été obligé d’en rabattre. En témoigne l’influence grandissante du docteur Anthony Fauci, responsable de la cellule de crise spéciale Covid-19 à la Maison-Blanche. Il est toutefois assez flagrant qu’il déteste cette dépendance. La preuve : encore ce week-end, il a retweeté quelqu’un qui appelait à la démission de Fauci, à présent sous le feu des critiques parce qu’il n’aurait pas agi assez tôt. Le président a été obligé de rétro-pédaler en confirmant que Fauci resterait bel et bien à son poste. Cela témoigne à quel point il lui est pénible de devoir écouter l’avis d’experts, de ne pas pouvoir se contenter de dire à tort et à travers ce qu’il pense. 

jeudi 16 avril 2020

Wahida Benayad Kahloul, côté cœur

Par Tania Kahn, Photo Pascal Bastien pour "Libération" — 

Photo Pascal Bastien pour "Libération"

Cette auxiliaire de vie raconte son quotidien à Mulhouse, alors que la pandémie illustre l’importance de son travail souvent méprisé.

Dans sa voiture, elle n’écoute plus les infos, elle met la musique à fond, du rap, du hip-hop, Marvin Gaye, cela lui donne du courage : «Je sais que je peux avoir ce virus, mais il ne va pas m’arrêter. Il y a des gens qui sont seuls, ils n’ont que nous pour les repas, la toilette.» Wahida Benayad Kahloul est auxiliaire de vie à Mulhouse (Haut-Rhin) au sein du réseau associatif APA. Elle aimerait éviter de donner son numéro de téléphone, ne pas s’attacher. Mais elle connaît la tragédie de nos aînés, elle côtoie leur intimité, elle est aux premières loges de ces drames feutrés. Des histoires, elle en a plein à raconter. Comme cet Italien de 90 ans qui pleure devant son épouse alitée. Mais le bel Italien est parti avant sa femme, emporté par le coronavirus. Sa fille lui a raconté : «Ils ont laissé papa en pyjama et l’ont enfermé dans un sac plastique.» «Il méritait mieux que ça, poursuit l’auxiliaire de vie, tous méritaient mieux que ça. Il aurait pu vivre encore quelques années