Jamais sans mon génome
Par ANNE DIATKINE
L’année 2011 s’annonce sous les meilleurs auspices. Les nouveau-nés ou plutôt leurs parents vont enfin savoir où leur vie va les mener et comment obéir dès le premier jour à leur destin, sans stupidement résister ou s’imaginer qu’ils usent de leur libre arbitre et produisent leur histoire. Portable Genomics, conçu par le chercheur Patrick Merel, est une application qui permet de transporter avec soi tout son génome dans son iPhone ou iPad. Grâce à elle, Dieu n’est plus caché et le jansénisme est de nouveau tendance.
Mais la prédestination a pris une forme scientifique. Désormais, un bébé pourra dormir et grandir en compagnie de toutes les informations possibles concernant ses gènes, comme autant de doudous. S’il se révèle virtuellement hypertendu, cardiaque, diabétique, ou si son père n’est pas son père, il pourra dire à la manière de Jacques le Fataliste : «Tout ce qui nous arrive de bien ou de mal est écrit là-dedans.» S’il est colérique, mauvais en math, dépressif, schizophrène, atteint de «phobie sociale», sans doute, en cherchant bien pourra-t-on trouver la cause dans son génome, plutôt que de s’intéresser à ce qu’il est. Et s’il n’est rien de tout cela, ce sera probablement que la combinaison génétique ou le gène ne se sont pas encore exprimés.
Comment offrir un tel cadeau à un bébé ? Il faut d’abord recueillir sa bave, ce qui n’est pas trop compliqué, l’action de baver étant une disposition commune à tous les nouveaux humains. Puis, la mauvaise fée prévoyante envoie la salive du bébé dans une boîte en plastique, à un laboratoire américain avec quelques centaines de dollars, lequel en extrait l’ADN, et séquence et analyse son génome. Le résultat sera renvoyé grâce à l’application qui en analysera les informations, sur l’ordinateur portable ou le téléphone. Selon l’inventeur de Portable Genomics, toutes sortes de nouveaux diagnostics seront intégrés et affinés à mesure des progrès de la recherche. Grâce au GPS incorporé dans le smartphone, on pourra se rendre n’importe où en sachant quel spécialiste consulter en fonction de ses prédispositions. Un code couleur simplissime (vert, c’est bien ; rouge c’est mal) nous indiquera la maladie qui peut nous tomber dessus. Portable Genomics est à la fois le rêve des hypocondriaques, des parents abusivement anxieux, d’une société qui contrôle, évalue et ne laisse rien au hasard, et un paradis financier pour des laboratoires qui souhaiteraient court-circuiter les intermédiaires et vendre directement au consommateur le remède idoine, d’un simple clic. Sans compter les usages détournés des hackers ou des directeurs des ressources humaines, qui, au moment d’un entretien d’embauche, jetteront un œil sur la page Facebook et l’autre sur le capital génétique. Est-ce le cauchemar d’un paranoïaque, une utopie négative, ou notre avenir proche ? Pour l’instant, la législation française interdit de faire séquencer son génome sans nécessité ni prescription médicale. Qu’à cela ne tienne : la Californie ouvre ses portes à Patrick Merel et à sa société.
Par ANNE DIATKINE
L’année 2011 s’annonce sous les meilleurs auspices. Les nouveau-nés ou plutôt leurs parents vont enfin savoir où leur vie va les mener et comment obéir dès le premier jour à leur destin, sans stupidement résister ou s’imaginer qu’ils usent de leur libre arbitre et produisent leur histoire. Portable Genomics, conçu par le chercheur Patrick Merel, est une application qui permet de transporter avec soi tout son génome dans son iPhone ou iPad. Grâce à elle, Dieu n’est plus caché et le jansénisme est de nouveau tendance.
Mais la prédestination a pris une forme scientifique. Désormais, un bébé pourra dormir et grandir en compagnie de toutes les informations possibles concernant ses gènes, comme autant de doudous. S’il se révèle virtuellement hypertendu, cardiaque, diabétique, ou si son père n’est pas son père, il pourra dire à la manière de Jacques le Fataliste : «Tout ce qui nous arrive de bien ou de mal est écrit là-dedans.» S’il est colérique, mauvais en math, dépressif, schizophrène, atteint de «phobie sociale», sans doute, en cherchant bien pourra-t-on trouver la cause dans son génome, plutôt que de s’intéresser à ce qu’il est. Et s’il n’est rien de tout cela, ce sera probablement que la combinaison génétique ou le gène ne se sont pas encore exprimés.
Comment offrir un tel cadeau à un bébé ? Il faut d’abord recueillir sa bave, ce qui n’est pas trop compliqué, l’action de baver étant une disposition commune à tous les nouveaux humains. Puis, la mauvaise fée prévoyante envoie la salive du bébé dans une boîte en plastique, à un laboratoire américain avec quelques centaines de dollars, lequel en extrait l’ADN, et séquence et analyse son génome. Le résultat sera renvoyé grâce à l’application qui en analysera les informations, sur l’ordinateur portable ou le téléphone. Selon l’inventeur de Portable Genomics, toutes sortes de nouveaux diagnostics seront intégrés et affinés à mesure des progrès de la recherche. Grâce au GPS incorporé dans le smartphone, on pourra se rendre n’importe où en sachant quel spécialiste consulter en fonction de ses prédispositions. Un code couleur simplissime (vert, c’est bien ; rouge c’est mal) nous indiquera la maladie qui peut nous tomber dessus. Portable Genomics est à la fois le rêve des hypocondriaques, des parents abusivement anxieux, d’une société qui contrôle, évalue et ne laisse rien au hasard, et un paradis financier pour des laboratoires qui souhaiteraient court-circuiter les intermédiaires et vendre directement au consommateur le remède idoine, d’un simple clic. Sans compter les usages détournés des hackers ou des directeurs des ressources humaines, qui, au moment d’un entretien d’embauche, jetteront un œil sur la page Facebook et l’autre sur le capital génétique. Est-ce le cauchemar d’un paranoïaque, une utopie négative, ou notre avenir proche ? Pour l’instant, la législation française interdit de faire séquencer son génome sans nécessité ni prescription médicale. Qu’à cela ne tienne : la Californie ouvre ses portes à Patrick Merel et à sa société.